Dans cet article, je vais te présenter le concept des « deux Italie », symptomatique des graves inégalités qui touchent le pays. Si le concept permet de mieux comprendre ses enjeux politiques et économiques, il est également remis en question. Il ne faut pas tomber dans une vision binaire. Nous verrons donc comment mobiliser ce concept et quelles en sont ses limites.
Présentons le concept des « deux Italie »
Le concept des « deux Italie » fait référence à une séparation géographique (fictive) entre la zone du Nord de l’Italie et celle du Sud. On distingue ces deux zones en raison d’un écart important sur le plan économique, politique, mais aussi socioculturel. Mobiliser « les deux Italie » sert à mettre en avant un contraste, des inégalités fortes au sein d’un même pays, et peut servir de grille de lecture pour mieux comprendre les dissensions en Italie.
Les « deux Italie » est une idée liée à l’unification italienne de 1861. Alors que l’Italie était un pays divisé en d’innombrables régions, toutes très diverses culturellement et économiquement les unes des autres, l’unification a permis de faire un constat clair : la majorité des élites politiques se situe dans le Nord, alors en cours d’industrialisation, tandis que le Sud reste plus agricole et moins développé. Le mythe du Nord riche et du Sud pauvre est donc lancé. Mais tout n’est pas à jeter !
Cette tendance d’un Sud en retard sur son Nord s’explique historiquement par l’introduction au Sud de systèmes économiques adaptés au Nord. Cette situation amène à une dépendance économique du Sud, qui peine à trouver des investissements, envers le Nord.
Chiffres montrant que « il divario Nord-Sud » reste toujours d’actualité
Voici une liste non exhaustive de points sur lesquels le Sud est à la traîne. Tu peux ainsi mettre en lumière le fait que l’Italie est à deux vitesses sur certains sujets.
- En 2018, le taux de chômage au Sud, qui s’élève à 19,5 %, est trois fois supérieur à celui du Nord, qui est de 6,9 %. Si l’on considère le « centre », le taux de chômage est de 10 %.
- En 2018, l’écart d’emploi entre le Nord et le Sud est équivalent à celui qui existe entre la Grèce et l’Allemagne.
- En 2018, le risque de tomber dans la pauvreté est trois fois supérieur par rapport au reste du pays.
- Une personne provenant de Campanie, de Sicile ou de Calabre a une espérance de vie jusqu’à quatre ans inférieure à celle du Nord.
- Entre 2002 et 2021, plus de 2,5 millions de personnes ont quitté le Sud, dont 80 % vers le Centre-Nord.
- Le Sud a perdu 1,1 million d’habitants, dont 808 000 ont moins de 35 ans, dont 263 000 diplômés.
- En Italie, on observe une forte concentration de population dans les régions où se développent les secteurs de pointe, mais ces zones font souvent face à une pénurie de main-d’œuvre hautement qualifiée. Depuis 2012, la Lombardie et l’Émilie-Romagne ont enregistré un solde migratoire positif d’environ 80 000 jeunes âgés de 25 à 34 ans avec un diplôme universitaire, tandis que les Pouilles et la Sicile ont perdu plus de 30 000 jeunes, et la Campanie plus de 40 000.
Un autre point important à traiter est les différences de températures qui touchent l’Italie. En juillet 2023, le Nord de l’Italie a été frappé par des intempéries, tandis que les températures grimpaient jusqu’à 45 °C au Sud. L’Italie est donc un pays doublement victime du changement climatique qui doit agir de façon différente selon l’emplacement du problème.
Illustrer l’écart entre le Nord et le Sud par des films
Les examinateurs d’Italien sont souvent ouverts à des propositions de film pour illustrer tes arguments, en particulier aux oraux. Il peut donc t’être utile de regarder l’un de ces films si tu veux te détendre un peu et amuser ton jury.
Benvenuti al Sud, le Bienvenue chez les Ch’tis version italienne ! Ce film est un nanar comique qui raconte l’histoire d’un employé de Lombardie, plein de préjugés, transféré au Sud.
Le Christ s’est arrêté à Eboli ou Cristo si è fermato a Eboli, de Francesco Rosi, adapté du roman de Carlo Levi. Ce film traite de la découverte d’un Sud arriéré dans les années 1930 par l’auteur qui y a été exilé.
Chez Gino, ce film est également un nanar qui rentre peut-être un peu moins dans le thème. Gino a quitté le Sud de l’Italie pour vivre à Bruxelles, où il tient une pizzeria. Mais lorsqu’il apprend que son oncle mafieux est décédé, il décide de tourner un documentaire sur sa vie de faux mafieux en Belgique.
