intellectuels

Le lendemain de « J’accuse », le 14 janvier 1898, L’Aurore publie ce qui sera un peu vite baptisé le « Manifeste des intellectuels », avec les signatures d’Émile Zola, de Marcel Proust et d’Anatole France, mais aussi celles d’Andler, Lucien Herr et Jean Perrin. Il ne s’agit donc plus seulement des gens de lettres, puisque la figure différenciée du savant entre en scène. Cette fiche te résume par conséquent le rôle des grands intellectuels français depuis cette période pour agrémenter tes copies de références incontournables !

Introduction

Selon Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, dans Les Intellectuels en France, l’intellectuel est « un homme du culturel, créateur ou médiateur, mis en situation d’homme du politique, producteur ou consommateur d’idéologie ». Plus simplement, un intellectuel est un homme ou une femme qui est tourné(e) vers les activités de l’esprit. De fait, la construction d’un enseignement supérieur dans les années 1880 a rendu cette diversification possible : les « maîtres de la Sorbonne » sont désormais en première ligne, mais pas seulement.

Qui sont les intellectuels français au XXe siècle ? Quelles sont leurs revendications ? Comment les intellectuels sont-ils vus en France ? Y a-t-il une unité, ou bien une divergence entre les intellectuels en France au XXe siècle ?

Les intellectuels au début du XXe siècle : émergence d’un nouvel univers intellectuel après la Belle Époque

A) L’émergence des intellectuels dans la vie politique française

Les premiers engagements des intellectuels ont lieu durant l’affaire Dreyfus. La figure de l’intellectuel est alors celle de l’homme engagé, qui devient une figure incontournable des événements sociaux et politiques majeurs.

Durant la Première Guerre mondiale, les Pacifistes affirment le rôle des intellectuels au sein de la société française, notamment leur pouvoir de dénonciation et leur devoir de prendre position face à la guerre. En septembre 1914, Romain Rolland, prix Nobel en 1915, dénonce la guerre dans Au-dessus de la mêlée. Il est contraint de s’exiler en Suisse en raison de ses prises de position.

L’antigermanisme se développe alors fortement. En 1914, Henri Bergson écrit : « La lutte engagée contre l’Allemagne est la lutte même de la civilisation contre la barbarie. Tout le monde le sent, mais notre Académie a peut-être une autorité particulière pour le dire. Vouée en grande partie à l’étude des questions psychologiques, morales et sociales, elle accomplit un simple devoir scientifique en signalant dans la brutalité et le cynisme de l’Allemagne, dans son mépris de toute justice et de toute vérité, une régression à l’état sauvage. »

B) Les intellectuels français, influents à l’échelle mondiale

L’influence des intellectuels, mais aussi plus généralement de la vie culturelle française, est considérable. Le français est la langue la plus parlée avant 1914, à la cour de Prusse par exemple.

La culture se développe par les salons littéraires et artistiques, à l’image de Proust dans le salon de Mme Madeleine Lemaire, mais aussi grâce à l’essor de la presse (250 journaux quotidiens) à la Belle Époque, et à l’émergence de grands prix récompensant les intellectuels, en particulier le prix Goncourt (1903).

C) Des grandes divisions entre intellectuels

Ces grands débats d’idées portent sur deux sujets principaux.

Tout d’abord, l’éducation. Pour Jules Ferry, « il faut organiser l’humanité sans Dieu et sans roi », ce qui suscite l’indignation des catholiques. Plus encore, Marie Curie, une des plus grandes physiciennes françaises, défend l’instruction des femmes malgré une opposition importante.

D’autre part, de nombreux débats sur la religion et la laïcité. C’est l’opposition entre le scientisme (« la science explique le mécanisme de l’Univers ») de Renan, dans L’Avenir de la France, et les idées de Bergson qui remet en cause le scientisme pour ne pas réduire le champ de pensée philosophique.

Les intellectuels émergent ainsi comme véritables leaders d’opinion.

