Le 7 octobre 1950, un an après la proclamation de la République populaire de Chine, Mao Zedong ordonnait l’invasion militaire du Tibet, considéré par le nouveau régime comme une province chinoise dont l’indépendance ne serait qu’une « fiction créée par les Occidentaux ». Depuis cette annexion, le pays vit sous occupation militaire et le régime communiste chinois y poursuit un objectif implacable : son assimilation à l’idéologie dominante, au prix de l’effacement total de sa culture et de son identité.
Contexte historique
Le premier janvier 1950, Mao Zedong déclare, sur Radio Pékin : « Le devoir de l’armée populaire de libération pour 1950 est de libérer Taïwan, Hainan et le Tibet. »
Prétextant la nécessité de « libérer » le peuple tibétain et d’éliminer « l’influence des forces agressives de l’impérialisme au Tibet », l’Armée populaire de libération (APL) envahit le Tibet, un an après la proclamation de la République populaire de Chine (RPC), et alors que le « toit du monde » était indépendant depuis quatre décennies, à la suite de l’effondrement de l’Empire chinois.
Sous la pression de la Chine, le Dalaï-lama, leader tibétain, a signé après huit mois d’occupation par l’armée chinoise, le 23 mai 1951, l’accord controversé en 17 points. Ce traité sino-tibétain a officialisé l’annexion du territoire, tout en prévoyant le respect de la religion bouddhique et des droits du Dalaï-lama, l’accord affirmant que « les croyances religieuses, les traditions et les coutumes du peuple tibétain seront respectées, et les monastères lamaïques seront protégés ». Le Tibet devient ainsi une province sur laquelle la Chine exercera le contrôle dans plusieurs domaines, dont l’armée, l’éducation, les finances, etc. En 1954, l’Inde, pays limitrophe du Tibet, reconnaîtra à son tour celui-ci comme territoire chinois.
Les tensions au Tibet se sont progressivement intensifiées en 1956, jusqu’à la première grande rébellion du peuple tibétain contre la domination chinoise, le 10 mars 1959. Une insurrection alors violemment réprimée par Pékin, entraînant des milliers de morts et des départs en exil, dont celui du Dalaï-lama à Dharamsala en Inde. Depuis, il y a deux Tibet : celui des communautés tibétaines en exil (environ 130 000 personnes habitant principalement en Inde et aux États-Unis) et celui des six millions de Tibétains vivant sur place.
Pourquoi la Chine est-elle tant attachée au Tibet ?
La prise du Tibet, le « pays des trésors de l’Ouest » comme le surnomment traditionnellement les Chinois, était l’un des objectifs de Mao dès son arrivée au pouvoir, car il s’agit d’une région stratégiquement située et considérée comme la « frontière sud-ouest de la mère patrie ».
On peut voir trois raisons à l’invasion du Tibet par la Chine :
- La première est territoriale : le Tibet représente environ un tiers de la surface totale de la Chine. Même si une grande partie de cette région est un désert à 4 500 mètres d’altitude, donc quasiment inhabitable, cela reste une zone immense qui renforce l’emprise de la Chine sur son territoire.
- La deuxième est d’ordre économique : l’intérêt pour le sous-sol tibétain, très riche en ressources naturelles. En 2004, on a estimé ces richesses à 78,4 milliards de dollars, grâce à des minerais comme le cuivre, l’or, et l’aluminium. Mais ce n’est pas tout : le Tibet est également appelé le « château d’eau de l’Asie », car il est la source de nombreux grands fleuves du continent. Cela fait de l’eau une ressource stratégique vitale pour la Chine, surtout en cas de pénurie future.
- La troisième est d’ordre stratégique : le Tibet est une région clé pour la Chine, car elle permet de se protéger de ses voisins, comme l’Inde, la Russie, et les pays musulmans d’Asie centrale. En contrôlant cette zone, la Chine renforce la sécurité de ses frontières et améliore sa position géopolitique.
Les conséquences de l’occupation chinoise sur le territoire tibétain et sa population
Un territoire occupé et fragmenté
Le Tibet, autrefois une terre autonome avec une identité forte, a subi un bouleversement profond depuis son incorporation à la Chine.
- Aujourd’hui, l’autonomie de la région autonome du Tibet est un mythe. Le pouvoir de décision finale est détenu par le Parti communiste chinois régional, dont le premier secrétaire a toujours été un Chinois. Les postes clés dans l’administration et la gestion du territoire sont presque exclusivement confiés à des Chinois d’ethnie Han, tandis que les Tibétains sont souvent relégués à des fonctions secondaires.
