La guerre froide (1947-1991) est une période historique qu’il te faut absolument maîtriser pour les concours. En B/L, elle tombe fréquemment en khôlle ou en dissertation. Pour les A/L, elle est au cœur du programme d’oral si tu passes l’ENS de la rue d’Ulm en 2023. Nous allons aujourd’hui nous pencher sur la culture comme enjeu central de la guerre froide.
La guerre froide : un conflit à dimension idéologique
Pour comprendre l’importance de la culture dans l’affrontement Est-Ouest, il faut avoir en tête que la guerre froide est marquée par la concurrence de deux idéologies. D’un côté, le libéralisme capitaliste américain, et de l’autre, le communisme soviétique.
D’après l’historien Stanislas Jeannesson (La Guerre froide, 2002), cette opposition joue un rôle « à la fois moteur et justificateur ». Elle va rythmer le conflit sur toute sa longueur. Soviétiques et Américains défendraient des systèmes de valeurs incompatibles, dont l’un finirait nécessairement par triompher.
Dès lors, on n’est pas seulement face à un conflit économique et territorial. La dimension culturelle est ici clé, puisqu’il faut convaincre l’autre du bien-fondé de ses positions. La guerre froide est donc aussi une guerre culturelle et d’information. Chacun veut incarner le « monde libre » et dénonce agressivement le modèle adverse. En résulte une opposition Est/Ouest qui, si elle n’est pas complètement fausse, reste plutôt caricaturale. Les deux systèmes se trouvent en effet présentés de façon souvent simpliste.
Il est aisé d’illustrer cette volonté de décrédibiliser l’adversaire et son idéologie. Par exemple, Soviétiques et Américains se pointent mutuellement du doigt comme les héritiers du nazisme. En URSS, on dénonce le capitalisme comme source de conflits : l’impérialisme américain d’après-guerre aurait pris le relais de l’expansionnisme nazi. Aux États-Unis, les universitaires spécialisés en science politique développent le concept de totalitarisme, permettant un rapprochement entre les modèles stalinien et hitlérien.
Une culture de guerre froide ?
Nous avons vu qu’un combat idéologique est à l’œuvre de 1947 à 1991. Il implique toutes les populations et les sociétés, et mobilise largement la culture. Celle-ci permet, aux Soviétiques comme aux Américains, de véhiculer leur système de représentations du monde.
Le soft power, défini par le géopolitologue américain Joseph Nye comme « l’habileté à séduire et à attirer », va jouer un rôle majeur. L’URSS porte le flambeau de l’antifascisme et les États-Unis cherchent à promouvoir l’American Dream.
Cette opposition passe évidemment par la propagande. Jeannesson rappelle cependant que celle-ci est peu efficace. D’après lui, la « culture de guerre froide », c’est avant tout des comportements et des représentations du monde. Elle est « d’autant plus prégnante qu’elle est appropriée et intériorisée ». Les discours patriotiques et les postures idéologiques investissent le quotidien. Chacun doit être « sincèrement persuadé de la supériorité de son système sur celui de l’autre et du caractère inéluctable de la victoire finale ». Un bon exemple de la dimension quotidienne de cette culture de guerre froide est la diffusion de marques comme Coca-Cola ou de produits comme le blue jean ou le chewing-gum en Europe à la suite du Plan Marshall. L’intelligentsia européenne procommuniste dénonce d’ailleurs une « Coca-colonisation ».
Il faut cependant bien nuancer le caractère politique de certaines productions ou de certains évènements. Par exemple, en 1972, l’Américain Bobby Fischer bat le Russe Boris Spassky, mettant fin à l’hégémonie soviétique sur les compétitions internationales d’échecs. Le « match du siècle » revêt une dimension politique. Il est largement évoqué dans les médias et Henry Kissinger, conseiller diplomatique du gouvernement américain, appelle Fischer pour le convaincre de participer à la compétition.
On peut néanmoins remettre en cause l’intention politique des deux champions. Ils déclarent s’estimer mutuellement et refusent de jouer le rôle qu’on souhaite les voir endosser, puisqu’ils privilégient les enjeux sportifs du match. La dimension politique réside ici davantage dans la réappropriation du « match du siècle » par les gouvernements étasunien et soviétique.
Quelles différences entre l’Ouest et l’Est pour ce qui est de la culture de guerre froide ?
Soviétiques comme Américains poursuivent les deux mêmes objectifs :
- diffuser ses idées dans le camp d’en face ;
- assurer une certaine cohésion idéologique interne : il faut mobiliser sa propre population.
