handicap prépa

Certains professeurs de classes préparatoires constatant la baisse des effectifs dans les filières scientifiques et surtout commerciales s’inquiètent de l’avenir de la voie royale d’admission aux Grande Ecoles de commerce et d’ingénieur. Ceux-ci défendent un système qui constitue la particularité mais aussi la renommée de l’enseignement supérieur français. Ce déclin dans l’attractivité des classes préparatoires est grandement lié à la part croissante des admissions sur titre dans les Grandes Ecoles. Toutefois, une meilleure égalité des chances dans l’admission aux classes préparatoires permettrait sans nul doute de compenser la tendance baissière des effectifs.

L’égalité des chances : des critères économiques et sociaux pris en compte

La question des élèves boursiers en prépa est assez récurrente et s’inscrit au cœur de la réflexion sur l’égalité des chances. Le Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation estime que la proportion de bourses sur critères sociaux atteint 28,8% en 2019 dans les effectifs de classes préparatoires, toutes filières confondues. Ce chiffre, même s’il reste très supérieur au pourcentage de boursiers en école de commerce (12,7%) et en école d’ingénieurs (23%), témoigne de la possibilité réelle des étudiants appartenant à des foyers de revenu modeste d’accéder à une formation d’excellence et d’emprunter ainsi l’ascenseur social.

Le handicap : une prise en compte incomplète dans le système des classes préparatoires

Cependant, la question du handicap en classes préparatoires reste étonnamment assez absente des débats publics sur l’égalité des chances. L’accès à la prépa pour des étudiants atteints d’un handicap est pourtant fondamental dans cette perspective d’égalité des chances pour tous.

Les chiffres confirment la difficulté pour les étudiants en situation de handicap (ESH) de poursuivre leur scolarité en prépa après l’obtention du baccalauréat.

Le Ministère de l’enseignement supérieur recense pour la rentrée 2018 un total de 34 553 étudiants en situation de handicap inscrits dans un établissement de l’enseignement supérieur, avec une augmentation annuelle moyenne de 12,41% depuis 2005. L’enquête révèle que parmi ces étudiants ESH, seuls 152 sont inscrits dans une classe préparatoire, soit 0,44% dans cet ensemble, à comparer avec le taux d’admission en CPGE pour l’ensemble des terminales sur Parcoursup de 6,2% en 2018. Autrement dit, un élève en situation de handicap atteignant l’enseignement supérieur a quatorze fois moins de chance qu’un élève valide de s’orienter vers une classe préparatoire ! En 2018, l’effectif en classe préparatoire atteignait 85 100, les étudiants en situation de handicap représentant alors 0,18%.

Pourquoi une telle différence ? C’est ce que nous allons tenter d’éclaircir dans la suite de l’article.

Le handicap : des formes diverses et des prises en charges pas toujours optimales

Il convient d’abord de rappeler que le handicap revêt des formes extrêmement diverses et un grand nombre d’entre elles ne remet absolument pas en cause les aptitudes intellectuelles nécessaires au suivi des cours en classes préparatoires. L’enquête menée par le Ministère recense les différents handicaps ainsi que leur proportion parmi les élèves ESH en classes préparatoires et STS pour l’année 2017. Les résultats montrent que 31,3% de ces étudiants sont touchés par des troubles moteurs, 21,9% par des troubles du langage et de la parole, 10,7% par des troubles psychiques, 9% par des troubles auditifs, 6,6% par des troubles visuels, 6,4% par plusieurs troubles, 5,6% par d’autres troubles, 4,7% par des troubles viscéraux et enfin 3,9% par des troubles cognitifs (dont l’autisme).

Selon la nature et le degré du handicap, l’étudiant nécessite un accompagnement personnalisé plus ou moins important. Cette aide se matérialise par la mise en place d’un plan personnalisé de scolarisation (PPS), théoriquement obligatoire pour tout étudiant dont un handicap particulier est reconnu et notifié par la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées), et d’un accompagnement par un auxiliaire de vie scolaire (AVS). En 2017, 10,1% des élèves en classes préparatoires et STS bénéficiaient d’un AVS collectif, 29,6% d’un AVS individuel mais 60,2% n’en disposaient pas.

