Un peu plus de 32 000€ : ce sont les droits de scolarité totaux que dont je me suis acquitté, en 2015, lorsque j’ai intégré NEOMA Business School. Rares sont les écoles de management qui proposent désormais une scolarité sous les 40 000€ de frais. La moyenne se situe même pour la première fois au-dessus des 50 000€, si l’on rapporte les frais de chaque école au nombre de places à pourvoir pour les concours 2024.

Ai-je pris un coup de vieux ? Sans doute. Mais, à ma décharge, les frais de scolarité avaient à l’époque déjà commencé à flamber, et cette hausse ne s’est jamais démentie depuis. 4 à 6% chaque année (3% “seulement” pendant l’année Covid) pour atteindre un total de 45% en moyenne sur les neuf dernières années. C’est bien plus que l’inflation, qui s’élève un peu plus de 20% sur huit ans. Bien plus que la hausse des salaires de sortie aussi, de l’ordre de 10 à 15%, si on en croit l’enquête de la Conférence des Grandes Écoles (CGE) de 2015.

Pour ce millésime 2024 de notre enquête, nous revenons sur les hausses notables cette année pour les étudiants et ce que cela représente en termes de financement pour les écoles. Faut-il le rappeler, ces droits de scolarité constituent la majorité des recettes des écoles de commerce.

Enfin, fait inédit, nous nous sommes penchés en profondeur sur la perception des étudiants vis-à-vis de ces hausses de frais de scolarité. La question se pose désormais avec force, à l’heure où l’enseignement supérieur voit une kyrielle de nouveaux acteurs émerger sur le marché et où la rentabilité de ces diplômes devient un enjeu majeur pour les jeunes actifs.

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Pourquoi les frais de scolarité augmentent ?

La question est légitime. Pas tant pour le simple fait qu’ils croissent bien sûr, mais plutôt à l’aune de l’écart grandissant entre ces hausses de frais d’une part, et les deux chiffres pertinents pour les mettre en perspective d’autre part : l’inflation et les salaires des diplômés. Il existe quatre facteurs majeurs pour les expliquer, que nous allons rapidement évoquer ici.

La fin des subventions de l’État

Elle a été progressive, mais est tout à fait entérinée aujourd’hui. Les Chambres de Commerce et d’Industrie (CCI) injectaient autrefois des sommes conséquentes dans les écoles de commerce situées sur leur territoire. Les coupes budgétaires ont obligé ces écoles à s’autonomiser financièrement, à l’inverse des autres écoles d’excellence (IEP, ENS, écoles d’ingénieurs) qui restent largement financées par l’État. Dans ces institutions, les frais de scolarité sont toujours substantiellement inférieurs au coût réel de formation d’un étudiant.

L’intensification de la concurrence

Outre les frais de scolarité, l’autre levier que peuvent actionner les Grandes Écoles pour augmenter leurs recettes consiste à augmenter les contingents au sein d’une promotion. C’est ainsi qu’une course à la taille critique s’est engagée, de sorte que toutes les écoles ne sont plus en mesure de pourvoir toutes leurs places (ce constat est aussi vrai pour les prépas que pour d’autres typologies d’étudiants, comme les AST, les MS/MSc) ou les bachelors). Cela a d’ailleurs un effet délétère sur les recettes des écoles du bas du classement. Nous y reviendrons.

Cette concurrence accrue a incité les écoles à investir massivement, notamment dans l’immobilier (modernisation ou déménagement pour leurs campus historiques en région, installation à Paris, internationalisation), et cela se répercute sur les frais de scolarité.

La prédominance des enseignants-chercheurs

Avec la mondialisation de l’enseignement supérieur au XXIe siècle, les organismes d’accréditations internationales (EQUIS, AACSB, AMBA) et les classeurs (le Financial Times notamment) ont cherché un moyen de distinguer objectivement des institutions pourtant éclectiques. Le critère de la recherche académique leur est alors apparu pertinent, car il se mesure aisément en fonction du nombre de publications dans des revues prestigieuses. Il en résulte une inflation du coût de la recherche, car les meilleurs enseignants-chercheurs sont, de fait, extrêmement courtisés par les écoles.

Le positionnement-prix des écoles

Dernier critère majeur : la question du prix relatif de ces formations. Les étudiants de prépa ayant une perception très partielle des écoles avant l’intégration, le “prix psychologique” a une grande influence sur l’idée qu’ils se font de ces dernières. Concrètement, une école N-ième au SIGEM va presque toujours se positionner au-dessus de l’école N-ième moins 1 en termes de tarif, ce afin d’affirmer son statut. Les deux écoles nettement moins chères que les autres du fait de leur statut public (IMT-BS) ou para-universitaire (EM Strasbourg BS) sont d’ailleurs en délicatesse sur le recrutement prépa depuis quelques années.

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PGE post-prépa : les frais de scolarité 2024 école par école

Nous comptabilisons ici les trois années de scolarité du PGE et les frais de césure. En revanche, nous négligeons un certain nombre de frais annexes payés par une proportion non négligeable d’étudiants (frais de rattrapages, cotisation d’associations, départ à l’étranger, etc.) mais difficilement harmonisables.

frais de scolarité 2024 école de commerce post-prépa

Cette année, la moyenne de 4% de hausse de frais de scolarité est une fois de plus atteinte, “grâce” notamment à HEC Paris qui passe de 61 700€ à 67 400€ (+9 %). Au-delà du top 10, on notera la hausse marquée de ICN et Excelia, qui souhaitent certainement souligner ainsi leur montée en gamme.