L’entreprise peut sembler plus aisée pour l’URSS que pour les États-Unis. À l’Est, la liberté d’expression n’est pas garantie. Les journaux, les radios, les syndicats, les arts et la culture sont pour l’essentiel officiels. Les États communistes semblent pouvoir influencer plus facilement leur population et éviter la contagion des idées occidentales.
À l’inverse, il existe une liberté d’expression à l’Ouest. Aux États-Unis, il s’agit même du premier amendement de la Constitution. Les yankees doivent composer avec ce principe démocratique fondamental s’ils veulent assurer une cohésion idéologique au sein de leur camp. En découlent des situations paradoxales et tendues, par exemple sous l’hystérie anticommuniste maccarthyste entre 1947 et 1957.
Au sein du bloc de l’Est, l’essentiel des produits culturels et des médias occidentaux se diffuse de façon très contrôlée et informelle. Il existe de nombreuses radios clandestines, comme « Voice of America » ou « Free Europe ». Des produits culturels circulent via le marché noir. L’empire de l’Américain Elvis Presley s’étend jusqu’à Moscou grâce à des copies pirates de ses enregistrements qui s’achètent 100 $ au marché noir.
Dans le bloc de l’Ouest, la diffusion de l’idéologie socialiste peut sembler plus facile. Les Soviétiques peuvent s’appuyer sur les partis communistes locaux, des organes de presse ou des maisons d’édition. En France, on peut citer le Parti communiste français (PCF) ou le quotidien L’Humanité.
Comme le rappelle Jeannesson, la diffusion des idées soviétiques n’est pas facile pour autant. Si les partis communistes sont puissants en France ou en Italie, leurs effectifs réduisent comme peau de chagrin aux États-Unis, notamment grâce au maccarthysme. En RFA, le PC est carrément interdit par la Cour constitutionnelle entre 1956 et 1968.
Quelles formes prend la culture de guerre froide ?
Les milieux littéraires
À l’Ouest, de nombreux intellectuels et hommes de lettres s’engagent pour le communisme ou du moins contre le capitalisme et l’américanisme. On peut prendre l’exemple du Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR), un parti politique éphémère des années 1940. Il compte dans ses rangs des figures comme Jean-Paul Sartre ou Maurice Merleau-Ponty.
La diffusion de livres venus de l’Est et dénonçant les vices et les crimes du régime soviétique joue un rôle clé dans l’idéologie anticommuniste occidentale. On peut citer L’Archipel du Goulag de Soljenitsyne. Paru en 1973, il participe selon Stanislas Jeannesson d’un éloignement progressif de l’intelligentsia occidentale communiste avec Moscou.
Un autre évènement illustre bien le rôle politique de certaines productions littéraires pendant la guerre froide. En 1958, l’Académie suédoise accorde le prix Nobel de littérature à Boris Pasternak. Cette décision est motivée par la publication à l’Ouest du Docteur Jivago l’année précédente. En raison notamment de ses positions indépendantes par rapport à la Révolution russe, le manuscrit avait été interdit en URSS. Il aurait prétendument été publié grâce à l’aide de la CIA.
Les autorités soviétiques entament une violente campagne anti-Pasternak, dénoncé comme un « agent de l’Occident capitaliste ». L’auteur se voit menacé de ne pas pouvoir rentrer en URSS s’il va recevoir sa récompense à Stockholm. Pasternak n’ira donc jamais chercher son prix. Docteur Jivago ne paraît qu’en 1985 sous la perestroïka, période d’ouverture de l’URSS au moment du déclin du Bloc de l’Est.
Le cinéma
En tant que média de masse, le cinéma joue un rôle prépondérant. Il permet la mise en scène des différents modèles et donc d’en promouvoir certains ou d’en déprécier d’autres. Jeannesson insiste à ce sujet : il existe un grand décalage entre l’Est et l’Ouest.
Dans le bloc atlantiste, la guerre froide est omniprésente. On peut prendre l’exemple des nombreux James Bond (Bons baisers de Russie, en 1963), mettant en scène les communistes comme les méchants du film, ou encore Rocky IV de Sylvester Stallone (1985). Le héros s’oppose à Ivan Drago, un combattant venu d’URSS et incarnant la froideur et l’inhumanité de l’URSS. Aux États-Unis, on produit non seulement des films dénonçant l’Est, mais on lutte aussi contre les communistes présents dans l’industrie du cinéma. Sous le maccarthysme, une liste noire à Hollywood circule. Des artistes soupçonnés de sympathie avec le parti communiste américain se voient refuser tout emploi.
