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Que tu sois en prépa A/L ou B/L, tu vas réaliser des commentaires de texte ou des dissertations de lettres sur des sujets variés. Parmi eux, la vraisemblance est un thème central qui revient très fréquemment. À travers une fiche de l’article « Vraisemblance et motivation » de Gérard Genette (1969), nous te proposons de revenir sur cette notion clé.

Pour commencer, petit retour sur le lexique

La vraisemblance désigne en littérature l’idée que ce qui est raconté ressemble à la réalité. Il ne faut pas confondre ce terme avec la vérité qui désigne ce qui s’est réellement passé. On peut faire face à un événement invraisemblable et qui est pourtant bel et bien arrivé.

Tout d’abord, prenons un exemple concret. La probabilité que la foudre frappe une personne est infiniment faible. Si jamais pareil événement se produit, il est rare que la personne touchée en sorte indemne. On pourrait donc dire qu’il est invraisemblable que la foudre frappe plusieurs fois le même homme et qu’il reste malgré tout en vie.

Pourtant, un cas pareil existe bel et bien ! L’Américain Roy Sullivan est entré dans le Guinness mondial des records après avoir été frappé sept fois par la foudre. Ici, l’invraisemblable n’en est pas moins vrai.

Maintenant que tu es plus au clair sur le terme « vraisemblance », passons au contenu de l’article de Genette !

Enjeux de vraisemblance, théâtre et roman à l’âge classique

Pour commencer, Gérard Genette évoque l’époque classique. La plupart des auteurs et théoriciens considèrent alors la vraisemblance comme primordiale. Il existe selon Genette un « amalgame » entre les notions de vraisemblance et de bienséance. La première relève d’une probabilité que quelque chose arrive. La seconde d’une obligation de faire quelque chose. Preuve de l’ambiguïté, les deux termes appellent l’usage du verbe devoir. On peut l’utiliser pour reprocher, « tu aurais dû faire ça », autant que pour dire « les choses auraient dû se passer autrement ».

Ensuite, pour illustrer sa démonstration, il fait un parallèle entre Le Cid de Corneille (1637) et La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette (1678). Si tu ne connais pas l’intrigue de ces œuvres, n’hésite pas à te renseigner. Tu peux déjà en savoir plus sur l’œuvre de Mme de La Fayette, qui était au programme de khâgne A/L à la session 2022, car nous lui avons consacré un article entier juste ici ! Déjà parce que tu comprendras mieux les explications de Genette, aussi parce qu’il s’agit de monuments de la littérature française susceptibles de tomber en commentaire de texte.

Le cas du Cid de Corneille

Dans la pièce de Corneille, on a reproché à Corneille certains éléments de son intrigue. Les motifs invoqués mêlent vraisemblance et bienséance. Chimène n’aurait pas dû accepter de recevoir Rodrigue après que celui-ci a tué son père lors d’un duel.

L’attitude du personnage est peu crédible. Il semble incohérent d’agir de façon aussi immorale. L’action est invraisemblable parce qu’elle n’est pas bienséante. Elle n’aurait pas dû agir de la sorte, ce qui est notamment reproché à Corneille dans ce qu’on appelle « la querelle du Cid ».

Georges de Scudéry, dramaturge contemporain de Corneille, explique que « Le Cid choque les principales règles dramatiques ». En premier lieu, celle de la vraisemblance. Chimène est présentée comme une femme d’honneur avec un sens de l’amour filial. Il est donc incohérent qu’elle accepte de rencontrer Rodrigue et qu’elle accepte de l’épouser, alors que sa vertu s’y oppose. Scudéry conclut que si le mariage de Chimène et Rodrigue a bel et bien eu lieu historiquement, il n’est pas pour autant vraisemblable. Corneille aurait dû choisir un autre sujet pour rédiger sa tragédie.

Le cas de La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette

La Princesse de Clèves a aussi suscité son lot de polémiques. Aux yeux des critiques, Mme de Clèves agit d’une manière non conforme aux bonnes mœurs puisqu’elle se confie à son mari au sujet de ses sentiments pour le Duc de Nemours. Un sacrilège pour l’époque ! Si la fidélité n’est pas forcément perçue comme fondamentale, on estime qu’il faut faire preuve d’une certaine discrétion. Les adversaires de Mme de La Fayette reprochent à son personnage d’avoir usé d’un « procédé du dernier bourgeois ».

Genette rappelle dans son article que la vraisemblance s’attache à un respect des normes et des maximes. Il va sans dire qu’elles ne sont pas ici respectées par Mme de Clèves. Problème : à l’époque classique, on estime que la vérité est défectueuse puisqu’elle peut être invraisemblable. Les auteurs doivent rester dans la catégorie du « devant être » et présenter des intrigues vraisemblables.

Il y a comme un travail de correction du réel rappelé clairement par René Rapin dans Les Réflexions sur la poétique et sur les ouvrages des poètes anciens et modernes (1684). Il y explique : « La vérité ne fait les choses que comme elles sont, la vraisemblance les fait comme elles doivent être. » Selon le comte de Bussy qui critique Mme de La Fayette, Mme de Clèves se comporte de façon « extravagante » puisqu’elle ne respecte pas la bienséance. Or, à l’ère classique, l’extravagance est un privilège du réel.