L’étude statistique du Ministère montre également que 51% des étudiants ESH en classes préparatoires et STS en 2017 avaient accès à un matériel pédagogique adapté et 20% à un accompagnement extérieur au lycée (dans des établissement sanitaires ou médicaux).

Chargés d’éducation et conseillers d’orientation : la difficulté d’appréhender le handicap dans le suivi scolaire

Avant de s’intéresser aux classes préparatoires, il faut s’interroger sur les dispositifs mis en place au lycée pour le suivi scolaire des étudiants en situation de handicap. En effet, le lycée est primordial dans les choix d’orientation des élèves vers l’enseignement supérieur.

En principe, les lycéens en situation de handicap doivent bénéficier d’un plan personnalisé de scolarisation (PPS), comme le précisent la loi sur le handicap de 2005 et le code de l’Education Nationale. La mise en œuvre d’un PPS implique de nombreuses démarches administratives et de multiples acteurs (MDPH, lycée, professionnels de santé, équipe de suivi de scolarisation…) qui découragent parfois l’enseignant référent handicap du lycée. Il arrive ainsi parfois que les parents se voient proposer par le lycée un plan d’accompagnement personnalisé (PAP), mais bien moins efficace qu’un PPS car uniquement mis en place en interne par l’Education Nationale et non issu d’une concertation avec le personnel médical. Ce PAP se substitue au PPS également lorsque certains parents refusent de recenser leur enfant à la MDPH, par rejet de catégorisation. Cette situation malheureusement fréquente n’est pas sans conséquence pour l’étudiant qui, sans l’aide dont il a besoin, parvient difficilement à réussir sa scolarité et a fortiori intégrer une classe préparatoire.

Certains plans personnalisés de scolarité pour des lycéens en situation de handicap sont parfaitement conduits et permettent un vrai développement scolaire de ces étudiants. Et il convient de reconnaître à sa juste valeur le travail formidable des référents handicap, équipes spécialisées de suivi de scolarité et de la logistique, AVS et du personnel médical qui contribuent chaque année à l’inclusion scolaire de milliers d’étudiants handicapés pour une meilleure égalité des chances.

Il reste toutefois beaucoup de travail dans certains lycées qui ne proposent pas suffisamment d’infrastructures et matériel pédagogique adaptés ainsi que des encadrants formés pour le suivi scolaire d’un étudiant en situation de handicap. Un point également sur les conseillers d’orientation qui méconnaissent souvent les possibilités pour les ESH dans l’enseignement supérieur et notamment les classes préparatoires. Il est indispensable que les équipes pédagogiques puissent orienter ces étudiants en leur présentant un ensemble de formations le plus large possible ainsi que les débouchés, sans censurer la prépa qui reste non seulement une formation d’excellence qui aboutit à l’admission dans des Grandes Ecoles réputées mais aussi une expérience humaine hors du commun.

Un manque de moyens qui empêche l’insertion des étudiants en situation de handicap en classe préparatoire

Les nombreux aménagements d’épreuves permettent à des ESH de concourir dans des conditions équitables, comme la majoration de temps ou la mise à disposition d’un matériel spécial, de supports adaptés ou d’un secrétariat d’examen. A ce titre, il semble que les responsables de la direction des concours des CPGE ont su répondre à une problématique d’équité, malgré le risque de quelques abus (tiers-temps injustifiés…). Il faut les en féliciter pour cela.

Cependant, des freins plus fondamentaux sont encore nombreux à l’insertion voire tout simplement à l’entrée des étudiants handicapés en prépa.

Le problème majeur reste l’accessibilité des bâtiments. On a vu plus haut qu’un nombre important de ces étudiants était atteint de troubles moteurs, certains d’entre eux se déplaçant en fauteuil. Or les lycées, notamment parisiens, accueillant les préparationnaires sont pour la plupart des établissements anciens construits il y a plus d’un siècle et donc peu ou pas accessibles pour des fauteuils roulants. Une liste des lycées parisiens accessibles par arrondissement est disponible sur ce site. De nombreux aménagements sont à faire en matière d’accessibilité des lycées (ascenseurs, rampes, monte-charges…) ; c’est un premier pas basique mais fondamental pour une meilleure égalité des chances.