À l’Est, on parle moins de la guerre froide, mais le cinéma n’en est pas moins utilisé à des fins de propagande. En 1946 est entamée la période du « jdanovisme » du nom d’Andreï Jdanov, proche de Staline qui joue un rôle majeur dans la politique culturelle soviétique. La production cinématographique est largement contrôlée par le régime qui favorise des films valorisant le régime.
Peu de films sont produits et on parle parfois de « l’époque du manque de films » ou « Epokha Malokartinia ». On a parfois parlé d’un « dégel du cinéma soviétique » à la mort de Staline en 1953. À en croire l’historienne Natacha Laurent, la reprise n’a pas l’envergure qu’on a voulu lui donner par la suite. En 1958, la Palme d’or remportée à Cannes par Mikhaïl Kalatozov pour Quand passent les cigognes illustre cependant bien la période de la coexistence pacifique.
La radio, une arme médiatique
Lénine parlait de la radio comme du « journal sans papier ni frontières ». De fait, celle-ci va jouer un rôle essentiel tout particulièrement dans la diffusion informelle vers l’Est des idées capitalistes et libérales.
Dès 1946, la BBC lance un programme quotidien d’une heure en russe. Elle propose des bulletins d’information et des leçons d’anglais. En 1947, en parallèle de la Doctrine Truman, la radio « Voice of America » lance des émissions russophones et bénéficie de crédits considérables. Elle se fait le relais d’un anticommunisme particulièrement virulent sous l’ère maccarthyste. Cette stratégie suit la logique déployée par Eisenhower en 1955 : « Le jour où les peuples communistes seront aussi bien informés que ceux des nations libres, les révoltes spontanées naîtront et renverseront le communisme. »
À en croire Jean Delmas et Jean Kessler (1999), il est difficile d’évaluer les effets de cette propagande occidentale sur les populations à l’Est. Néanmoins, on sait que l’URSS a cherché à brouiller les ondes et a même fait de l’écoute d’une radio étrangère un « crime idéologique » à partir de 1948. On peut en déduire que l’audience était suffisamment importante pour que le régime soviétique se sente menacé.
L’URSS cherche aussi à lancer ses propres radios à l’international. On peut citer Radio Moscou, tournée vers l’international dès 1929. Des services en langue anglaise et même en français sont développés pendant la Seconde Guerre mondiale. En réalité, cette radio n’a qu’un impact très réduit. Elle encaisse par ailleurs mal les soubresauts de la déstalinisation. Il ressort que les États-Unis sont les grands vainqueurs de la guerre médiatique.
La musique et le spectacle vivant
Les Soviétiques sont particulièrement présents dans le domaine du spectacle vivant. Les Tournées des Chœurs de l’Armée Rouge attirent des milliers d’Occidentaux. Fondés en 1928, ces groupes censés appuyer l’armée deviennent la vitrine du soviétisme triomphant. Ils voyagent dans l’Ouest en apportant le drapeau, l’étoile rouge, la faucille et le marteau. Les symboles de la Révolution se diffusent. On peut également citer les ballets du Bolchoï et le Cirque de Moscou qui mettent en avant l’image d’une Russie pacifique.
Pour les Américains, la musique en tant qu’art populaire joue un rôle clé dans le soft power. Le jazz et le rock envahissent l’Europe entière et menacent de subvertir la jeunesse socialiste. Les radios qu’on a évoquées plus haut diffusent des chansons en anglais. Cela permet par exemple à la Beatlesmania de gagner l’Est. Ces exportations déplaisent en URSS, où des « brigades de la musique » traquent les rockers locaux. Les membres d’AC/DC sont condamnés pour « néofascisme » et Tina Turner pour pornographie. Le phénomène ne s’en trouve pas pour autant endigué.
On aurait aussi pu parler du sport qui est au cœur de la guerre froide. N’hésite pas à consulter l’article consacré au sujet, ainsi que sa deuxième partie juste ici !
En conclusion
La culture est au cœur de la guerre froide. Elle véhicule les différentes idéologies qui se font face. Par ailleurs, les échanges culturels Est/Ouest plus ou moins fluides illustrent bien les relations instables entre les deux blocs.
Si les différentes séquences de la guerre froide de « la Détente » à la « Guerre fraîche » en passant par la perestroïka ne te sont pas familières, n’hésite pas à consulter nos autres articles qui les décryptent plus précisément !