L’élégie est un des genres les plus courants de la littérature antique. Elle conditionne de nombreux textes et auteurs. La connaissance de son histoire, de ses principes et de ses grandes clés d’analyse est essentielle pour bien en analyser les œuvres. Cet article te donnera les grandes caractéristiques de l’élégie latine, les éléments à repérer dans une analyse et ses auteurs emblématiques.
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Quelques conseils pour commencer
Avant de te donner les grands principes de l’élégie latine, garde en tête certains principes très importants lors de l’analyse d’un texte latin.
- Les genres ne sont pas interchangeables. Contrairement à des textes français contemporains, les auteurs latins, et plus encore leurs œuvres, se définissent selon un genre très fermé. Un texte philosophique ne pourra jamais être « poétique » ou avoir des aspects « théâtraux ». Il ne pourra, au mieux, que s’inspirer d’une forme théâtrale. Les genres latins sont beaucoup plus codifiés que les genres littéraires français. Il est donc très important de ne pas dépasser cette forme et tenter d’analyser des références intertextuelles à d’autres genres.
- Il est très important de comprendre le contexte d’un texte étudié. Les périodes de prospérité littéraire romaine correspondent systématiquement à des périodes politiques stables ou propices aux récits, à des cercles littéraires de poètes et à certains régimes. Le contexte politique, religieux comme littéraire, est à prendre en compte lors de l’analyse d’un texte. Ne le néglige donc pas dans tes révisions !
La forme élégiaque
Le genre élégiaque est né en Grèce antique. L’importance de sa forme s’explique par le fait qu’avant d’être considéré comme un genre à part entière, tout texte correspondant à sa forme était considéré comme élégiaque. Dans son étymologie grecque, l’élégie signifie « dire hélas » ou « chant de deuil ». Ce genre était à l’époque lié aux chants prononcés pendant les sacrifices, notamment d’animaux. Il est donc fondamentalement un chant de plainte et de mort fortement lié à un contexte religieux.
En Rome antique, l’utilisation de ce genre évolue pour devenir une célébration des sentiments, et notamment des sentiments amoureux. Aucun ton particulier n’y est attaché, seule compte la forme du poème. Cette dernière est caractérisée par l’utilisation du distique élégiaque.
Le distique élégiaque
C’est un ensemble de deux vers. Il est formé d’un hexamètre (vers de six pieds égaux) et d’un pentamètre (vers de cinq pieds égaux, dont l’un est séparé en deux demi-pieds situés au milieu et à la fin du vers). La distinction de ces deux types de vers n’est pas essentielle pour analyser un texte relevant de l’élégie latine. Néanmoins, cela peut être très valorisé par un correcteur. Pour ce faire, nous t’invitons à te familiariser avec les règles de scansion du distique élégiaque. Elles te permettront de distinguer les pieds « longs », dits spondées, des pieds « courts », dits dactyles.
La différence entre l’élégie et l’épopée est visible, ne serait-ce que dans la forme de ce distique. L’hexamètre, vers noble par excellence de l’épopée, lent et rythmé, est « cassé » par le pentamètre. Cela symbolise le refus de la grandeur de l’épopée pour le sujet plus personnel de l’amour, voire de l’amour malheureux, « cassé » dans sa grandeur par le refus de la femme convoitée. Le pentamètre a même été appelé le « vers boiteux », du fait de la division d’un de ses pieds.
Ces analyses de scansions sont un peu compliquées, mais elles te permettront d’analyser le rythme des vers et l’effet musical recherché. Un hexamètre uniquement composé de spondées sera ainsi plus lent et solennel qu’un enchaînement plus haché et rapide de dactyles.
Les auteurs
Le précurseur de l’élégie romaine est Catulle, au Ier siècle av. J.-C. Précurseur d’Auguste, il publie ses poèmes en l’honneur de Lesbie, la femme aimée. Il est le premier à utiliser le distique élégiaque dans une partie de son œuvre et à exprimer ses sentiments personnels. L’expression d’un « je » souffrant. Néanmoins, son œuvre est rapidement mal perçue de ses contemporains. La dévotion amoureuse est analysée comme une faiblesse de l’homme se rendant esclave de la femme.
Les principaux auteurs élégiaques de la période d’Auguste sont ensuite Properce dans ses Élégies, Tibulle dans ses recueils, aussi nommés Élégies, et Ovide dans Les Amours, Les Tristes ou encore Les Pontiques. Les deux dernières œuvres portent plus sur la tristesse de l’exil que sur le sentiment amoureux en lui-même. Les jeux de symbole sont souvent très utilisés par ces auteurs. Les mythes y occupent ainsi une place importante ainsi que les premiers rites historiques romains remis au goût du jour par Auguste. Ce genre n’est donc pas étranger à la politique culturelle et sociale menée par l’empereur.
