Dans un rapport de McKinsey (2019), la Chine devrait représenter 40 % du marché mondial en 2025 dans la consommation de produits de luxe. Aujourd’hui, les plus grands consommateurs chinois de biens ostentatoires sont les millionnaires, mais aussi les jeunes de la génération Z. Mais qu’est-ce qu’un produit de luxe ? Défini par la société, un produit de luxe comporte trois principales caractéristiques importantes aux yeux du consommateur : la qualité, le prix ostentatoire et l’exclusivité. Dès lors, le produit considéré comme luxueux change au fil du temps. En effet, dans les années 1980, le vélo et la machine à coudre étaient considérés comme des produits luxueux chinois, aujourd’hui ces produits se sont diversifiés (sacs, joaillerie, montres, œuvres d’art, vin…).
Mais pourquoi les Chinois aiment-ils acheter des produits luxueux ?
On pourrait penser que le poids démographique chinois expliquerait la forte croissance du secteur du luxe en Chine mais, en réalité, la réforme économique (改革开放) de Deng Xiaoping (1978) a ouvert la voie sur le consumérisme et sur la nécessité de rattrapage dans la consommation de biens.
En parallèle, la progression de la classe moyenne va main dans la main avec la forte croissance des dépenses de luxe. Selon Bain and Company, le marché chinois connaît une croissance de 20 %, qui n’accélère qu’à mesure que la classe moyenne prend de l’ampleur.
Le mode de consommation en Chine
Il est primordial de comprendre le mode de consommation de la population chinoise pour comprendre ce phénomène social autour du luxe.
Traditionnellement, trois valeurs sont intimement liées à la consommation, à savoir la valeur instrumentale, symbolique et hédonique. En général, le produit fournit ces trois valeurs, mais met l’accent sur la valeur hédonique car le consommateur achète ce qui lui fait plaisir. Toutefois, dans leur étude de 1998, Wong et Ahuvia montrent que les consommateurs chinois préfèrent acheter un vin très âpre à une plus grande valeur monétaire plutôt qu’un bon vin à bon prix. Ce choix s’explique par le fait que le premier vin apporte à la fois une valeur symbolique et hédonique. Le vin n’est peut-être pas à leur goût, mais il renvoie une image de prestige (valeur symbolique) et donc une estime de soi meilleure venant de celle des autres, ce qui les satisfait (valeur hédonique).
Finalement, c’est cette « culture de la face » qui influence l’achat des consommateurs. Posséder ces produits signifie, certes, la richesse, mais également la réussite. Or, l’estime des autres est très importante pour « avoir la face ». En Chine, les consommateurs privilégient donc largement la valeur connue de tous d’un produit plutôt qu’une valeur personnelle. Ils achètent des biens pour accroître leur prestige, soit du capital social.
Il faut également noter que les Chinois achètent également des produits de luxe en guise de cadeau. Mais encore une fois, la raison est intimement liée à la culture de la face.
Cet engouement pour le lifestyle luxueux suscite divers problèmes
Dans une société collectiviste comme celle de la Chine, la conformité sociale est primordiale. Or, cette conformité sociale peut aller à l’encontre des valeurs personnelles ; laisser de côté ses valeurs pour le bien de la société ou pour s’y aligner est bien perçu. L’idée que la société passe avant l’individu est issue du confucianisme. Dès lors, la pression sociale à se conformer aux normes de la société chinoise pousse les individus à acheter des produits luxueux, quel que soit leur moyen financier.
Dès lors, l’achat et l’exhibition des produits luxueux risquent d’entraîner une hiérarchie sociale pouvant aller au mépris social et au harcèlement. En effet, l’expression chinoise «先敬罗衣后敬人 » signifie qu’on respecte d’abord l’habit avant de respecter la personne qui le porte. Pour être respecté, il faudrait donc s’habiller avec les produits les plus ostentatoires. Mais le problème est que le capital financier n’est pas le même pour tous, ce qui entraîne une hiérarchisation des individus. En effet, le respect variera en fonction du produit acheté. Plus le bien ostentatoire est au sommet de la pyramide par son prix et son exclusivité, plus la personne qui le porte sera considérée et respectée. Moins le bien est ostentatoire (même s’il est un produit issu d’une marque de luxe reconnue), moins la personne qui le porte sera respectée, en comparaison de la première personne.
Un autre problème social est l’émergence de nouveaux pauvres en Chine (中国的新穷人). Malgré leur faible revenu, les jeunes des générations Y ou Z achètent des produits luxueux sur crédit pour entrer dans la norme sociale et ne pas « perdre la face », face à leurs collègues et/ou à leurs amis qui en ont acheté. Ce mode de vie luxueux ne se limite pas qu’à l’achat de produits de marque luxueuse, mais va jusqu’au voyage.
