Depuis plus d’un an, la Rai, la première chaîne de télévision publique en Italie, est accusée de subir la mainmise de l’extrême droite sur ses programmes et son contenu. Miroir fidèle de la culture italienne et de son paysage politique, la Rai, qui était surnommée la « mamma Rai », est aujourd’hui qualifiée de média servant la « télé-Meloni ». Les opposants au gouvernement dénoncent ainsi un contrôle de la liberté de la presse par l’État, qui se voit donc à travers cet exemple. Dans cet article, tu apprendras quelle importance occupe la Rai en Italie. On verra quel est son fonctionnement, mais également ses dysfonctionnements actuels dénoncés par de nombreux intellectuels et une partie de la classe politique.

L’histoire de la Rai, le média de référence en Italie

La politisation de la fameuse radiotélévision italienne n’est pas une affaire récente. En Italie, les médias ont toujours assumé leurs positions politiques. D’un point de vue historique, le lien entre les médias et la sphère politique a toujours été présent. Seulement, cela ne signifie pas que tous les contenus diffusés étaient et sont politisés, loin de là.

Par exemple, les populations rurales écoutaient principalement la radio pour la musique. Elles entendaient et partageaient les mêmes morceaux que ce qui pouvait s’écouter en ville et cela contribuait à renforcer le sentiment d’appartenir à une même communauté. Si l’on cherche ici un lien politique, on peut dire que la Rai a contribué à consolider le mythe national depuis sa création en 1924, après le Risorgimento.

L’essor de la Rai

Bien que l’histoire de la Radiotelevisione italiana (RAI) commence en 1924, c’est dans les années 1960 que l’institution italienne pénètre largement dans les foyers italiens et acquiert une influence considérable. En effet, elle passe de 88 000 abonnés en 1954 à 2,6 millions en 1961. Durant cette période, elle est aux mains du parti dominant de l’après-guerre, la Démocratie chrétienne (DC).

Les dirigeants du parti s’appliquent donc à recruter eux-mêmes le personnel et à choisir les programmes pour véhiculer leurs valeurs morales et éducatrices, comme la lutte contre l’analphabétisme, l’anticommunisme, les institutions sacralisées occupées par les catholiques… Ainsi, la DC utilise la télévision pour maintenir son influence.

En 1975, la Rai fonctionne selon le système de « lottizzazione » du Parlement. Pendant près de vingt ans, elle est partagée entre les trois partis dominants en Italie :

  • Rai 1 pour la Démocratie chrétienne (DC) ;
  • Rai 2 pour les socialistes (PSI) ;
  • Rai 3 pour les communistes (PCI) en 1987.

 

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Les dirigeants actuels de la Rai

Si l’arrivée des médias privés dans les années 1990 apaise la politisation de la télévision, la Rai ne s’émancipe pas de la sphère politique. En 2015, la réforme du secteur audiovisuel public du gouvernement de Matteo Renzi met fin au système de « lottizzazione ». Maintenant, le gouvernement nomme un « administrateur délégué » à la tête de la Rai. Il dispose des pleins pouvoirs.

Par ailleurs, le Sénat et la Chambre des députés nomment deux membres du conseil. Un dernier membre du conseil est nommé par l’assemblée du personnel. De ce fait, la politisation à la tête de la Rai est pleinement assumée et se répercute sur les échelons inférieurs de l’institution. Au cours du temps, la Rai a été majoritairement à gauche. Mais depuis les élections de 2022, tout a basculé.

Ainsi, l’animateur Bruno Vespa résume : « Le Parlement est le rédacteur en chef de la Rai et la majorité a toujours exercé son influence sur les nominations : la Rai a toujours été culturellement conditionnée par la gauche, même à l’époque de Berlusconi. Pour la première fois, un gouvernement a réussi à briser le plafond de verre. Il y a donc simplement plus de pluralisme. »

Le pluralisme, c’est généralement le terme employé par ceux qui sont favorables à ce basculement dans la sphère politique de la Rai. À la lumière des récents événements, on peut toutefois craindre que ce pluralisme ne soit en fait une limite à la liberté de la presse.

Les récentes polémiques autour de la Rai

Suppressions de postes, démissions, nominations stratégiques, réorganisation des programmes, censure… Les successives controverses médiatiques laissent supposer que l’extrême droite s’est embarquée dans une guerre culturelle. Elle semble faire de la Rai son principal instrument pour la mener.

