union européenne

Jean Monnet (1888-1979) est bien l’acteur incontournable de la construction européenne et, à ce titre, une figure clé des relations internationales post-Seconde Guerre mondiale. S’il est devenu le père de l’Europe, il ne se destinait pourtant pas à une carrière politique. Il arrête ses études à 16 ans pour se consacrer à l’entreprise familiale, puis s’engage dans une carrière d’homme d’affaires et de financier international. Cet article retrace les événements majeurs de sa vie pour comprendre son rôle dans la construction européenne.

Introduction

Problématiques possibles

Comment expliquer l’influence majeure des idées de ce haut fonctionnaire français dans les orientations diplomatiques de la France et de l’Europe d’après-guerre, alors même que son statut d’homme d’affaires semblait devoir le confiner à un rôle de technicien compétent ? 

Mais aussi, comment expliquer que, malgré la réussite de ses réalisations pour consolider l’Union européenne, son projet global d’Europe fédérale ne soit quant à lui pas suivi ?

Ce plan détaillé te permettra d’y voir plus clair sur la vie de cette figure importante du programme. Ces informations illustrent toujours des idées qui s’articulent entre elles en vue de répondre à la problématique.

Plan détaillé

I. Jean Monnet, fils de commerçant, met rapidement ses compétences acquises dans l’entreprise familiale au service de l’ordre international

A) Jeune, il acquiert des compétences techniques dans le domaine du commerce international et des atouts certains pour un futur rôle diplomatique

  • Charentais originaire de Cognac, son père travaille dans le commerce d’alcool : le cognac est un des premiers secteurs français à être très internationalisé.
  • Il interrompt ses études avant son baccalauréat, à 16 ans, pour travailler dans l’entreprise paternelle. À 18 ans, Jean Monnet s’installe à Londres et voyage ensuite plusieurs fois en Amérique du Nord pour l’entreprise.
  • D’où une parfaite maîtrise de l’anglais, une très bonne connaissance des Anglo-Saxons et de l’optimisation de l’affrètement maritime.

B) C’est son savoir-faire économique qui le conduit à des postes d’influence au sein de structures multiétatiques

  •  En 1914, à peine âgé de 26 ans et fort de son expérience d’affréteur maritime, Jean Monnet obtient un entretien avec le président du Conseil, René Viviani, et lui décrit le gâchis que représente l’utilisation désordonnée des flottes marchandes françaises et britanniques. Il le convainc de la nécessité de créer un pôle maritime franco-britannique, pour optimiser les transports de vivres, de munitions et de matières premières. Il est nommé, en 1916, responsable de la coordination des ressources interalliées pour le reste de la Première Guerre mondiale.
  • En 1919, Jean Monnet est un des artisans de la création de la Société des Nations (SDN), dont il est le secrétaire général adjoint (numéro 2). Ses convictions quant au maintien de l’ordre international grâce à la création de structures supranationales se dévoilent.
  • Il démissionne pourtant en 1923 pour rejoindre l’entreprise paternelle, en difficulté à cause de la prohibition. Il la modernise, puis s’engage dans une carrière d’homme d’affaires et de financier international, entre les États-Unis et la France.

C) C’est la Seconde Guerre mondiale qui consacre sa place singulière dans les relations internationales, à la fois homme d’influence et technicien discret

  • Avant l’entrée en guerre, Édouard Daladier désigne Monnet comme intermédiaire avec le président Roosevelt pour arranger la commande et la livraison d’avions militaires américains à la France qui souffrait d’un grave déficit dans ce domaine. Après l’entrée en guerre, Monnet préside le Comité de coordination visant à mettre en commun les capacités de production de la France et du Royaume-Uni, en vue de préparer et de coordonner l’effort d’armement.
  • Après la défaite française, il adopte une position marginale par rapport aux autres Français, mais non moins efficace, en vue de ramener l’ordre international :
    • Il se met à la disposition du gouvernement britannique. Churchill lui demande alors de remplir pour le Royaume-Uni les mêmes fonctions que celles qu’il occupait pour le Comité de coordination franco-britannique. 
    • Il fréquente également à Londres un cercle d’amis proches de Roosevelt et cherche donc à le convaincre de sortir de ses positions isolationnistes.
    • Jusqu’en 1945, il s’emploie à coordonner l’effort de guerre entre le Royaume-Uni et les États-Unis. John Maynard Keynes dit de lui qu’il avait abrégé la guerre d’un an !

II. Fort des réussites qu’il a à son actif et d’une position influente, Monnet dispose des moyens après 1945 pour mettre en place ses idées atlantistes, libre-échangistes et européennes, selon sa stratégie propre

A) Malgré son opposition pendant la guerre avec De Gaulle, il représente un lien stratégique avec les Anglo-Saxons et s’impose à ce titre dans le paysage politique français d’après-guerre

  • Il participe au gouvernement provisoire de juin 1944. En mission pour celui-ci aux États-Unis, où Monnet garde des contacts nombreux et influents, il négocie les accords du prêt-bail et les premiers accords de crédit pour 1945.
  • Il est le père de la planification à la française : son but est d’insuffler du dynamisme, pas d’imposer des objectifs. Il est chargé par le général De Gaulle du plan pour relancer l’économie, en tant que commissaire au Plan (1945 à 1952), dans le cadre des prêts américains du plan Marshall.