Ce nouveau rapport à la consommation du luxe rompt avec la vision traditionnelle chinoise
Le taoïsme et le confucianisme prônaient un mode de vie sobre, sans exhibition excessive. Cette vision existentielle peut se refléter à travers deux expressions chinoises.
La première, « 树大招风 », littéralement les grands arbres attirent le vent. L’analogie de l’homme aux arbres souligne que les catastrophes arrivent à ceux qui exhibent leur richesse et leur puissance.
La deuxième, « 人怕出名猪怕壮 », littéralement l’homme craint la célébrité quand les cochons craignent de devenir gros. Cette expression évoque les risques et les dangers liés à la renommée et à l’exhibition ostentatoire en société. En effet, la célébrité est une épée à double tranchant. Elle attire l’attention, mais aussi la jalousie et les dangers, ce qui oblige une surveillance redoublée de la personne. L’expression compare entre autres l’homme au cochon puisqu’en devenant gros, celui-ci attire l’attention des éleveurs et est sur le point d’être abattu. Dans cette expression, l’idée de grosseur est synonyme de prospérité.
Or, aujourd’hui, la Chine moderne semble être moins timide et plus expressive sur la consommation ostentatoire.
Où en est la consommation de luxe aujourd’hui ?
À la suite de la pandémie de la Covid et à la politique du zéro-Covid, les boutiques de luxe sont de moins en moins bondées. Cette baisse de la consommation chinoise s’explique par le contexte économique du pays, entre déflation et chômage chez les jeunes qui consomment de manière plus raisonnable.
D’autant plus que pour des raisons politiques, économiques et sociales, le président Xi Jinping a décidé de prendre des mesures visant à réduire les inégalités de revenus et à promouvoir la « prospérité commune » dans les prochaines années. En 2022, un « code de conduite » a été dévoilé sur Internet et a suscité un tollé sur les réseaux sociaux. Ce code en question impose aux salariés d’éviter d’afficher leur richesse par le dévoilement de leur salaire et/ou primes, mais aussi l’exhibition de produits luxueux. Il donne une définition précise des produits de luxe (montres, voitures et sacs) en indiquant les prix. Par exemple, il est interdit de conduire une voiture de luxe d’une valeur supérieure à 1 million de yuans (soit 128 658,20 €) ou encore de porter une montre haut de gamme d’une valeur supérieure à 50 000 yuans (soit 6 432,91 €).
En guise de réponse à cette politique, le phénomène du quiet luxury (« luxe tranquille ») voit le jour. Désormais, il ne s’agit plus d’aller vers des produits ostentatoires somptueux, ayant des démonstrations manifestes de la richesse (avec le logo de la marque par exemple), mais plutôt vers des produits sobres avec une esthétique minimaliste. Ce phénomène semble s’aligner davantage à la tradition taoïste sur l’exhibition de sa richesse.
Conclusion
Grâce au rapide développement et à l’essor de l’économie chinoise, la population peut désormais prétendre à des biens de consommation luxueux, rompant de manière abrupte avec la philosophie taoïste. Mais depuis la crise de la Covid-19, la consommation et l’exhibition excessives du luxe semblent avoir freiné et s’être tournées vers la nouvelle tendance du quiet luxury, qui est davantage en adéquation avec la philosophie antique chinoise.
Du vocabulaire pour en parler
- 奢侈品 : produit de luxe
- 消费者 : consommateur
- 富二代 : deuxième génération de riches (enfants des parents qui se sont enrichis dans les années 1980-90).
- 二手奢侈品实体店 : magasin d’articles de luxe d’occasion
- 经销店 :concessionnaire
- 炫富 : montrer sa richesse
- 炫耀 : frimer
- 豪华车 : voiture de luxe
- 兰博基尼 : Lamborghini
- 法拉利 : Ferrari
- 宝马 : BMW
- 奔驰 : Mercedes
- 珠宝 :joaillerie
- 卡地亚 :Cartier
- 儒家 : confucianisme
- 道家 : taoïsme
- 百万富翁 :un vieux millionnaire
- 爱马仕 : Hermès
- 香奈儿 : Chanel
- 路易威登 : Louis Vuitton
- 圣诞罗兰 : Saint-Laurent
- 巴黎世家 : Balenciaga
- 古驰 : Gucci
- 巴黎老佛爷(百货公司) : Galeries Lafayette
- 巴黎春天 : Printemps
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