- De plus, le territoire originel du Tibet a été morcelé. Plusieurs provinces historiques ont été intégrées dans des provinces chinoises voisines, comme le Sichuan, le Yunnan, le Qinghai et le Gansu.
Un désastre économique et écologique
Sur le plan économique, un rapport du Tibetan Centre for Human Rights and Democracy (ONG tibétaine promouvant et défendant les droits de l’homme au Tibet) met en lumière l’injustice du modèle économique chinois au Tibet, qui a conduit à un appauvrissement croissant des populations locales. La majorité des Tibétains, qui sont des ruraux, ne bénéficient pas de la croissance économique chinoise. Leur exclusion est aggravée par la marginalisation de la langue tibétaine sur le marché du travail, ce qui rend difficile l’accès aux emplois. Ils font aussi face à une ségrégation dans les postes administratifs et politiques, avec très peu de chances de pouvoir occuper des postes à responsabilités.
Sur le plan écologique, les conséquences sont tout aussi dramatiques. La déforestation a atteint plus de 40 %. En 1950, les forêts couvraient environ 9 % du Tibet, tandis qu’en 1985, elles n’en couvraient plus que 5 %. Cette déforestation a provoqué la disparition d’une grande partie de la faune locale, avec des espèces uniques aujourd’hui menacées d’extinction. À cela s’ajoutent l’érosion des sols, les glissements de terrain, l’envasement des fleuves, la pollution chimique et les politiques d’irrigation massives des lacs tibétains.
Enfin, le tourisme de masse a contribué à la contamination de certaines zones reculées de l’Himalaya, où les déchets et la pollution atteignent des niveaux alarmants.
Un « génocide » humain et culturel ?
Le 14e Dalaï-lama, lors des Jeux olympiques de Pékin en 2008, a dénoncé la répression chinoise, affirmant que « depuis six décennies, les Tibétains de tout le Tibet (…) ont dû vivre dans un état de peur permanente, d’intimidation et de suspicion sous la répression chinoise ».
Selon des estimations, l’occupation chinoise aurait causé la mort de plus d’un million de Tibétains, victimes d’exécutions brutales, de tortures et d’autres formes de violences extrêmes. En 1960, la Commission internationale des juristes (ONG ayant statut consultatif auprès de l’ONU) a accusé la Chine de perpétrer un génocide au Tibet dans un rapport officiel.
Mais ce génocide est aussi culturel. Depuis 1959, environ 90 % des biens culturels, religieux et traditionnels tibétains ont été détruits, et seuls quelques-uns ont été restaurés. La région a été transformée en une véritable colonie de peuplement chinoise, avec une exploitation abusive de ses ressources naturelles et l’implantation d’un mode de vie de consommation extrême, qui laisse les Tibétains étrangers dans leur propre pays.
Les centres commerciaux modernes et les buildings ont pris la place des symboles sacrés de la culture tibétaine, comme les monastères, qui ont été transformés en attractions touristiques. Le 14e Dalaï-lama a affirmé que les moines vivaient dans des conditions « quasi carcérales », dans le cadre d’une politique visant à « assimiler les monastères à des musées et à annihiler le bouddhisme ».
La langue tibétaine, autrefois centrale dans la culture locale, est elle aussi en déclin. Son usage est limité dans la sphère publique et elle n’est enseignée qu’à l’école primaire dans la région autonome du Tibet. À partir du collège, c’est le chinois qui devient la langue principale d’enseignement. Cela contribue évidemment à l’effacement progressif de la culture tibétaine.
Les protestations de la population tibétaine
Les mouvements de protestation ont débuté en 2009, en réaction à la vague de répression qui a touché le pays après les manifestations menées dans la région en 2008, avant les Jeux olympiques de Pékin. Il faut rappeler que, alors qu’à Pékin s’ouvraient les Jeux olympiques, des milliers de pro-Tibétains manifestaient, au Tibet et à travers le monde, pour dénoncer les atteintes aux droits de l’homme en Chine. Selon des organisations de défense des Tibétains, il s’agit des manifestations les plus importantes au Tibet depuis la révolte de mars 1989.
