Le 28 janvier dernier, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, trois pays d’Afrique de l’Ouest dirigés par des militaires arrivés au pouvoir après des coups d’État, ont annoncé leur retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette décision fait suite à des conflits d’intérêts entre les trois pays et l’organisation régionale, survenus surtout après les sanctions prises par la CEDEAO à la suite des coups d’État militaires dans ces trois pays. Cette décision constitue une crise économique et politique sans précédent en Afrique de l’Ouest.
Quelles pourraient être les conséquences géopolitiques, sociales et économiques de cette décision ? Les trois « sécessionnistes » maintiendront-ils leur croissance loin de la CEDEAO ? Ces trois pays pourraient-ils aller plus loin ?
Qu’est-ce que la CEDEAO ?
La CEDEAO est constituée de quinze pays d’Afrique de l’Ouest.
Initialement, cette organisation sous-régionale a un mandat économique. Créée en 1975, par la signature du Traité de Lagos, elle prévoit la création d’une zone de libre-échange avec la levée des droits de douane et des barrières tarifaires. Avec la mise en place d’un tarif extérieur commun en 2015 et d’une libre circulation des personnes et des travailleurs, son objectif premier était bien de « créer un grand bloc commercial unique par le biais de la coopération économique ».
Dans ce domaine, l’un de ses principaux objectifs était d’aller vers une monnaie unique, appelée l’eco. D’abord prévue pour 2020, cette nouvelle monnaie est toujours en cours de projet, mais avec la sortie du Niger, du Mali et du Burkina Faso, il devient de plus en plus obsolète.
À partir des années 1990, la CEDEAO s’est axée sur une intervention plus politique, voire sécuritaire. En 1990, la CEDEAO a créé l’Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group (Ecomog), aussi appelé « les Casques Blancs ». C’est un groupe militaire d’intervention qui a pour mission de faire respecter la paix entre les pays membres. L’Ecomog est ainsi intervenu lors de plusieurs conflits, comme la guerre civile au Libéria ou en Sierra Leone.
Pourquoi ces trois pays ont-ils décidé de quitter l’organisation ?
Les relations tendues entre la CEDEAO et les trois pays ont conduit ces derniers à créer l’Alliance des États du Sahel (AES), en septembre dernier. En effet, ces trois pays ont de nombreux points communs. Ils appartiennent à la même zone géographique du Sahel, et sont, non seulement dirigés par des militaires, mais font face à la même menace des groupes djihadistes.
Le communiqué du 28 janvier a listé quatre principales raisons à cette décision :
- L’éloignement des idéaux de ses pères fondateurs et du panafricanisme ;
- L’influence des puissances étrangères, notamment la France
- La non-assistance aux États de l’AES dans la lutte contre le terrorisme et l’insécurité ;
- L’adoption de « sanctions illégales, illégitimes, et irresponsables » de la CEDEAO
Ce sont les sanctions de la CEDEAO à l’encontre des trois pays après leurs coups d’État respectifs qui ont creusé le fossé déjà existant entre l’organisation sous-régionale et les opinions publiques.
Le Mali, le Burkina Faso et le Niger désormais dirigés par des militaires n’ont simplement plus les mêmes aspirations et souhaitent faire “cavalier seul”, dans l’espoir de sortir du “joug colonial français”.
Quelles seront les conséquences ?
Le recul dans la lutte contre le terrorisme
Le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont effectivement des États indispensables dans le processus d’intégration ouest-africaine et surtout dans la recherche de stabilité au sein de la sous-région, durement touchée par le terrorisme. Cette sortie “hâtive” menacerait les efforts déployés pour rétablir la démocratie et contribuer à stabiliser une région de plus en plus fragile.
Les dirigeants ouest-africains ont ainsi mis en garde contre les défis supplémentaires auxquels seraient confrontés les efforts de lutte contre la criminalité transnationale, la migration irrégulière et le terrorisme dans la région du Sahel si ces pays décidaient de quitter le bloc régional.
Une crise économique sans précédent
La principale conséquence économique est la question de la liberté de circulation des biens, des personnes et des capitaux pour les trois pays concernés (dépourvus d’accès à la mer), et pour la région.
La CEDEAO garantit en effet aux citoyens des quinze pays membres de pouvoir se déplacer sans visa et de rester dans les pays membres pour y travailler ou y résider. Mais en quittant l’organisation, ce sont tous les secteurs comme celui des transports qui sont menacés, d’autant que le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont des carrefours pour le transport routier ouest-africain.
Étant donné leur situation d’état enclavé, les trois pays consomment beaucoup de marchandises venant d’autres pays. La situation pourrait s’avérer compliquée, surtout pour le Niger, qui a une longue frontière avec le Nigeria et dont l’économie est fortement dépendante des échanges avec ce voisin.
Perspective : qui dit nouvelle alliance dit nouvelle monnaie
Les régimes militaires de l’AES ne cessent de dénoncer l’instrumentalisation faite selon eux de la CEDEAO par l’ancienne puissance coloniale française. Ils veulent s’émanciper de la tutelle française et ont pour projet de mettre en place une monnaie commune, alternative au franc CFA, le « Sahel ».
Affirmant leur volonté de couper tout lien avec la France, la sortie du franc CFA apparaît donc comme une prochaine étape vraisemblable, mais qui serait aussi beaucoup plus risquée. Car pour cela, il leur faudrait quitter l’UEMOA (Union économique et monétaire Ouest Africaine), et donc abandonner les garanties commerciales et humaines que leur apporte aujourd’hui cet espace. L’UEMOA est l’organisation monétaire responsable de ce franc CFA, qu’ils ont décrit comme étant une monnaie de servitude, néocoloniale et empêchant le développement économique de leur pays.
Mais au-delà de la question monétaire, la coalition envisage également la création d’une Confédération, voire d’une Fédération à trois, exprimant ainsi la volonté de ces pays de renforcer leur souveraineté économique et de se libérer des liens économiques coloniaux.
Conclusion
Cette décision de sortir de la CEDEAO qualifiée de “hâtive” et “pas assez réfléchie” par les dirigeants ouest africains aura des conséquences très lourdes, à la fois pour les trois pays sortant, pour les pays membres et pour l’intégration et la stabilité régionale toute entière.
La CEDEAO a prié le Mali, le Burkina Faso et le Niger de rester dans l’organisation sous régionale au nom de la stabilité et du maintient de la paix dans la région, soulignant ainsi les conséquences préoccupantes que cette sortie pourrait entraîner.