interview

Dans cet article, nous allons décrypter la CPGE ENS D2. Arnaud Mayeur, professeur coordonnateur et professeur de micro/macroéconomie au lycée Turgot à Paris, répond à nos interrogations sur la filière. Lis bien jusqu’à la fin pour t’imprégner de tous ses précieux conseils !

Concrètement, c’est quoi la CPGE ENS D2 ?

Il s’agit d’une filière qui se distingue par son format hybride. Les étudiants qui suivent ce cursus sont à la fois étudiants en CPGE et à l’université. C’est une filière exigeante qui se démarque des autres formations par son enseignement très approfondi en économie. N’hésite d’ailleurs pas à consulter cet article pour en apprendre plus.

Quelles spécialités choisir au lycée pour une CPGE ENS D2 ?

Pour moi, le seul point clivant est le niveau en mathématiques. Avec la nouvelle réforme, les mathématiques tronc commun ne sont pas suffisantes et, pour être à l’aise en D2, il faut choisir la spécialité maths en première et en terminale, ou il faut a minima avoir suivi la spécialité maths en première et l’option maths complémentaires en terminale. En revanche, l’option maths expertes n’est pas obligatoire, de même qu’il n’y a pas d’obligation concernant la spécialité SES, même si c’est un plus qui révèle l’appétence d’un étudiant pour la matière. 

Quels sont les critères de sélection pour entrer en CPGE ENS D2 ?

On recherche un étudiant qui a du potentiel et non un étudiant excellent. Ce potentiel, on le retrouve dans les notes, bien sûr, mais essentiellement dans le classement et l’appréciation des professeurs. La fiche avenir, les appréciations du bulletin ou encore l’avis du chef d’établissement sont donc primordiaux pour nous dans la sélection des dossiers.

Comment aborder sereinement la rentrée en classe préparatoire ?

La plupart des CPGE donnent leurs propres consignes. Mon premier conseil aux futurs étudiants est donc d’écouter et d’appliquer les conseils de leurs futurs professeurs. Pour ce qui est des vacances d’été, il y a peu d’intérêt à prendre de l’avance sur le programme de CPGE. On peut toutefois profiter de la pause estivale pour revoir son programme de terminale (en mathématiques notamment) afin de bien le maîtriser à la rentrée. Comme pour le sportif, il est bon de conserver un rythme de travail pendant les vacances d’été pour ne pas arriver perdu ou démobilisé. 

Y a-t-il des prérequis à avoir en culture générale ?

Non, il n’y a pas de prérequis, mais la curiosité intellectuelle sera une qualité. Certaines classes préparatoires fournissent des lectures d’été ou des recommandations d’expositions. Encore une fois, laissez vos professeurs vous guider. Nous accompagnons de toute façon tous les étudiants dans leur parcours culturel, c’est notre travail d’homogénéiser la culture générale d’une classe souvent hétérogène sur ce plan. 

Qu’est-ce qui rend votre filière sélective sur Parcoursup ?

Comme pour toutes les filières, il y a des établissements plus sélectifs que d’autres. En ce qui concerne le lycée Turgot, nous avons eu (en 2024) 2 046 demandes pour 48 places, mais le taux de pression est moins élevé pour d’autres classes préparatoires… Quoi qu’il en soit, la D2 est une filière exigeante qui nécessite de solides bases et une grande capacité de travail en autonomie, ce qui explique le grand nombre de dossiers non retenus. Mais si vous êtes motivés et que vous voulez intégrer une CPGE ENS D2, il ne faut pas hésiter à tenter votre chance.

Comment équilibrer son travail entre l’université et la prépa ?

Ce qui est spécialement reconnu chez les D2, c’est leur autonomie, car il faut gérer à la fois les contraintes de l’université et celles de la prépa. Il faut faire des plannings, hiérarchiser les tâches et adapter sa manière de travailler en fonction des exigences de l’une et l’autre. Par exemple, les étudiants ne sont pas évalués de la même manière : la fac repose sur des évaluations semestrielles (les partiels), alors que la prépa s’appuie sur des évaluations plus régulières (khôlles et DS). 