L’autonomie régionale : solution pour combler l’écart entre Nord et Sud ?
L’autonomie régionale est chère à de nombreux Italiens en raison d’un fort sentiment d’appartenance à leur région, le campanilismo. Je me devais donc d’aborder cette hypothétique solution. L’autonomie régionale est en apparence une bonne solution. Si le Sud est si peu développé face au Nord, n’est-ce pas parce que le Nord impose sa politique économique au Sud ? Eh bien, non. C’est un petit peu plus compliqué, et c’est pour ça que l’autonomie régionale est sans doute une fausse bonne idée.
Dans un monde mondialisé, le marché du Sud est loin d’être agrippé au Nord seul. Il dépend de l’Union européenne, de la Chine… et tant d’autres acteurs bien plus puissants que le Nord. Les capitaux, les marchandises et les personnes circulent avec une grande fluidité. La taille des marchés et les écarts des coûts de main-d’œuvre et de fiscalité entre les pays et les régions déterminent l’attractivité des investissements. Cela ouvre des opportunités pour certaines zones, mais peut aussi entraîner des impacts négatifs pour d’autres. Les écarts économiques dépendent surtout du marché.
La perception du Sud par le Nord et inversement
Le concept des « deux Italie » reste un concept qui divise la population italienne. Si l’on adopte une vision simpliste, il est courant de dire que le Sud et le Nord s’accusent mutuellement de tous leurs maux respectifs.
Dans l’imaginaire collectif, le Sud est la partie pauvre de l’Italie, berceau de la criminalité. En effet, on y trouve les quatre groupes mafieux les plus importants (la Cosa Nostra, la Camorra, la Quarta mafia et la ‘Ndrangheta). L’image des chefs mafieux originaires du Sud dégrade la zone méridionale et vient renforcer le cliché du Sud plein de délinquants.
Pourtant, le Nord n’est pas épargné par la criminalité : l’opération Mani pulite (Mains propres) en est la preuve. Dans les années 1990, ces enquêtes judiciaires débutant à Milan dévoilent au grand jour des cas de corruption de partis politiques baptisés Tangentopoli. Il ne fait aucun doute que le pouvoir concentré au Nord attire bel et bien la corruption attribuée, à tort, au Sud.
Les critiques : mobilisation excessive du concept par les médias
L’une des critiques que tu peux présenter est la persistance des médias italiens à souvent présenter un conflit ou une inégalité comme étant le reflet de l’écart entre le Nord et le Sud. Ce phénomène peut conduire à une simplification des problèmes complexes, où la source des maux est déjà toute prête : « C’est la faute du Nord » ou « C’est la faute du Sud ».
À force de mobiliser ce concept, on en vient non seulement à diviser la société italienne, entre Nord et Sud, mais aussi à effacer sa diversité. Tu sais probablement que l’Italie compte 20 régions où les accents, les dialectes et le campanilismo (campanilisme) restent fort présents. Parler seulement de fossé entre le Sud et le Nord est donc réducteur. On peut, à l’inverse, apprécier le caractère mosaïque qu’offre l’Italie de par sa multitude de régions.
Deux nouveaux modèles concurrencent l’idée des « deux Italie »
Au fur et à mesure du temps, de nouveaux concepts sont apparus. Ils reflétaient avec une plus grande précision les divisions en Italie. Le plus connu est celui des « trois Italie ». Peut-être as-tu remarqué qu’il est parfois question d’un « centre » en Italie qui vient écarter davantage le Nord du Sud.
Généralement, ce centre englobe les régions centrales ainsi que celles du Nord-Est. Dans ce cas de figure, le centre est moins peuplé que le Sud, mais son PIB est équivalent. Quant aux « cinq Italie », découpée par un Nord-Ouest, un Nord-Est, un Centre, un Sud, les Îles (Sicile et Sardaigne), on fait face à un modèle encore plus précis.
Petit point de grammaire
Attention ! En français, on n’ajoute pas la marque du pluriel aux noms de pays. On écrit « les deux Italie » et non « les deux Italies ». En revanche, en italien, on écrit « le due Italie » et non « le due Italia ».
Conclusion
Tu sais maintenant que le concept des deux Italie est un concept délicat qui reste d’actualité, mais présente une limite majeure : celle de diviser la population et les politiques autour d’un Nord et d’un Sud, alors que l’Italie est bien plus diversifiée.