Dans le cadre du programme de spécialité histoire-géographie de l’ENS de Lyon de la session 2024 (« L’Orient romain de 66 avant notre ère à 235 de notre ère »), nous te proposons un article qui pose les grands jalons de cette question. Impossible d’aborder un programme d’histoire sans avoir une idée des événements qui précèdent la période traitée, surtout quand le sujet est aussi particulier. Connaître l’histoire romaine est une chose, maîtriser les liens que Rome entretient avec l’Orient en est une autre. Voici donc une petite introduction à l’Orient romain pour te contextualiser la période. On va te présenter les piliers du fonctionnement de l’Orient ainsi que les éléments capitaux dont il te faudra surveiller l’évolution au fil de l’année. Bonne lecture !
Introduction
Si l’Orient est l’endroit où le soleil se lève (orior, qui donne oriens, signifie « se lever »), il est d’abord, pour Rome, le lieu où tout a commencé. Troie, la cité d’origine d’Énée, père mythique de Rome, se situe bien en Orient (probablement dans l’actuelle Turquie). Profitons de ce détail pour poser la question des limites de l’Orient : de quoi parle-t-on lorsque l’on parle d’Orient romain ?
La division de l’Empire romain en deux, un Empire romain d’Occident et un d’Orient, en 293 par l’Empereur Dioclétien (confirmée un siècle plus tard) place la frontière entre les deux parties de l’Empire au niveau de l’actuelle Albanie, du Monténégro. Cela correspond (à peu près) à l’époque à l’Illyrie. Déjà, Octave et Marc-Antoine concluaient le pacte de Brindisi en 40 av. J.-C. Ils se partageaient le contrôle de l’Empire en définissant comme frontière la capitale de l’Illyrie : Scodra.
On considérera donc que l’Orient romain correspond à tous les territoires romains (ou sous influence romaine) qui se situent à l’est de Scodra. Cela correspond à une zone géographique qui s’étend de l’Illyrie à la Judée, en passant par l’Égypte et Cappadoce au nord (cf. la carte ci-dessous). L’Orient romain est donc un immense territoire et c’est le monde grec qui en est le centre géographique comme culturel.
L’Orient romain au Ier siècle, Claudine Brignon
La taille de ce territoire peut déjà présager de l’importance du rôle qu’il joue pour Rome, mais elle n’est pas le seul élément qui confère à l’Orient romain son caractère exceptionnel.
Cet article tâchera de te proposer quelques pistes en ce sens, avec pour point de départ de cette introduction, le début du Ier siècle avant J.-C. Période à laquelle les rapports avec l’Orient s’intensifient, donnant à l’Orient sa place prépondérante.
L’Orient romain : de quoi parle-t-on ?
Avant d’entrer dans les détails des événements qui ont pu survenir entre le début du Ier siècle av. J.-C. et –66, date du début de ton programme, il s’agirait d’avoir une vision un peu plus précise de ce qu’est l’Orient romain, de ce que sont ses territoires, de ce que l’Orient représente pour Rome et de son administration.
Une diversité de territoires
Géographiquement, l’Orient romain ne peut pas être considéré comme une entité politique. C’est simplement le nom sous lequel on englobe plusieurs territoires, mais ces derniers sont en réalité assez différents à divers niveaux.
Tout d’abord, l’Orient romain compte des territoires sur trois continents différents que sont l’Europe (Thrace, Achaïe [nom donné à la Grèce], Macédoine, etc.), l’Asie (Lydie, Bithynie, Syrie, Judée, etc.) et l’Afrique (Égypte, Cyrénaïque, etc.). Ce qui implique d’importantes différences climatiques et culturelles (malgré la propagation depuis Alexandre d’une certaine culture grecque dans nombre de ces territoires).
Une diversité de rôles
Revenons d’abord, en lien avec ces différences entre les territoires de l’Orient romain, sur les rôles que ces derniers jouent pour Rome. Qui dit territoires différents dit rôles différents, très différents même. Voilà une brève revue de ces derniers, en faisant le tour de la Méditerranée.