Dans cette partie, nous allons donc revenir sur quelques polémiques marquantes qui révèlent une liberté de la presse fragile en Italie.

Les démissions successives

Avec le changement de direction de la Rai, certains membres éminents de la gauche ont démissionné pour rejoindre la concurrence. C’est le cas du présentateur vedette Fabio Fazio qui quitte le navire en mai 2023. Une négociation de son contrat n’allait pas être renouvelée et cela a entraîné son départ, au plus grand plaisir du vice-président du Conseil, Matteo Salvini.

Le Monde retrace également le départ de l’animateur Amadeus, ou encore la suspension à l’antenne de l’auteur de Gomorra, Roberto Saviano. Les grands noms s’en vont et les chiffres diminuent pour la Rai.

La censure du discours sur le fascisme d’Antonio Scurati

En avril 2024, l’écrivain Antonio Scurati est censuré par la Rai. Il devait prononcer un discours sur l’anniversaire de la Libération de l’Italie, le 25 avril 2024, dans l’émission Chesarà… diffusé sur Rai 3. Le contenu de son intervention avait déjà été révélé dans son article publié dans le journal La Repubblica, la veille de l’annulation de son intervention.

L’article d’Antonio Scurati, dénonçant le fascisme, explique que cette doctrine n’est pas délimitée dans le temps et qu’elle est toujours présente. Il évoque ainsi les crimes commis au printemps 1924 et au printemps 1944. Il sous-entend par la suite que le parti actuellement au pouvoir (et soutenant le gouvernement Meloni), Fratelli d’Italia, n’a jamais renoncé à son passé néofasciste.

Scurati n’a donc pas pu prononcer son discours sur Rai 3, car il a été annulé. Cela a fait naître des accusations virulentes de censure de la chaîne publique. Paolo Corsini, le directeur de l’émission Approfondimento de la Rai, ainsi que Giorgia Meloni, ont immédiatement nié ces dénonciations. Ils ont déclaré que le discours de Scurati avait été annulé pour des raisons économiques. Selon eux, Scurati aurait demandé à toucher 1 800 euros pour sa prestation.

Mais cette version est démentie par La Repubblica qui a publié un document interne à la Rai. Il évoquait de manière très claire qu’il s’agissait d’un « choix éditorial » et non financier. La secrétaire du Parti démocrate (centre gauche), Elly Schlein, déclare dans La Repubblica : « Cette télévision est le mégaphone du pouvoir, ce n’est plus un service public. » Face à ce tollé, Giorgia Meloni décide de publier le discours intégral de Scurati sur Facebook.

Les polémiques concernant la Rai sont innombrables

En 2022, on peut noter l’appel à l’interdiction de la diffusion à la Rai d’un épisode du dessin animé Peppa Pig. Dans cet épisode, un personnage a des parents homosexuels. Federico Mollicone, un proche de Meloni, a donc demandé à ce qu’il ne passe pas à la télévision.

Plus récemment, en juillet 2024, il a été reproché à la Rai de très peu diffuser les résultats des élections législatives en faveur de la gauche en France, préférant diffuser un reportage sur le festival Villes Identitaires, un événement orienté à droite. 

Que faut-il conclure de ces événements ?

La succession de ces « simples » scandales, en apparence indépendants, montre que la gestion de la Rai est bien une affaire d’État. 

Les polémiques autour de la Rai sont représentatives des problèmes plus complexes qui entourent l’Italie. Si les médias créent des controverses, il faut comprendre que les médias ne fonctionnent pas naturellement comme ça. Ils sont le produit d’aspects politiques et institutionnels. Il faut donc chercher le problème de façon plus profonde dans la société italienne.

Sous couvert de pluralisme, l’extrême droite au pouvoir remet en question l’équilibre médiatique en s’impliquant dans la Rai, une institution de la République italienne. Son implication est telle que certains parlent aujourd’hui de « télécratie » italienne. L’orientation politique de la chaîne de radio-télé en tête des audiences fait débat. La pierre angulaire du système médiatique n’a-t-elle pas pour mission de fournir des informations aussi objectives que possible à l’ensemble des autres médias ?

 

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