Les intellectuels dans l’entre-deux-guerres

A) Un engagement politique et social des intellectuels qui développe des clivages

La Première Guerre mondiale fait perdre à la France ses intellectuels : 50% des normaliens décèdent durant le conflit. Des oppositions émergent dans le panorama des intellectuels français.

D’un côté, les adhérents au marxisme, à l’image d’André Gide qui déclare dans son Journal, le 23 avril 1932 : « S’il fallait ma vie pour assurer le succès de l’URSS, je la donnerais aussitôt. » Au début des années 1930, il s’intéresse au communisme et s’enthousiasme pour l’expérience soviétique. Il reçoit le prix Nobel en 1947 . Le Parti communiste français profite de ce succès. Gide crée ou élargit les rubriques culturelles de sa presse, les Éditions sociales internationales, permettant de renforcer sa crédibilité intellectuelle.

À l’inverse, les intellectuels d’extrême droite s’engagent, comme le 6 février 1934. Ils s’inscrivent dans un réseau plus vaste que le réseau français. Drieu la Rochelle est par exemple invité en Allemagne à Nuremberg au congrès du Parti national-socialiste. L’Action française dispose par ailleurs d’un grand rayonnement intellectuel, de cadres idéologiques et de structures d’accueil très présents en milieu universitaire. Elle a acquis une certaine respectabilité pendant la guerre et apparaît comme l’aile droite du Parti conservateur et nationaliste que soutenait Poincaré. Elle prône une politique intransigeante face à l’Allemagne et se présente comme un rempart efficace contre le communisme. Un véritable relais de génération s’effectue, avec l’adhésion de Brasillach, par exemple. 

B) L’action des intellectuels face à la montée du totalitarisme

De nombreux intellectuels s’insurgent de la montée du totalitarisme durant l’entre-deux-guerres. Ils critiquent aussi le fascisme et le nazisme : « Nous essayons de comprendre des faits qui dépassent tout simplement nos capacités de compréhension : nous n’avons rien à quoi nous référer », déclare Arendt. Autre exemple ; Aron, qui, dans L’Opium des intellectuels, dénonce l’aveuglement et la bienveillance des intellectuels à l’égard des régimes communistes.

Les intellectuels communistes sont obligés de remettre en cause leur soutien à Staline. Par exemple, Gide, qui en 1936 est invité en URSS par les autorités soviétiques : au lieu de l’homme nouveau, il ne trouve que le totalitarisme. Il déchante et dénonce le stalinisme. C’est aussi le cas d’Éluard, exclu du Parti communiste à la fin de l’année 1933. Il se fait alors ambassadeur du surréalisme et voyage en Europe, afin de dénoncer le fascisme.

C) L’impact de la Seconde Guerre mondiale

Durant l’Occupation, l’abolition des libertés de réunion et d’association ainsi que la censure rendent la tâche des intellectuels plus compliquée.

Une véritable Résistance des intellectuels s’installe, avec des maisons d’édition intégralement clandestines (Éditions de Minuit), ou des contournements de la censure, notamment avec des œuvres et des pièces parodiques, qui dénoncent indirectement l’Occupation. 

Éluard écrit par exemple vingt et une strophes de Liberté, publiées dans le premier numéro de la revue Choix, qui sera parachutée par les avions anglais à des milliers d’exemplaires au-dessus de la France.

Suite à la Collaboration, une épuration conduit à l’exil un certain nombre d’intellectuels. Céline, qui avait rejoint en 1944 le gouvernement en exil du Régime de Vichy, s’exile ainsi au Danemark. Le journaliste et homme de lettres, qui, sous l’Occupation, était devenu rédacteur en chef du journal collaborationniste et antisémite Je suis partout, sera jugé pour « intelligence avec l’ennemi », condamné et fusillé.

La Défaite de 1940 puis la Libération mènent à une déroute de la confiance et à la désillusion pour beaucoup d’intellectuels devant la faiblesse de la France. Ils partent alors à la recherche d’une nouvelle identité.

Les intellectuels après la Seconde Guerre mondiale : engagement et nouveaux défis

A) Le monopole intellectuel communiste durant la guerre froide

L’engagement dans la guerre froide concerne de nombreux intellectuels. Cependant, il s’agit d’un véritable monopole intellectuel communiste (Camus, Malraux…). 