Quelle définition du vraisemblable à l’âge classique ?

En s’appuyant sur ces deux exemples, Genette propose la définition suivante du récit vraisemblable. Il s’agit selon lui d’un « récit dont les actions répondent, comme autant d’applications ou de cas particuliers, à un corps de maximes reçues comme vraies par le public auquel il s’adresse ». Ce qui rend ces récits vraisemblables agréables, c’est le « relatif silence de leur fonctionnement ».

Ne peut-on s’opposer à la vraisemblance ?

On a déjà vu des auteurs sembler s’opposer à la vraisemblance sans aucune justification. Genette donne l’exemple de la tentative d’assassinat de Mme de Rênal par Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir. Cette action touche presque à l’extraordinaire tant elle paraît inexplicable. Elle est d’autant plus invraisemblable que Stendhal n’apporte apparemment aucune justification. Selon Genette, l’auteur « a choisi de conserver, ou peut-être de conférer [à ces actions], par son refus de toute explication, cette individualité sauvage » du personnage.

Stendhal pourrait donc être un auteur se plaçant délibérément à l’opposé de la vraisemblance et de l’opinion du public. Pour Genette, un parallèle peut être fait avec La Princesse de Clèves. Si à bien des égards, Mme de La Fayette semble prêter allégeance au classicisme, un certain modernisme se dégage de son œuvre. En effet, l’autrice s’accorde le droit de frôler l’invraisemblance dénoncée par ses opposants. Bussy-Rabutin, membre de l’Académie française, déplore par exemple que Mme de La Fayette ait « plus songé à ne pas ressembler aux autres qu’à suivre le bon sens ».

L’invraisemblance permise si elle est justifiée

Le cas du récit balzacien

Nous avons vu que certains auteurs semblent rompre ouvertement avec la vraisemblance. Selon Genette, d’autres s’arrogent le droit de produire un récit invraisemblable en offrant de nombreuses justifications. Le récit balzacien en est une parfaite illustration.

Comme le rappelle Genette, les retours en arrière explicatifs ou les commentaires sur la diégèse sont nombreux. Dans son roman Gobseck, Balzac n’hésite pas à justifier des faits précis et invraisemblables en s’appuyant sur une prétendue loi générale. Le personnage éponyme est un usurier à l’attitude illogique de la première à la dernière ligne du roman. Après sa mort, le narrateur pénètre son domicile. Il déclare : « Dans la première pièce que j’ouvris, j’eus l’explication des discours que je croyais insensés, en voyant les effets d’une avarice à laquelle il n’était plus resté que cet instinct illogique dont tant d’exemples nous sont offerts par les avares de province. »

Cet extrait illustre bien ce que Bardèche appelait l’« apparente rigueur » balzacienne ou ce que Valéry désignait comme « la main de Balzac » planant au-dessus des personnages et déterminant le destin des personnages. L’auteur lui-même reconnaît que les actes de Gobseck sont « insensés ». Mais il les justifie au nom des nombreux « exemples […] offerts par les avares de province ».

Comparaison des récits balzaciens et stendhaliens

Pour Genette, Stendhal et Balzac illustrent bien la différence entre récit « motivé » et « non motivé ». Tous deux entendent conserver leur liberté auctoriale et exercer une forme d’arbitraire du récit. Mais cette même intention donne deux résultats drastiquement opposés.

Dans le cas de Stendhal, l’invraisemblance est flagrante et assumée. Chez Balzac, le récit peut sembler logique au premier regard même si, en réalité, il ne se justifie qu’à force de « parce que », de « car » et de « pourquoi ». Dans un cas, l’arbitraire se laisse voir, dans l’autre pas.

En résumé

On distingue trois types de récits :

  • le récit vraisemblable ;
  • le récit motivé ;
  • le récit arbitraire.

Dans le premier, la motivation est implicite : il n’est pas nécessaire de justifier l’action. Je peux écrire : « Brian est dans la cuisine, allume le four et prépare un gâteau. »

La situation est différente pour le récit motivé. L’action que je décris n’est pas vraisemblable et requiert une motivation explicite. Si je veux écrire « Brian allume le four et va se coucher », je vais alors préciser « … parce qu’il est fou ».

Dans le cas du récit arbitraire, l’auteur ne prend pas la peine de justifier. On peut alors écrire simplement : « Brian allume le four et va se coucher. »

Au regard de ces trois types de récits, Genette explique qu’il n’y a pas de différence formelle entre vraisemblable et invraisemblable. La distinction entre les deux ne relève que de justifications de l’auteur, de la psychologie des personnages ou de maximes communément admises. Dès lors, la vraie différence réside entre le récit « motivé » et le récit « non motivé ».

Tu en sais désormais un peu plus sur les enjeux de vraisemblance et de motivation ! N’hésite pas à lire de ton côté l’article de Genette pour plus de détails. Les explications qu’il offre peuvent t’être d’une aide précieuse dans tes dissertations !