Ce sujet est tombé aux oraux de HEC en 2017 et se caractérise par son originalité. Il requiert des connaissances sur l’actualité et sur le système de protection français de manière générale. Il est très intéressant de le traiter, au regard des événements récents et des vagues de contestations suscitées par la réforme des retraites entreprise par Élisabeth Borne. Voici quelques éléments pour aborder ce sujet, assez complexe mais très pertinent.
Introduction
La Sécurité sociale a été créée par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945. C’est l’un des plus forts symboles de la protection sociale en France. Elle est née de la volonté de bâtir un véritable système de solidarité après-guerre.
Selon la Banque mondiale, « les systèmes de protection sociale aident les populations pauvres et vulnérables à affronter les crises et les chocs, trouver un emploi, investir dans la santé et l’éducation de leurs enfants et protéger ceux qui vieillissent. »
Cependant, les dynamiques de population et les conditions politiques ont changé et le modèle a commencé à s’essouffler avec la fin des Trente Glorieuses. Avec la réforme des retraites, on a vu une remise en cause de ce système, à cause de contraintes économiques de plus en plus importantes.
Dès lors, la protection sociale en France est-elle arrivée à un point de rupture ? Connaît-elle aujourd’hui ses limites, puisque parfois jugée excessive ?
Ce système de protection a constitué une révolution après-guerre et a porté la France durant les Trente Glorieuses, mais a connu une véritable remise en question à partir des années 1980. Aujourd’hui, l’État est confronté à des coûts de plus en plus importants et à une nouvelle conception de ces enjeux.
Point historique sur la protection sociale
Une faible protection existait avant la guerre, mais une véritable évolution a eu lieu dans les années 1940. Voici quelques exemples :
- 03/1944 : le CNR (Conseil national de la Résistance) propose dans son programme un « plan complet de Sécurité sociale visant à assurer, à tous les citoyens, des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail ».
- 4 et 19/10/1945 : ordonnances qui actent la création de la Sécurité sociale sur le modèle bismarckien. Une refonte du système des assurances sociales des années 1930 a également lieu.
- 27/10/1946 : le préambule de la Constitution de la IVe République reconnaît le droit de tous à « la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».
- 17/01/1948 : vote instaurant trois régimes spécifiques d’assurance vieillesse pour les actifs qui ne sont ni salariés ni agricoles, comme les artisans ou les professions libérales.
Le programme du CNR a véritablement constitué la pierre angulaire de cette révolution dans la protection sociale en France. Toute la société trouve un accord pour édifier une Sécurité sociale qui protégerait l’individu des principaux risques sociaux tels que le chômage, la maladie, les accidents et la vieillesse. La France connaît à l’époque un chômage non pérenne et provisoire, provoqué par la guerre. Le système de protection sociale permet alors d’absorber le choc et de relancer l’économie dans le pays qui fut un temps à l’arrêt.
Discrédit dans les années 1980
Avec la crise économique qui marque la fin des Trente Glorieuses, un chômage de masse apparaît et la désindustrialisation amorcée provoque des ravages. De nouveaux droits et aides sont alors créés tels que la retraite à 60 ans avec l’ordonnance Auroux de 1982, sous François Mitterrand, et le RMI en 1988.
Parallèlement, des mesures tendent à limiter les dépenses en matière de santé et de retraite, avec la mise en œuvre de plans d’économie. En voilà quelques exemples :
- 1982 : plan Bérégovoy, qui instaure un budget hospitalier.
- 1986 : plan Séguin, qui limite le champ des dépenses couvertes à 100 % par l’assurance maladie.
- 1995 : plan Juppé, qui entraîne une diminution de la prise en charge des consultations médicales.
Par ailleurs, la réforme de 1993 augmente le nombre d’années de cotisation nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein dans le secteur privé. Il faut désormais avoir cotisé durant 160 trimestres. Le calcul des pensions de retraite est aussi dorénavant basé sur les salaires des 25, et non plus des 10, meilleures années.
De nouvelles critiques voient alors le jour
On accuse parfois le système de protection sociale de casser le lien avec le travail et d’encourager l’oisiveté et l’assistanat. L’État est alors influencé par la doctrine néolibérale et se désengage du champ économique. L’économie se financiarise et l’investissement public connaît une baisse considérable.