B) Les responsabilités qui lui sont confiées lui donnent l’occasion d’exprimer ses convictions libre-échangistes et atlantistes (qui lui valent des critiques)

  • Dès 1943, ses projets pour l’Europe intègrent les exigences américaines concernant les suppressions des droits de douane et des contingentements européens, ainsi que la création d’une « unité économique commune ».
  • Il est, avec Léon Blum, le négociateur de l’accord Blum-Byrnes de 1946, qui ouvre le territoire français à la production cinématographique américaine.
    • À ce titre, on lui reproche d’être au service des intérêts américains (De Gaulle le critiquera vertement).
    • Pourtant, cela correspond à des convictions profondes quant aux moyens d’assurer un nouvel ordre international (cf. discours de 1950 où Jean Monnet déclare : « La prospérité de notre communauté européenne est indissolublement liée au développement des échanges internationaux. »)

C) Mais, avant tout, Monnet fait de la construction européenne l’œuvre de sa carrière

  •  Au printemps 1950, il présente son projet de mise en commun du charbon et de l’acier (principaux matériaux d’une industrie de guerre) entre la France et l’Allemagne à Robert Schuman. Ce dernier s’assure de l’accord du chancelier allemand, Konrad Adenauer, et fait, le 9 mai 1950, une déclaration solennelle pour inviter tous les pays intéressés à poser « les premières bases concrètes d’une fédération européenne ». 
    • C’est une façon d’éviter de nouveaux conflits dans une Europe qui a besoin d’être unie dans le contexte de la Guerre froide
    • L’Europe des Six est le seul moyen de lier l’Allemagne et la France, et de désamorcer la renaissance d’une rivalité séculaire, en mettant en commun les productions de l’acier et du charbon.
  • La CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) est créée et Jean Monnet devient (de 1952 à 1955) le premier président de la Haute Autorité de la CECA.
  • Il joue également un rôle clé dans l’élaboration du traité de Rome en 1957.

III. Pourtant, alors que ses réalisations n’étaient à ses yeux que des moyens en vue d’une fin plus grande (Europe fédérale), sa vision globale de l’Union européenne ne s’impose pas

A) Ses projets pour aller plus en avant vers la construction d’une Europe fédérale échouent

  • L’échec de son projet d’armée européenne qui avait pris la forme du projet de la FED (rejeté par les Français en 1954) le conduit à démissionner de la Haute Autorité.
  • Il fonde alors le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe pour poursuivre son activité en faveur de l’unité européenne.
    • Il y prône une fédération européenne et propose de placer le siège des institutions communautaires dans un « district fédéral » échappant aux souverainetés nationales. Jean Monnet l’anime jusqu’en 1975.
    • Il travaille sur les projets de traité pour le Marché commun et d’Euratom (qui privilégie une filière américaine d’approvisionnement contre l’indépendance nucléaire française), projets qui aboutissent au traité de Rome, le 25 mars 1957, et sur le projet d’élargissement de la Communauté au Royaume-Uni.

B) Cela s’explique par l’importance accordée par les Français à la souveraineté, marque personnelle du général De Gaulle dans la vie politique du pays

  • Après l’humiliation de la défaite de 1940 pour les Français et la période de dépendance vis-à-vis des Alliés qui a suivi, le général De Gaulle marque l’après-guerre par la primauté de la souveraineté. Dans tous les domaines, la France cherche à affirmer sa souveraineté (en matière constitutionnelle, économique, mais aussi dans la définition de la structure européenne).
    • Souveraineté parfois au-dessus des moyens de la France d’après-guerre, comme le souligne Pierre Mendes France lors de sa retentissante démission du ministère de l’Économie et des Finances en 1945. Il dénonce le fait que la France clame ce désir de souveraineté sans s’en donner les moyens réels (rejet de son plan de rigueur par le général De Gaulle).

C) C’est donc en tant que « père de l’Europe » que Jean Monnet passe à la postérité, formule qui passe sous silence ses vues fédéralistes déçues pour l’Europe

  • Le 2 avril 1976, le Conseil européen de Luxembourg décerne à Jean Monnet le titre de « citoyen d’honneur de l’Europe », et il est considéré comme un des pères fondateurs de l’Union européenne.
  • Il est panthéonisé par Mitterrand en 1988.

Citations

  • Jean Monnet parle de son mariage comme de « la plus belle opération de sa carrière », dévoilant ainsi son âme de commerçant (et le rôle de conseil en effet important de sa femme).
  • Discours de 1950 : « La prospérité de notre communauté européenne est indissolublement liée au développement des échanges internationaux. » On y voit sa conception du commerce comme moyen d’établir des liens diplomatiques solides et ses convictions libre-échangistes.
  • Il résume la philosophie de son projet européen dans la formule : « Nous ne coalisons pas les États, nous rassemblons les hommes », et s’affirme comme partisan du fédéralisme européen.

Conclusion

L’entièreté du plan de Jean Monnet pour l’Europe (fédérale et atlantiste) n’aboutit pas du fait de l’opposition ferme d’importantes personnalités politiques. De Gaulle n’hésita pas à le traiter de « petit financier à la solde des Américains » pour critiquer son atlantisme. Unioniste et non fédéraliste, De Gaulle dit également que la Commission européenne devait être « une commission commune qui ne soit naturellement pas constituée avec des Jean Monnet, des apatrides soi-disant supranationaux, mais avec des fonctionnaires qualifiés ».

La postérité rend honneur à Jean Monnet comme père de l’Europe et homme d’action efficace. En témoigne cette citation de Jean-Pierre Raffarin (Premier ministre de Jacques Chirac) : « Dans notre monde, j’en rencontre beaucoup qui veulent être quelqu’un. Moi, je me sens plutôt dans le camp de ceux qui, comme Jean Monnet, veulent faire quelque chose. »