Le risque principal est de se laisser déborder et notamment en début de scolarité. À l’université, les cours et les TD commencent avec une à deux semaines de décalage et les premiers examens arrivent parfois tard et tous en même temps. La charge de travail monte donc petit à petit mais inexorablement, et si l’on n’y prend pas garde, on peut rapidement se retrouver submergé en décembre. Mon premier conseil serait donc de bien s’organiser, de travailler pendant les heures de trou en journée et d’ajouter des plages horaires de travail le soir et le week-end chez soi ou en bibliothèque.

Comment sont réparties les évaluations entre la prépa et l’université ?

En dehors des évaluations que représentent les khôlles, qui sont réparties suivant un planning propre à chaque matière et à chaque établissement, la plupart des prépas D2 ont le même fonctionnement dans leurs évaluations. C’est-à-dire qu’elles organisent des semaines de concours blanc (une épreuve par jour sur une semaine de cours banalisée). À l’université, il y a deux interrogations par matière et par semestre auxquelles s’ajoutent les partiels de chaque matière à la fin du semestre. 

Le rythme des évaluations est donc assez hétérogène. Il faut intégrer cet élément à son planning de travail.

Pourquoi faire une CPGE ENS D2 plutôt qu’une CPGE ECG ou une CPGE B/L ?

Toutes les filières sont intéressantes, il ne s’agit pas de dire que l’une est meilleure que l’autre. Les CPGE ECG ou B/L ne sont pas des formations hybrides comme l’est la D2, la structure offerte par la classe prépa permet donc aux étudiants d’être encadrés en permanence. Ce sont également les voies les plus naturelles pour faire une école de management. La D2 quant à elle permet plus d’autonomie, c’est la voie naturelle pour intégrer l’ENS Paris-Saclay ou des magistères sélectifs. Le marqueur de la D2 est son enseignement très approfondi en économie, qui est extrêmement valorisé par rapport à d’autres filières. C’est notamment pour cela que des écoles comme l’EDHEC apprécient et cherchent aujourd’hui à recruter ces profils particuliers que sont les étudiants de D2.

Comment expliquez-vous que la CPGE ENS D2 ne permette pas aux étudiants de se présenter à l’ENS Ulm ou Lyon sur concours ?

Il me semble que la principale raison est une raison budgétaire. Un élève normalien (qui accède à l’ENS par concours) coûte cher puisqu’il sera rémunéré pendant ses quatre années d’études et l’école ne peut pas ouvrir trop de postes. En revanche, l’ENS Lyon éprouve un véritable intérêt pour les étudiants issus de D2 qu’elle recrute, donc dans le département d’économie, en tant que normaliens étudiants (sélectionnés sur dossier). 

Pourquoi êtes-vous professeur dans cette filière ?

J’enseigne dans cette filière depuis 2010 et ce poste exigeant qui nécessite d’être polyvalent m’oblige à faire, à refaire, à préciser et à approfondir mes cours tous les ans. Les autres filières ne me permettraient pas une telle pluridisciplinarité dans l’enseignement de l’économie. Dans une même journée, je peux faire des mathématiques au travers de la microéconomie, produire des développements plus littéraires en macroéconomie et enseigner la culture générale pour préparer aux épreuves d’entretien. C’est unique !

Quels débouchés professionnels après la D2 ?

Il y a deux grandes catégories de débouchés professionnels : le secteur privé ou le secteur public. 

Le concours de D2, créé dans les années 1970, pour l’ENSET à l’origine (ancêtre de l’ENS Paris-Saclay), prépare essentiellement aux métiers de l’enseignement supérieur et de la recherche (enseignants-chercheurs, professeurs du supérieur [STS, BUT, CPGE, etc.]) ou à l’entrée dans la haute fonction publique (grands corps de l’État). Cependant, les 22 places au concours (30 il y a encore quelques années) ne permettaient pas à elles seules de sécuriser le parcours de tous nos étudiants. Il était donc nécessaire d’ouvrir les débouchés.

