Major Prépa > Grandes Écoles > Écoles de commerce > Le futur d’Internet : interview de Michel Berne, professeur à Institut Mines-Télécom Business School

Aujourd’hui nous abordons un sujet de géopolitique et économique majeur qui peut constituer un exemple extrêmement pertinent en dissertation : le futur d’internet. Pour ce faire, nous avons sollicité Michel Berne, enseignant-chercheur à Insitut Mines-Télécom Business School (IMT-BS, ex-Télécom EM), école qui s’est historiquement taillée une véritable expertise dans le domaine des nouvelles technologies. Professeur d’économie numérique à IMT-BS, Michel Berne s’est également récemment intéressé avec d’autres de ses collègues à la consommation énergétique du bitcoin et aux stratégies des opérateurs mobiles français.
Favorisant la pratique de projets interdisciplinaires, IMT-BS s’est associé à l’Ecole Supérieure d’Art et de Design de Reims, et à Télécom SudParis pour proposer un diplôme commun, destiné aux designers, ingénieurs et managers baptisé « id-DIM », pour Inventivité Digitales : Designers, Ingénieurs, Managers, dans le but de former des étudiants aux métiers émergents de la transition numérique. Pour en savoir plus, c’est par ici !
L’interview
Comment internet a évolué depuis sa création dans les années 1980 et quelle a été sa contribution à la mondialisation que nous connaissons aujourd’hui ?
C’est naturellement un extraordinaire développement. Le réseau permet d’atteindre une majorité des gens, des services et des contenus dans le monde. YouTube, Amazon par exemple sont des vecteurs de la mondialisation.
Peut-on évaluer l’importance d’internet dans le système économique mondial contemporain ?
Ce n’est pas simple car la comptabilité nationale n’a pas été conçue pour cela ! Cela étant, on peut dire à très grands traits ceci : la contribution d’internet à la croissance mondiale est généralement jugée positive ; le commerce et les services électroniques sont aussi généralement jugés comme des éléments modérateurs des prix par la concurrence qu’ils ont suscitée ; les ressources des Etats en souffrent car les systèmes fiscaux n’ont pas été conçus pour gérer des activités largement immatérielles et internationalisées ; enfin, cela a été un stimulant pour les échanges internationaux à la fois de biens et de services, et en particulier cela a permis de délocaliser un nombre important d’emplois vers des pays à faibles coûts salariaux.
Existe-t-il toujours une fracture numérique au niveau mondial ?
Oui, il existe toujours une différence sensible entre les pays, mais elle se réduit grâce à l’Internet mobile. L’Union internationale des télécommunications (UIT) vient d’annoncer que plus de la moitié des habitants du globe utilisaient maintenant internet. Dans les pays développés, on approche la « saturation » avec 80 % de la population utilisatrice d’internet, alors que dans les 47 pays les moins avancés ce sont 80 % de la population qui ne l’utilisent pas. Mais même dans les pays développés, l’usage n’est pas toujours une évidence (les plus âgés, les plus pauvres, les plus handicapés…). Or internet génère des effets de réseau : c’est avec un usage universel qu’on obtiendra les bénéfices les plus grands grâce aux économies d’échelle et à ce qu’on appelle les externalités de réseau, c’est-à-dire le fait que plus le nombre d’utilisateurs est grand, plus chacun d’entre eux en tire un bénéfice.
Internet est-il toujours un élément de « soft power » occidental et, a fortiori, américain ?
Certainement, en voici un exemple. Si on regarde la répartition des sites web en fonction des langues qu’ils utilisent en septembre 2018, l’anglais en représente la moitié (selon Wikipedia, citant W3Techs) alors que certaines langues parlées par des populations conséquentes sont pratiquement absentes. Le même phénomène se retrouve dans les articles de Wikipedia (9 des plus grands « wiki » sur 10 sont dans des langues européennes en décembre 2018) ou encore dans les outils de traduction automatique ; ou enfin dans les moteurs de recherche qui mettent en avant (consciemment ou non) les images, des textes, des façons de voir largement occidentales et américaines en particulier.
Le contrôle exercé par certains pays sur internet – notamment la Chine – pour restreindre son utilisation à ses citoyens a-t-il vocation à durer ?
Tous les gouvernements « autoritaires » ont eu la tentation ou réellement contrôlé l’usage d’internet. Mais en Chine, la taille du pays et ses capacités technologiques rendent crédible un relatif isolement derrière la « Grande Muraille de l’Internet ». Il existe en effet tout un écosystème internet autour de Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi, (les « BATX ») qui permet de se passer des grandes entreprises américaines (les « GAFA »). Les Chinois par ailleurs semblent pour le moment plutôt enthousiastes face à la technologie sans la méfiance qu’on trouve par exemple en Europe.
Quels sont les cyber-risques liés à internet aujourd’hui ?
Internet a été créé comme un système ouvert et à partir de communautés limitées qui partageaient plus ou moins les mêmes valeurs et les mêmes intérêts. Ce n’est plus le cas depuis longtemps et les risques sont multiples : pannes, blocages malveillants, escroqueries, infox, vol de données… La confiance était d’ailleurs le thème du 13ème forum mondial de la gouvernance l’internet qui s’est tenu cet automne à Paris.
Est-il possible d’esquisser, à l’heure actuelle, l’avenir d’internet dans les années à venir ?
C’est une question compliquée, car elle a de multiples dimensions interdépendantes. Sur le plan technique on peut citer parmi les grands défis le coût élevé de l’accès universel, la robustesse des réseaux, l’évolution des protocoles, le développement de l’internet des objets, l’intégration de l’intelligence artificielle, la maîtrise nécessaire des consommations énergétiques… Les défis sont également considérables en termes de gouvernance et de modèles d’affaires : on peut penser aux débats autour de la neutralité du net (vis-à-vis des contenus) alors que se développent des entreprises géantes ; enfin, en termes sociaux et politiques, la protection des données personnelles, l’équilibre entre libre expression et modération des opinions sont des points cruciaux.
En conclusion
L’Internet arrive à un tournant et peut emprunter plusieurs voies, ce qui rend tout exercice de prévision difficile. Il est de plus en plus imbriqué avec les autres technologies de l’information et de la communication (il suffit de penser à l’internet des objets, par exemple) et son avenir ne peut pas être envisagé isolément. Devenu en quelques décennies un élément-clé de la société et de l’économie, l’Internet doit maintenant gérer à la fois la dépendance qu’il a générée à son égard et les menaces que son libre usage a fait naître. Cette dépendance signifie qu’on est en train d’organiser notre vie sociale et économique autour de l’Internet : il faut donc organiser un accès universel aux réseaux et aux services, combler la « fracture numérique » qui existe entre pays, classes sociales et générations. Face aux menaces, il faut garantir la confiance envers l’information et les services qu’on y trouve.
C’est à ces conditions que l’avenir de l’internet, élément-clé des technologies de l’information et de la consommation, nous permettra de bénéficier des quatre grandes promesses qui y sont associées : une économie plus prospère, une société plus harmonieuse, un monde plus respectueux de notre environnement fragile et une croissance partagée et utile de nos connaissances.
A retenir
- Il y a désormais 50% d’internautes dans le monde. 80% des habitants des pays développés utilisent Internet, contre seulement 20% dans les 47 pays les moins avancés.
- La moitié des sites à l’échelle mondiale sont anglophones.
- Les BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) permettent à la Chine de se passer des “GAFA” américain (Google, Amazon, Facebook, Apple).
- La confiance était le thème du 13ème forum mondial de la gouvernance l’internet qui s’est tenu cet automne à Paris.