De nombreuses manifestations ont eu lieu au Tibet pour protester contre la destruction de la culture locale et le traitement réservé au peuple tibétain par les autorités chinoises. Au cours de la révolution culturelle chinoise des années 1960 et 1970, la plupart des monastères locaux ont été détruits. Ces répressions et cette destruction culturelle ont poussé certains Tibétains à des actes désespérés. Depuis dix ans, plus de 150 moines bouddhistes se sont immolés par le feu pour dénoncer l’oppression chinoise et défendre leur liberté et leur culture.
Les commémorations du soulèvement de 1959 se répètent chaque année. Le 10 mars 2021, par exemple, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées mercredi à Paris pour le 62e anniversaire de l’insurrection des Tibétains contre le régime chinois, violemment réprimée par Pékin.
La position de l’ONU sur la question tibétaine
L’ONU a pris position plusieurs fois sur la situation au Tibet, en adoptant plusieurs résolutions pour exprimer son inquiétude sur le sort des Tibétains sous l’occupation chinoise.
- 21 octobre 1959 : une première résolution est adoptée où l’ONU déclare « être préoccupée et consciente de la nécessité de préserver les droits élémentaires des Tibétains ».
- 1960 : une deuxième résolution est votée, dans laquelle l’ONU souligne que la Chine viole les droits de l’homme et les lois internationales, en demandant à la Chine de les respecter.
- 18 décembre 1965 : une troisième résolution dénonce la « violation continuelle des droits fondamentaux des Tibétains » par la Chine.
Depuis ces résolutions, la question des droits des Tibétains a disparu des discussions de l’ONU. Cela pose la question de l’influence croissante de la Chine, qui joue un rôle important dans l’organisation. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité, la Chine a le droit de veto, ce qui lui permet de bloquer toute résolution qui la critique au sujet du Tibet.
De plus, la puissance économique et politique de la Chine sur la scène internationale fait hésiter de nombreux pays à s’opposer ouvertement à elle. Beaucoup de ses partenaires commerciaux ne veulent pas risquer de gâcher leurs relations avec la Chine en prenant parti pour les Tibétains.
Quelle autonomie possible pour le Tibet ?
En 1997, dans une étude approfondie intitulée Tibet: Human Rights and the Rule of Law, la CIJ a conclu que le peuple tibétain a le droit à l’autodétermination et qu’un référendum du peuple tibétain pour déterminer le statut futur de la région contribuerait significativement à résoudre le conflit politique au Tibet. Cependant, dans la liste des pays et des territoires « à décoloniser », publiée en 2008 par l’ONU, le Tibet n’est pas mentionné, et la Chine n’est pas citée au nombre des « puissances administrantes »…
« Nous acceptons de parler de tout, sauf d’indépendance. » C’est suite à cette position que le Dalaï-lama a décidé d’abandonner ses revendications pour l’indépendance, afin de privilégier une solution pacifique à la situation tibétaine. Dans son discours du 15 juin 1988, au Parlement européen de Strasbourg, il propose de faire du Tibet une « entité politique démocratique et autonome, basée sur un droit accepté par le peuple, visant le bien commun et la protection de tous, en association avec la République populaire de Chine ». Désormais, le Dalaï-lama ne demande plus l’indépendance, mais prône une « voie du milieu », c’est-à-dire une large autonomie culturelle pour le Tibet.
En avril 2009, Nicolas Sarkozy a pris position en affirmant que « la France mesure pleinement l’importance et la sensibilité de la question du Tibet et réaffirme qu’elle s’en tient à la politique d’une seule Chine et à sa position selon laquelle le Tibet fait partie intégrante du territoire chinois (…). Dans cet esprit et dans le respect du principe de non-ingérence, la France récuse tout soutien à l’indépendance du Tibet sous quelque forme que ce soit ».
Conclusion
La situation actuelle du Tibet est très préoccupante : la colonisation chinoise nuit chaque jour davantage aux fondements de la civilisation tibétaine. La solution ne pourra venir que d’un changement au sein même de la Chine : une Chine véritablement démocratique devrait accorder au Tibet une autonomie significative.
Mais est-il réaliste d’espérer un tel changement ? Cela semble peu probable aujourd’hui. Cependant, les exemples des pays baltes ou, plus récemment, du Timor oriental montrent qu’il est possible pour des nations autrefois oubliées de recouvrer leur indépendance après des décennies d’annexion.
J’espère que tu as pu en apprendre davantage sur le Tibet grâce à cet article. N’hésite pas à consulter toutes nos ressources de géopolitique.