Dans ce jeu de symboliques, les noms des femmes servant d’inspiration aux poèmes ne sont souvent pas laissés au hasard. Cynthie, amante de Properce, représenterait le Cynthe, soit la montagne où Apollon serait né. L’amante de Tibulle, Délie, serait une référence à l’île de Délos, où la mère d’Apollon et Artémis donna naissance. Ce qui rendit l’île prospère, couverte d’or au moment de la naissance et lieu principal du culte d’Apollon. Quant à Ovide, Corinne provient du nom d’une déesse grecque en hommage aux origines de l’élégie. Ces auteurs ont donc conscience d’appartenir à une tradition culturelle et littéraire, dont ils nourrissent leurs textes par un jeu de symboliques.
Les thèmes
Si l’élégie en Grèce antique pouvait couvrir différents thèmes épiques et inclure notamment des dialogues dans une célébration des morts, l’élégie romaine se concentre sur l’expression du genre amoureux. L’épopée et le service aux dieux grecs deviennent sous Rome, le « service de Vénus » ou militia Veneris. Soit la glorification de l’amour aux dépens de la gloire. Ce genre sert autant à exprimer une plainte amoureuse qu’à servir de moyen de séduction pour l’auteur.
Dans une société telle que la société romaine, où les valeurs guerrières priment, cette posture amoureuse est une posture de rébellion d’un citoyen qui s’oppose à ses devoirs, qui préfère ses sentiments personnels à la gloire de sa patrie. Cette littérature s’inspire ainsi largement de l’expérience personnelle de l’auteur plutôt que de la glorieuse histoire de Rome.
De fait, la naissance de l’élégie s’inscrit particulièrement sous le règne de l’empereur Auguste (entre le 1er siècle av. J.-C. et le 1er siècle apr. J.-C.), dont le but est d’instaurer une période de prospérité tant économique que morale. Naît à cette époque un culte de l’empereur, que ce dernier attend de retrouver dans les productions culturelles de l’époque.
Tout auteur se doit de célébrer le nouveau respect des traditions, des anciens ou mos majorum, des cultes traditionnels ou encore de l’agriculture mise en avant sous Auguste. Le poète élégiaque, du fait de sa poésie sensuelle, se trouve donc en rébellion ouverte ou discrète avec la politique et la morale de son temps.
Contrairement à un récit historique ou une épopée, l’élégie ne tend pas à suivre un développement historique, il s’agit davantage d’une juxtaposition de présents évoquant la passion sensuelle, souvent déçue.
Certains leitmotivs sont facilement analysables et remarquables dans un texte
Le paraclausithyron, par exemple, est la figure du poète rejeté de la femme aimée devant sa porte et qui exprime sa plainte devant ladite porte. Elle peut parfois être directement adressée à la porte en elle-même. Cette figure est une expression du servitium amoris, le sentiment amoureux donnant sens à l’existence du poète, par lequel il se définit.
L’utilisation de personnages typiques du théâtre, dont les traits de caractère sont souvent figés. Les jeunes femmes sont donc souvent cupides sous la surveillance d’une lena (maquerelle), dont elles dépendent, et liées à un vir (l’amant en titre). Attention néanmoins, l’amour à Rome est soumis à une certaine censure morale. Ces amours poétiques ne concernent donc que des affranchies ou des courtisanes. Toute liaison concernant une matrone était à l’époque sévèrement punie.
Petit point sur les muses
Ces divinités grecques et romaines, au nombre de neuf, incarnent les arts et sont souvent utilisées dans la poésie antique en métaphore des activités et des sentiments humains. Entraîne-toi à repérer certains de leurs symboles et leur signification. Tu peux y trouver de nombreuses références dans les textes.
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Calliope, muse de l’éloquence et de la poésie. Ses symboles sont la couronne d’or, un stylet, une tablette ou un livre.
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Clio, muse de l’histoire et de la connaissance. Représentée par une couronne de laurier, un livre ou rouleau, une tablette accompagnée d’un stylet. Son symbole peut aussi être la trompette.
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Érato, muse de l’élégie et de la poésie amoureuse. Elle est représentée par une couronne de myrte et de roses avec un tambourin, une lyre ou une trompette.
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Euterpe, muse de la musique. Elle est symbolisée par une flûte ou un autre instrument de musique (souvent la trompette).
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Melpomène, muse de la tragédie. Elle porte un masque tragique et tient un sceptre de la main droite.
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Polymnie, muse de la rhétorique. Elle porte une couronne de fleurs ou de perles. Elle se distingue d’Érato par son absence d’instrument de musique.
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Terpsichore, muse de la danse. Elle joue d’une lyre ou d’un autre instrument à cordes et porte une guirlande de fleurs ou de feuilles.
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Thalie, muse de la comédie. Elle porte un masque de théâtre, souvent souriant, une viole et une couronne de lierre.
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Uranie, muse de l’astronomie. Ses symboles sont les plus remarquables. Il s’agit d’un compas, d’un globe et d’une couronne étoilée.
Reste attentif·ve à ce type de signes et analyse bien chaque symbole par rapport à la visée du texte, tu devrais avoir toutes les cartes en main. N’hésite pas à également consulter nos articles pour t’aider à réussir ta version latine.