Un deuxième axe sur lequel le Ministère de l’enseignement supérieur se doit de réfléchir est la formation d’auxiliaires de vie scolaire spécialisés pour les ESH en classes préparatoires. En effet, accompagner un étudiant handicapé implique de l’AVS qu’il doit non seulement savoir répondre aux difficultés matérielles de l’étudiant mais aussi comprendre l’exigence d’une classe préparatoire et suivre le rythme, c’est-à-dire par exemple être capable de prendre des notes sur des cours de physique, mathématiques, géopolitique etc… Il est aujourd’hui très difficile de trouver de tels profils d’AVS, aptes à accompagner des étudiants handicapés en prépa.

Ce manque de moyens s’exprime également au niveau du matériel pédagogique, qui doit être adapté selon la nature du handicap de l’élève. La prise de notes en mathématiques ou en physique-chimie par exemple pour un étudiant qui se servirait d’un ordinateur à défaut de pouvoir écrire à la main est extrêmement difficile : il existe quelques logiciels d’édition d’équations et de contenu mathématique mais destinés à des professeurs (utilisation technique) et non à des élèves. Un autre exemple pourrait concerner des manipulations en TP de physique ou chimie rendues impossibles pour des étudiants handicapés atteints de troubles de coordination. On pourrait pour cela imaginer des simulations de ces expériences à réaliser sur des logiciels, et donc accessibles pour ces étudiants… Beaucoup de situations pratiques comme celles-ci se posent et il n’existe pas encore de système global permettant de dispenser les cours via une étendue de supports parfaitement adaptés à la spécificité des handicaps de chacun. Cette tâche est évidemment complexe mais est à envisager sur le long terme pour une égalité des chances parfaite.

Enfin, il faut insister sur un dernier point crucial : un manque d’informations. Ce dont les étudiants handicapés ont besoin pour leur orientation postbac, ce sont d’abord des informations précises. Sur l’accessibilité, le matériel pédagogique mis à disposition, l’ensemble des solutions permettant de répondre à tous les soucis matériels potentiels, des contacts et référents… Or ce que l’on constate clairement, notamment pour les classes préparatoires mais aussi pour d’autres formations, c’est une absence générale d’informations, sur les sites des établissements et du gouvernement (Ministère, service public etc…). Ce manque d’informations engendre une crainte de la part de l’étudiant et de ses parents qui choisissent une formation selon des critères d’accessibilité, avant même l’orientation. Cela explique en grande partie les taux si faibles d’ESH dans les classes préparatoires, comme constatés plus haut dans l’article.

Ce défaut d’informations pratiques est pour une part lié à une absence de réflexion des chefs d’établissement sur la possibilité d’accueillir un étudiant en situation de handicap particulier mais aussi et à une mauvaise communication interne (chargés d’éducation, référent handicap) et surtout externe (entre établissements). Les lycées ayant accueilli des ESH en prépa devraient justement communiquer aux autres établissements tous les moyens mis en place pour permettre d’en intégrer toujours plus dans cette formation d’excellence. La tendance est malheureusement davantage à la concurrence qu’à l’entraide et la communication pour les classes préparatoires… Mais il faut encourager la diffusion d’informations et la centralisation pour permettre à ces étudiants d’envisager les études sereinement, sans crainte ni doutes, sans s’autocensurer sur les classes préparatoires qui constituent un levier de réussite, scolaire mais aussi professionnel. Tel est ce combat qu’il faut mener pour cet objectif merveilleux d’égalité des chances.

Une progression néanmoins notable dans les Grandes Ecoles et des initiatives louables de la CGE

La Conférence des Grandes Ecoles (CGE), association d’établissements d’enseignement supérieur regroupant notamment les grandes écoles d’ingénieur et de management françaises, publie chaque année un rapport appelé baromètre handicap. Ce rapport de la Commission Diversité, présidée par Vincenzo Esposito Vinzi, par ailleurs directeur général de l’ESSEC, présente différentes statistiques et actions menées pour l’insertion des étudiants en situation de handicap dans l’enseignement supérieur.

