Poutine

En mars 2024 se tiendront les élections présidentielles en Russie. Elles devraient, sans surprise, voir la victoire pour la cinquième fois consécutive du candidat de « Russie Unie », Vladimir Poutine. Ce dernier étant aux commandes du pays depuis le 31 décembre 1999. 24 ans de règne sans partage posant la question des alternatives politiques au sein de la Fédération de Russie, dans un contexte de guerre armée avec l’Ukraine et de bouleversements des puissances géopolitiques sans précédent.

Des élections en forme de validation de la politique guerrière de Poutine

En apparence, les présidentielles, qui se tiendront au début de l’année, ont tout d’une campagne électorale démocratique. Au total, ce sont huit candidats, allant de l’extrême droite à la gauche stalinienne, qui peuvent librement mener leur campagne à travers des débats télévisés leur permettant de défendre leurs idées et d’étaler des programmes politiques divers (quoique tous favorables au prolongement de la guerre en Ukraine). Néanmoins, à y regarder d’un peu plus près, ces élections ne font aucun doute quant à leur issue.

En effet, aucun de ces candidats ne cherche réellement à remporter ces élections présidentielles. C’est Poutine qui les gagnera, et ce, sans recours à un second tour. En Russie, comme ailleurs, le poids des médias dans les décisions politiques est important. Notamment les deux chaînes principales, Pervy Kanal (littéralement « Première Chaîne ») et Russie 2, mais le temps d’écran y est tout sauf égal.

Certes, les candidats ont tous droit à leurs spots et des débats sont parfois organisés, mais ce ne sont que de courts entractes avant que les chaînes ne poursuivent leur diffusion d’images montrant Vladimir Poutine en chef des armées, en déplacement ou en allocution devant ses partisans de « Russie Unie » à qui il promet de faire de la Russie une nation « souveraine et autosuffisante ». Il est omniprésent et même les candidats les plus hétérodoxes ne font figure que de marionnettes complètement acquises à la rhétorique guerrière du Président.

En réalité, le pensionnaire du Kremlin est en campagne permanente depuis le début de l’invasion ukrainienne

Ces élections doivent servir à valider, une fois de plus, la politique guerrière du Président, qui bénéficie toujours selon les sondages d’un soutien populaire autour de 80 %.

Des élections qui devraient d’ailleurs également se dérouler dans les provinces annexées de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson en guise de tour de force, même si ces dernières semaines l’armée a perdu des villes dans ces régions.

Elles permettront également de voir comment réagissent les populations sur place, majoritairement russophones, mais pour qui la durée de la guerre commence à devenir insoutenable.

Navalny, une ombre bien faible au tableau de ces élections

En Russie, il n’existe qu’un seul véritable opposant à la politique de Vladimir Poutine, un avocat de 47 ans dont les apparitions se font de plus en plus rares : Alexeï Navalny. Celui qui avait osé mener une campagne active en 2017-2018, malgré son inéligibilité, a été complètement mis hors d’état de nuire, et ce, pour de nombreuses années.

Il a notamment été victime d’une tentative d’empoisonnement à la Novichok à laquelle il avait miraculeusement survécu, avant d’écoper en février 2021 d’une peine de prison de 19 ans à son retour au pays, après des mois de convalescence en Allemagne. Alors qu’il n’avait plus été vu depuis de nombreux mois, il a récemment été aperçu dans le cadre de son transfert dans une colonie pénitentiaire ultra-sécurisée, au-delà du cercle arctique, à 3 000 km de Moscou.

Il est ainsi délibérément agité en pantin par le Kremlin afin de montrer à tous ceux qui souhaiteraient suivre ses traces le sort qui leur serait réservé. Comme dans une vidéo publiée le 12 janvier 2024, où il est apparu affaibli et le crâne rasé dans des conditions d’emprisonnement que certains experts qualifient même de « Goulag ».

Néanmoins, son action n’est pas complètement entérinée

Par le biais de la fondation anticorruption qu’il a fondée, la FBK, il mène une contre-campagne qui n’a pas pour but de concurrencer le Président, mais davantage d’informer des populations, souvent endoctrinées, que « la majorité des Russes ne veulent pas de Poutine au pouvoir ». Des panneaux publicitaires disposés dans des villes moyennes russes avec un QR code renvoient sur le site de sa Fédération (souvent bloqué par le gouvernement). Une action certes anecdotique, mais qui démontre que le septuagénaire ne semble pas faire l’unanimité au sein de sa Fédération.

Sans action de la part des opposants, Poutine pourrait rester Président jusqu’en 2036, après l’annulation de ses précédents mandats par révision de la Constitution en 2020. Il aurait alors 84 ans.

Un soutien populaire en légère baisse, mais toujours fort dans un contexte géopolitique tendu

« Les gens sont certes mécontents de beaucoup de choses. Mais le champ politique a été nettoyé. Le pays est immense et personne (à part Poutine) n’aurait les ressources pour se battre pour la présidence », déclare le politologue Alexander Kynew. Une situation de résilience qui semble bien dépeindre le climat politique de l’ensemble de la Fédération. Sans aucune concurrence sérieuse, Vladimir Poutine reste la seule option apte à gouverner le pays face à un Occident dépeint comme le démon par le chef du Kremlin.

Il ne faut pas non plus oublier que pour beaucoup de citoyens russes, Vladimir Poutine reste l’homme qui a replacé la Fédération à la place qui était la sienne sur l’échiquier géopolitique. Et ce, après la chute du mur de Berlin et la politique pro-américaine de Boris Eltsine (1991-1999), une période largement considérée comme « négative ».

D’autant plus que la guerre en Ukraine n’est plus le seul sujet qui compte à l’agenda. D’un côté, le conflit israélo-palestinien est une forme d’opportunité pour la Russie gazière de nouer des relations plus chaudes avec le Moyen-Orient. De l’autre, la situation géopolitique tendue dans certains pays d’Afrique subsaharienne favorise désormais l’approche russe plutôt qu’occidentale, et ce, notamment grâce à la figure du Président sortant.

Conclusion

Bien qu’anecdotiques pour beaucoup d’observateurs, les élections de mars prochain restent tout de même importantes pour analyser le virage politique que va prendre la Russie pour les six prochaines années. Une victoire à près de 77 %, comme certains l’annoncent, devra certes être prise avec des pincettes quand on sait dans quel contexte elles interviennent. Cependant, ces élections devront être prises très au sérieux par les gouvernements européens, américains et chinois. La Russie étant clairement redevenue une hyperpuissance géographique et politique, qu’il vaut mieux avoir avec que contre soi.

Cet article a été rédigé par Paulin Louwerse, en collaboration avec Call’ONU, l’association de géopolitique de l’ESCP.