On peut ainsi préparer l’ENSAI (attaché stagiaire de l’Insee ou parcours ingénieur) ou viser les Magistères, qui sont des débouchés prestigieux, spécialisés et variés (Magistères d’économie, de finance, de gestion, d’aménagement…), sans oublier bien sûr les débouchés offerts aux D2 par les écoles de management (certaines écoles comme l’EDHEC ont même ouvert un concours spécifique pour les D2). Ce champ des possibles permet aux étudiants de se tourner vers une multitude de postes dans nombre de secteurs (économie, finance, gestion, marketing, logistique, développement durable, ressources humaines, sciences sociales, etc.), privés ou publics.

Depuis quand la CPGE ENS D2 existe-t-elle au sein du lycée Turgot ?

Je n’ai pas la date exacte en tête, mais la CPGE ENS D2 de Turgot a été créée dans les années 1970 par Monsieur Jean-Louis Rivaud. De mémoire, nos effectifs ont toujours été d’environ 50 étudiants. 

Y a-t-il un quota de provinciaux/Parisiens pour intégrer votre classe ?

Il n’y a aucun quota. Nous acceptons des étudiants venus de la France entière et même au-delà (France métropolitaine, DROM, lycées français à l’étranger, etc.). 

Quel est le système d’évaluations mis en place à Turgot ? (khôlles, DS…)

Nos évaluations écrites reposent sur huit concours blancs étalés sur les deux années. À l’image des concours, il y a une épreuve de 4 heures par jour au cours d’une semaine banalisée. Se rajoutent à cela des khôlles et des devoirs sur table. Nous portons une attention particulière aux oraux pour préparer tous les étudiants, quel que soit l’entretien qu’ils ont à passer. 

Pourquoi proposez-vous uniquement l’option HFES ?

Nous aimons l’ouverture culturelle qui accompagne la matière et nous avons donc fait le choix de proposer cette option. D’autres D2 proposent les deux options, ou proposent aux étudiants de suivre la gestion à l’université. L’absence de gestion au lycée Turgot n’est en tout cas nullement pénalisante pour les admissions en Magistère (BFA de Dauphine ou Assas inclus). 

Comment parvenez-vous, en moyenne, à intégrer autant d’étudiants à l’ENS Paris-Saclay ?

Même si les résultats sont toujours incertains, nous faisons vraiment en sorte que le concours de l’ENS soit notre mètre étalon. Notre pédagogie repose entièrement sur la préparation à ce concours, à commencer par les concours blancs qui sont vraiment orientés ENS, et notés comme tels. Nous demandons aux étudiants de jouer le jeu de la préparation du concours. Le contrat, c’est de préparer l’ENS, quels que soient les débouchés qu’on envisage par ailleurs. Les étudiants qui s’investissent sont accompagnés jusqu’au bout de ces deux ans, quel que soit leur niveau. 

Des figures inspirantes parmi vos anciens élèves ?

Je suis très fier de la variété des parcours professionnels de mes anciens élèves. Certains sont dans le privé, d’autres dans le public, ils font de la finance, de la recherche… J’en ai même retrouvé un qui est devenu professeur de philosophie ! Il n’y a donc vraiment pas de figure type, mais je suis persuadé que le passage en D2 a contribué à la construction de tous ces parcours. 

Pour clôturer l’interview, avez-vous un message à faire parvenir aux étudiants qui hésitent à intégrer votre classe ?

Quand on fait une D2, on est sûr de pouvoir poursuivre son parcours avec de grandes études. Au minimum, on sort de D2 avec une L2 d’économie ou de gestion. Ceux qui poursuivent en L3 figurent alors (très) largement dans le top 5 de leur université. C’est une filière qui ouvre donc beaucoup de portes, de carrières et de perspectives, à court ou moyen terme. Je pense que c’est une filière d’avenir, car en associant la prépa à l’université, on obtient le meilleur des deux mondes.