Les chiffres de l’année 2019 publiés dans le rapport de la CGE sont encourageants : 1,57% des étudiants dans les établissements membres de la CGE étaient en situation de handicap pour 1,08% l’année précédente. Ce taux est d’ailleurs légèrement supérieur à celui de la représentativité des ESH dans l’enseignement supérieur (1,55%). La répartition des ESH dans les établissements de la CGE s’établit comme suit : 44% en école d’ingénieurs, 26% en école de commerce et 30% dans d’autres spécialités.

D’autres statistiques confirment la réalité de la progression des actions et mesures prises par les grandes écoles : 87,10% des écoles membres de la CGE mènent des actions de sensibilisation auprès des étudiants ; 95,70% des écoles sont partiellement ou intégralement accessibles (la distinction n’est pas chiffrée) ; 54% des écoles ont mis en place un schéma directeur handicap, c’est-à-dire un plan d’action pluriannuel visant à intégrer les étudiants en situation de handicap.

L’action de la Commission Diversité de la CGE pour le handicap se fonde sur trois axes essentiels : une meilleure visibilité et communication des dispositifs d’accompagnement existants, une collaboration accrue des différents acteurs engagés pour la cause des ESH dans l’enseignement supérieur (associations, référents, personnel médical) et un accompagnement renforcé à la mobilité internationale (Statut international d’étudiant en situation de handicap) avec la mise en place de bourses spécifiques appelées MHA (Mission Handicap Assurance).

Ces initiatives à l’échelle des grandes écoles témoignent d’une réelle prise de conscience et d’une volonté de prendre à bras le corps l’insertion des ESH dans l’enseignement supérieur. Toutefois, comme on l’a vu, très peu d’évolutions sont à noter dans le système très traditionnel et assez figé des CPGE. Et c’est bien l’exception sur laquelle il convient d’insister.

L’accès des handicapés à la prépa, une mission de la République Française

Le système des classes préparatoires aux grandes écoles coïncide parfaitement avec la valeur travail que promeut la République Française. Cependant, la méritocratie ne prend toute sa signification qu’à partir du moment où les étudiants, quelque soit leur situation économique, sociale ou médicale, peuvent accéder aux formations qu’ils souhaitent et y réussir par le travail. L’accès très limité pour les étudiants handicapés à la prépa, pour des raisons purement matérielles mais aussi de communication comme évoquées plus haut, constitue un défaut certain de ce système et la facilitation de cet accès doit faire l’objet d’une mission, en vertu des valeurs prônées par notre République.  Cette égalité des chances ne doit pas être considérée comme un idéal mais bien comme un objectif à atteindre, par l’exercice de moyens importants et l’implication de l’ensemble des acteurs qui souhaitent le rayonnement pérenne des classes préparatoires.

Conformément à sa ligne éditoriale en faveur d’une égalité des chances juste, Major-Prépa appelle le Ministère de l’Enseignement supérieur, les établissements accueillant les préparationnaires et le personnel médical suivant les étudiants en situation de handicap à collaborer, réfléchir ensemble à des plans d’action concrets, augmenter les possibilités matérielles et physiques de ces étudiants en prépa et diffuser des informations claires et précises répondant à leurs besoins.

Nous exhortons également les étudiants en situation de handicap s’apprêtant à débuter un cycle dans l’enseignement supérieur à regarder, avant d’effectuer leur choix d’orientation, les immenses opportunités et débouchés qu’offrent les classes préparatoires aux grandes écoles. En choisissant cette voie malgré les difficultés rencontrées a priori, ces étudiants courageux en situation de handicap s’assureront non seulement une formation d’excellence très reconnue mais permettront aussi à ce système des classes préparatoires d’évoluer et d’intégrer toujours plus d’étudiants handicapés pour une égalité des chances encore plus importante !