L’Achaïe et l’Ionie
L’Achaïe (la Grèce) et l’Ionie (les cités grecques situées sur la côte ouest de la Turquie) ont un rôle très particulier. Elles sont le « lieu de formation » de l’élite romaine. Les élites romaines parlent presque plus le grec que le latin, car le grec est la langue « noble » de l’époque (de la même manière que l’on parlait le français dans toutes les cours d’Europe à la Renaissance). Ce, en tout cas, jusqu’à ce que Cicéron ne décide d’utiliser le latin (avant cela, très peu d’auteurs majeurs utilisent le latin) et qu’elles s’imprègnent de la culture grecque.
On étudie les auteurs et philosophes grecs. Dès lors, le voyage en Grèce s’impose, au sein de l’élite romaine, comme une sorte d’étape quasi incontournable à l’éducation des jeunes romains. Ainsi, Pompée s’est rendu en Grèce (notamment à Rhodes) pour parachever sa formation entre 79 et 77 av. J.-C.
Attention, toutefois, au-delà de l’Ionie (notamment vers la Perse), la culture orientale rime avec mollesse et féminité, qui, pour les Romains, ne sont absolument pas des qualités. La mollitia, d’après le dictionnaire latin, plus qu’une simple « mollesse », c’est le laisser-aller, la faiblesse de caractère et une vie efféminée.
Enfin, l’Orient rime aussi avec la monarchie, et si la monarchie est un véritable repoussoir pour les Romains, tu verras au fil de l’année que plusieurs figures politiques majeures se rapprocheront du paradigme du monarque oriental.
La Cappadoce et la Bithynie
Au nord et à l’est de l’Ionie, ce sont des territoires au statut et au rôle bien différents. Beaucoup moins hellénisés, ces deux territoires ont pour caractéristique principale leur position géographique à la croisée de deux grandes puissances que sont les Empires romain et parthe. Dès lors, Cappadoce et Bithynie forment une sorte de tampon entre ces deux grandes puissances.
L’Égypte
Une dernière région joue un rôle majeur pour Rome : l’Égypte. En effet, si la Sicile est un des premiers greniers à pain de Rome, l’Afrique du Nord en est un aussi, et l’Égypte y contribue fortement (surtout à partir de son annexion à l’Empire romain). Plus globalement, l’Égypte est une région extrêmement riche, avec un statut encore différent des premières régions citées.
Enfin, l’Orient en général est un territoire d’opportunités politiques et de conquêtes militaires, mais c’est un thème qui sera traité plus tard dans l’article.
Une diversité dans l’administration des territoires de l’Orient romain
L’Orient romain n’a absolument aucune uniformité quand il s’agit de son administration, d’où un choix de te présenter les différents statuts. Peu d’exemples toutefois, car de nombreux territoires voient leur statut changer régulièrement, et ce sont des changements que tu verras dans l’année.
Tout d’abord, le statut le plus « connu » est celui des provinces. Tu verras pendant l’année qu’à partir d’Auguste, on distingue deux types de provinces : impériales et sénatoriales. Les provinces sont tout particulièrement pour Rome un réservoir de richesses (via les impôts) et éventuellement un réservoir de militaires pour l’armée. On retrouve ensuite des cités libres (mais alliées), parfois sous le contrôle d’un tyran (preuve que l’harmonisation est très faible), des sanctuaires autonomes et ce que l’on nomme les royaumes clients.
Les Romains ne parlent pas de royaumes clients (terme inventé postérieurement par les historiens), mais de reges amici sociique, « rois amis et alliés ». Le nom de « royaumes clients » vient du fait que ces royaumes entrent dans le système romain de clientela. Les rois sont dans un lien de dépendance en payant un tribut à Rome et ne peuvent pas mener de politique étrangère de manière autonome. C’est pour Rome une manière de déléguer une part de l’administration, tout en préparant à une administration plus directe.
Ici se termine la première partie de cet article, nous espérons qu’il t’aura été utile !