La protection sociale n’est alors plus ciblée et son financement est de plus en plus diversifié. Ce phénomène connaît son apogée sous l’ère de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan.
Alors que le CNR avait plafonné la semaine de travail à 40 heures en 1944, elle passe à 35 heures en 1998. Cette baisse génère des coûts supplémentaires et pointe les limites du modèle que nous connaissons actuellement. Il ne semble plus être réellement en phase avec les impératifs de la société actuelle.
La protection sociale aujourd’hui et ses déboires
La Sécurité sociale est aujourd’hui une part structurante de la société française telle que nous la connaissons. Mais elle a connu de nombreux écueils depuis les années 1980 et son financement est de plus en plus incertain. Elle gère un budget équivalent à une fois et demie celui de l’État. En 2017, la Sécurité sociale avait un budget d’environ 486 milliards d’euros.
Mais aujourd’hui, la situation est bien différente. Alors que la France comptait environ 39,6 millions d’habitants en 1945, elle en recense près de 68 millions en 2023. L’espérance de vie a également connu des progrès exceptionnels : de 60 ans en 1945, elle est passée de nos jours à 79,3 ans. Cela génère des coûts conséquents et de plus en plus lourds pour la Sécurité sociale.
Quelques chiffres intéressants sur les dépenses sociales actuelles en France
- La France consacre 33,3 % de son PIB à la protection sociale, soit 834 milliards d’euros par an. Tandis qu’il s’agit de 31,8 % pour l’Autriche, 31,5 % pour l’Italie et 31 % pour l’Allemagne.
- En 2021, le montant moyen des prestations sociales s’élevait à environ 12 350 € par Français. C’est 2 000 € de plus que la moyenne de l’Union européenne. Mais l’Autriche consacre à ces dépenses 14 500 € en parité de pouvoir d’achat sur une base française, l’Allemagne 14 000 € et le Danemark 13 850 €.
- Les dépenses de maladie ont été le principal facteur de la hausse des dépenses depuis 2021 à cause de la pandémie de Covid-19. Les campagnes de vaccination, de dépistage et de soins médicaux ont entraîné des dépenses très importantes. Les soins médicaux non urgents ont augmenté de 9,6 % en France en 2021 et de 7,8 % en moyenne dans l’Union européenne.
- Les prestations de protection sociale ont atteint des niveaux inédits depuis 1959 avec la pandémie, avec 35 % en 2020 et 33 % en 2021.
Les sources de financement de la protection sociale sont nombreuses :
- La part de la Contribution sociale généralisée (CSG) et des impôts et taxes affectés dans les ressources a fortement progressé. Elle a atteint 30 % en 2021.
- Les cotisations sociales, qui représentaient près des trois quarts du financement en 1959, constituent désormais à peine plus de la moitié des ressources de la protection sociale.
Conclusion
Il est donc objectivement impossible de répondre à la question posée : il ne peut y avoir trop de protection sociale. Mais la conception des dépenses a changé et les conditions fiscales de ce système social appellent forcément à entreprendre des réformes pour maintenir ces institutions endémiques en France et qui assurent une solidarité intergénérationnelle précieuse.
BONUS : chronologie intéressante
Chronologie de l’assurance maladie :
- 1898 : loi sur l’indemnisation des accidents du travail (indemnisation forfaitaire)
- 1945 : création par ordonnances (4 et 19/10/1945) de la Sécurité sociale
- 1967 : création de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés
- 1996 : vaste plan pour transformer la CNAMTS et créer un « régime universel d’assurance maladie » permettant l’ouverture automatique de droits à toute personne âgée de plus de 18 ans résidant régulièrement sur le territoire français
- 1998 : création de la carte Vitale
- 2000 : création de la couverture maladie universelle (CMU)
- 2004 : réforme structurelle de l’assurance maladie
- 2016 : lancement de la protection universelle maladie (PUMa)
- 2018 : l’assurance maladie intègre le régime social des indépendants et la sécurité des étudiants
- 2019 : lancement de la Complémentaire santé solidaire
- 2020 : gestion de l’épidémie de Covid-19
Tu trouveras également ici une chronologie exhaustive de la protection sociale en France.
N’hésite pas à consulter toutes nos ressources de géopolitique.