Macé

Dans la perspective du programme de lettres de prépa littéraire A/L 2023 portant sur le « récit de soi », nous te proposons dans cet article d’analyser l’essai Façons de lire, manières d’être de Marielle Macé, publié en 2011.

N’hésite pas à consulter nos autres articles sur le programme, en particulier celui portant sur L’Événement d’Annie Ernaux, prix Nobel 2022.

L’auteure

Marielle Macé, née en 1973, est ancienne élève de l’ENS, agrégée de lettres et docteure en littérature française de l’université Paris-Sorbonne (2002). Directrice de recherche au CNRS, spécialiste de théorie littéraire, elle enseigne la littérature à l’EHESS.

Sa réflexion porte sur le genre de l’essai, sur l’extension de la notion de style et sur les formes de l’expérience littéraire.

L’ouvrage

Façons de lire, manières d’être est une réflexion personnelle sur les modes de vie des lecteurs. Marielle Macé s’intéresse à la question de la stylisation de l’existence en la reliant à la lecture, car, selon elle, les œuvres littéraires ont une influence sur la manière de styliser nos existences.

« Façons de lire, manières d’être est un parti pris pour les formes ». Il part d’une conception de la vie comme engagement de formes : rythmes, gestes, styles, façons. Il affirme qu’il n’y a pas d’un côté la littérature (un territoire esthétique séparé), et de l’autre la vie, informe et opaque ; mais qu’il y a, dans la vie elle-même, ce que l’on peut appeler des « styles d’être », qui circulent entre les gens et les œuvres, qui les animent et les affectent. En sorte que les formes littéraires se proposent dans la lecture comme de véritables phrasés de vie […]. » Gallimard, NRF Essais, 2011, p. 10

« […] Car les formes avec lesquelles travaillent les écrivains (et qu’approche, à l’école, l’explication de texte) sont des formes de la vie, des réponses apportées par les textes aux questions que pose la vie elle-même. Je suis convaincue, par exemple, que cela vaut la peine de regarder comment tel ou tel texte construit une expérience des pronoms, nous apprend à dire « je » ou « nous » d’une nouvelle façon, à le dire en conscience, avec joie, sans se laisser confisquer cette tâche. […] Formes littéraires/formes de vie : c’est ce rapport (miroitement, appui, friction, tension, ou métamorphose réciproque) qui constitue la proposition originale de ce livre. » Gallimard, NRF Essais, 2011, p. 10-11

La question de la stylisation de nos existences

Marielle Macé aborde la question de la stylisation de nos existences par la littérature et soutient l’idée que tout un chacun peut construire son propre style (entendu comme mode d’existence singulier) grâce à un texte ; les œuvres littéraires auraient ainsi une influence sur la manière dont un individu se construit et dont il se présente au monde.

Marielle Macé repart de Ricœur qui, dans Temps et Récit III, fonde la notion « d’identité narrative ». Soit l’idée qu’un individu se construit en se racontant dans un récit de soi sans cesse renouvelé. C’est par les récits qu’il construit son existence, qu’elle prend du sens et de la consistance.

Ricœur distingue en particulier deux éléments

Ce qui est toujours identique, ce qui est idem, ce qui ne change pas et qui nous constituerait toujours ; et l’ipséité, le soi qui change. Une personne demeure la même à travers le temps tout en étant soumise à des changements et des évolutions, parce qu’elle vit et agit.

Cependant, l’identité ne saurait émerger de façon automne à travers nos actions. Selon Ricœur, l’identité est une construction consciente qui advient dans la mise en forme langagière, et plus particulièrement dans le récit de soi. C’est en se racontant qu’il est possible de donner une consistance à son identité. Toutefois, le récit de soi n’est jamais créé ex nihilo. Il est toujours influencé par le récit que font les autres de leur propre vécu. Le récit littéraire est donc particulièrement intéressant, car il ne nous donne pas seulement des modèles à imiter, mais il nous inspire et nous donne des lignes pour bâtir notre propre identité.

Marielle Macé repart ainsi de cette notion, suit les conclusions de Ricœur, mais ajoute une idée supplémentaire. Celle que chacun peut avoir accès à une reconception métaphorique de soi ainsi qu’à de nouvelles conceptions grâce à la littérature. On ne cesse de voir ce que l’on aurait pu être et de tirer les fils « d’existences possibles ».