Le PCF était alors le premier parti de France et bénéficiait de beaucoup de prestige auprès des intellectuels, appelés « compagnons de route », à l’instar de Sartre ou de Picasso. R. Rémond affirme alors : « La gauche domine sans partage et triomphe sans rivale. »

Cela s’illustre principalement durant l’Affaire Kravchenko, dans laquelle le principal intéressé publie J’ai choisi la liberté (1946), vendu à 500 000 d’exemplaires. Accusé par Les Lettres françaises d’être un imposteur, Kravchenko va jusqu’à porter plainte devant la justice française pour diffamation.

Dans les années 1950, les idéologies de gauche restent prégnantes chez les intellectuels (Aragon, Éluard). Le Parti communiste français remporte ¼ des suffrages. En 1956, le PCF apporte son soutien à l’URSS lors de la répression menée contre l’insurrection antisoviétique en Hongrie. De nombreux intellectuels français commencent à se détacher du parti français, comme Edgar Morin ou encore Jean-Paul Sartre.

En 1974, la parution en français de L’Archipel du goulag, de Soljenitsyne, entraîne néanmoins un séisme sans précédent dans la vie politique et intellectuelle française. Les intellectuels se détournent du Communisme et les Français des Intellectuels.

B) L’émergence de nouveaux profils d’intellectuels en France

Ces « nouveaux » intellectuels se distinguent non pas pour leurs actions sociales ou leurs revendications, mais bien par leur profil. Ce sont par exemple les femmes, comme Françoise Giroud ou Simone de Beauvoir, ou encore les enfants de classes populaires, à l’image d’Annie Ernaux. Ces profils émergent grâce à la démocratisation scolaire, ouvrant l’instruction supérieure à un nombre toujours plus important de Français. 

Par exemple, en octobre 1945, est créée l’École nationale de magistrature, sous l’impulsion de Michel Debré. Cette école forme les futurs employés de cabinets ministériels et dispose d’un système de bourses, dans un objectif de diversité des profils.

Les actions sociales demeurent nombreuses après la Seconde Guerre mondiale, notamment en mai 1968 (refus des Mandarins) et durant la guerre d’Algérie. À la fin de 1960, Sartre fait circuler ce qui est devenu célèbre sous le nom de Manifeste des 121, « la Déclaration du droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie », qui dénonçait cette dernière.

C) La crise des intellectuels ?

Malgré la démocratisation scolaire et l’émergence de nouveaux profils, les intellectuels connaissent une baisse d’influence.

Plusieurs raisons permettent de l’expliquer. D’une part, la rivalité de la télévision et l‘ère des médias, remettant en cause le rôle des intellectuels dans la société. Le nouvel intellectuel se rapprochant désormais plus de la vedette. D’autre part, la construction européenne, qui marque un certain élitisme, puisque seuls les intellectuels et politiques sont concernés. Les Français n’ont pu s’exprimer directement qu’en 1992 et en 2005. Pourtant, l’Union était déjà très avancée avant Maastricht (51 % de « oui » seulement), et, en 2005, les 56 % de « non » des Français n’ont pas été respectés.

Finalement, l‘effondrement de l’URSS, doublé des désillusions comme celle connue par Soljenitsyne en 1974, implique le fait que de nombreux intellectuels de gauche se sentent désormais « orphelins ».

Conclusion

Le rôle des intellectuels évolue considérablement tout au long du XXe siècle. L’avenir de cette position apparaît peu clair, ce qui rendrait cohérente l’expression de « crise » des intellectuels.

Ainsi, dans Éloge des intellectuels, en 1987, Bernard-Henri Lévy écrit : « Les dictionnaires de l’an 2000 ne risquaient-ils pas d’écrire : intellectuels : nom masculin, catégorie sociale et culturelle morte à Paris à la fin du XXe siècle. » Il émet ainsi une crainte quant à la disparition des intellectuels en France.