De fait, quatre groupes se dessinent clairement depuis quelques années :

  • Les Parisiennes, autour de 65k€ cette année
  • emlyon et l’EDHEC, proches des 60k€
  • SKEMA, seule au monde à 52k€
  • Le top 12, de Audencia à Rennes SB, entre 45k€ et 50k€

En bas du classement, il y a une dichotomie nette entre des écoles autour de 40k€ et celles nettement moins chères, dont le recrutement post-prépa se limite à quelques dizaines d’étudiants chaque année.

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Les recettes estimées des écoles pour 2024

Dans les faits, le chiffre global sera minoré par le fait que nombre d’écoles ne parviendront pas à pourvoir toutes leurs places. Si une simple multiplication du nombre de places par école avec les frais pratiqués par ces dernières laisse espérer une enveloppe de 357 090 540€ à se répartir entre les écoles sur toute la scolarité des intégrés 2024, la réalité devrait plutôt se situer autour de 330 millions d’euros (en tenant compte des cubes et des non-intégrés). Cet écart “expectations vs reality” s’est d’ailleurs grandement réduit cette année, puisque les écoles qui ne parviennent pas à remplir ont largement baissé le nombre de places ouvertes (-335 places entre 2023 et 2024).

La baisse du nombre de prépa fragilise les écoles d’excellence, qui trouvaient ici une manne d’étudiants réservée. L’enjeu sociétal est donc énorme, il s’agit ici d’un vrai choix de politique public pour soutenir (ou non) les écoles qui font rayonner la France dans les classements internationaux.

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L’évolution des frais de scolarité dans le temps

Le premier tableau donne l’évolution entre 2024 et l’année considérée, tandis que le second indique les évolutions d’une année à l’autre.

On observe ici une parfaite continuité avec les années précédentes. Il faut cependant noter deux stratégies différentes en matière de hausse de frais : certaines écoles préfèrent les augmenter de manière linéaire, tandis que les autres procèdent par “rattrapage” tous les deux ou trois ans. C’est typiquement le cas de SKEMA BS, par exemple.

Que pensent les étudiants des hausses de frais de scolarité ?

Je le disais en introduction, la hausse des frais de scolarité devient un sujet majeur. Cela fait bien longtemps, désormais, que les frais totaux pour un PGE post-prépa dépassent le salaire annuel brut en sortie d’études. Ce problème, qui se posait déjà avec force pour les étudiants boursiers, est désormais celui de la classe moyenne, pour laquelle les échéances de prêts deviennent un véritable fardeau. Si aucun étudiant (ou du moins très peu) ne renonce pour le moment à une école en raison des frais de sco, ces derniers influencent clairement le parcours des apprenants. Ils sont plus enclins à opter pour l’apprentissage, choisir des carrières plus rémunératrices, etc.

Un message que j’ai reçu cette semaine sur LinkedIn

Indubitablement, cette nouvelle réalité dénature en partie l’expérience étudiante. À quoi cela sert  d’avoir des parcours toujours plus riches et éclectiques si une partie des étudiants sont “confinés” à la finance et au conseil ? Peut-on encore créer un véritable esprit de promo (et le réseau, si important, qui en découle !)  lorsque la moitié de la promotion n’est plus sur site qu’une semaine par mois à partir du M1 ou du M2, et, qui plus est, sur l’excroissance parisienne de l’école ?

La généralisation des frais de scolarités différenciés selon les revenus des familles, que j’appelais de mes vœux dès 2018, est néanmoins une excellente chose qu’il faut mettre au crédit des écoles, et qui a permis de (ré)concilier excellence et justice sociale au moins partiellement.

Les résultats de notre enquête

C’est la première fois qu’une telle enquête est menée auprès de plusieurs centaines d’étudiants de prépa, et il sera donc intéressant de mettre l’évolution de ces chiffres en perspective au fil des années. Néanmoins, voici déjà quelques enseignements très forts de ce premier baromètre :

72 % trouve l’augmentation des frais anormale

Un chiffre qu’on peut interpréter aisément, car les prépas ne comprennent pas les causes profondes de ces hausses, évoquées en début d’article.

Deux étudiants sur trois veulent payer leur école le moins cher possible

Et pourtant… les moins chères sont boudées par les étudiants ! On pourra objecter qu’elles sont considérées comme moins bonnes. Pourtant, au sein de leur groupe concurrentiel, ces dernières ont plutôt tendance à sous-performer. C’est ce que nous indiquait Herbert Castéran, DG d’IMT-BS, il y a quelques semaine notre émission Le Thé du DG (voir à partir de 29:37)

La moitié des prépas souhaitent faire “le maximum d’alternance” en école

Autrefois considéré comme un parcours réservé aux études courtes, l’alternance s’est imposée dans toutes les écoles en quelques années du fait de trois facteurs majeurs : la hausse des frais de scolarité bien sûr, mais aussi le Covid, qui a dégradé l’expérience école pendant plusieurs mois, et, last but not least, la politique ultra-volontariste de l’État en matière d’alternance (avec les dérives que cela suppose).

Il y a une décorrélation entre les salaires réels à la sortie et ceux auxquels aspirent les prépas

Pour ne prendre qu’un seul chiffre, les prépas sont presque 9% à espérer gagner plus de 65 000€ bruts après leur école, tandis que ce salaire ne concerne que 2% des diplômés (sans doute davantage en proportion si on ne prend en compte uniquement les ex-prépas, mais tout de même).

L’article complet est à retrouver dans le Major 16 (mai 2024) :