« Cette piste que Ricœur n’a pas tout à fait empruntée, je veux la suivre activement ; en étendant la dynamique de la refiguration au-delà de la narration, en ouvrant à une considération plus générale de la formation des formes, et donc des possibilités (des manières, des profils) de stylisation de soi devant les œuvres. Car ce sont toutes sortes de configurations esthétiques qui s’offrent en modèle, en miroir ou en obstacle au mouvement de notre propre individuation. » Gallimard, NRF Essais, 2011, p. 156

Le récit de soi comme dépassement de la simple narration

Marielle Macé utilise plus que la pure narration. Selon elle, on se construit effectivement en se racontant, mais en se racontant, on fait aussi de notre expérience un tout cohérent. La vie pure n’est jamais claire et simple, car on en change perpétuellement les lignes. Elle est en constante métamorphose. Il faut donc aller au-delà de la narration en ayant recours à des « formes, des images et des forces », des modèles de subjectivation esthétique qui ne relèvent pas seulement de la narration, mais qui sont également des « réserves de subjectivation », des réserves de modes d’être.

« Il n’y a pas d’un côté la littérature et de l’autre la vie, dans un face-à-face brutal et sans échanges qui rendrait incompréhensible la croyance aux livres – un face-à-face qui ferait par exemple des désirs romanesques de Sartre une simple confusion entre la réalité et la fiction, un renoncement à l’action, une humiliation du réel, et par conséquent un affaiblissement de la capacité à vivre. Il y a plutôt, à l’intérieur de la vie elle-même, des formes, des élans, des images et des manières d’être qui circulent entre les sujets et les œuvres, qui les exposent, les animent, les affectent. » Gallimard, NRF Essais, 2011, p. 20

On n’est pas seulement un individu par la manière qu’on a de se raconter

Par la littérature, Marielle Macé appelle à exister différemment, à expérimenter d’autres existences. Chaque chose, chaque forme est potentiellement une manière d’être possible. S’individuer, c’est se donner du style, dans cette manière de ne jamais cesser de rediriger et moduler les formes que nous offre la littérature.

Il ne s’agit donc pas de se fossiliser dans une seule forme, mais de toujours être dans la reconfiguration, car une fois que l’on est passé par des formes d’être, celles-ci sont périmées. On est déjà dans d’autres formes, dans d’autres configurations. La littérature consiste donc à se donner forme à travers les mots, les images, les figures. On prend des modèles littéraires, puis on les infléchit. On leur fait subir des variations et on se remet soi-même dans le modèle, on le fait bouger.

La littérature comme enrichissement de nos récits individuels

Marielle Macé évoque ainsi une « recomposition métaphorique de soi ». On ne cesse de tirer les fils d’existences possibles, car il existe une multitude de moi pouvant s’incarner dans une multitude de variations de formes.

« L’homologie du destin et du récit n’épuise pas les formes de l’individuation. Je crois qu’il faut décidément dégager le rapport entre les formes, le sens et le soi du seul cadre narratologique (et des méthodes afférentes), et cesser de déposer dans le roman le monopole d’une herméneutique de soi pour envisager la pluralité réelle, extraordinaire, des ressources et des modèles de subjectivation esthétique. Les formes, les images et les forces qui traversent notre monde sensible sont innombrables, et constituent autant d’appels. Identités rythmiques, identités figurales : ce sont d’autres promesses d’individuation, d‘autres capacités d’être. Penser l’identité avec les instruments du style ne conduit pas seulement à une opération de réidentification, où une individualité resterait identique dans la multiplicité de ses occurrences. Non : la stylisation est justement cette opération générale par laquelle un individu ressaisit d’une façon partiellement intentionnelle son individualité, répète toutes sortes de modèles, mais aussi les modules, redirige, infléchit des traits, dans le maintien et la transformation desquels cet individu s’atteste et se reconnaît activement, en s’exposant, en engageant son identité dans sa façon même de le dégager. » Gallimard, NRF Essais, 2011, p. 165-166

Marielle Macé nous explique que le récit ne se contente pas de créer l’identité d’un individu

Il offre également une identité rythmique et figurale à travers d’autres promesses d’individuation.

Chaque forme autour de moi est potentiellement un outil à la construction de soi. S’individuer, c’est se donner un style en modulant les formes du monde. On ne cesse de se refigurer ; le style n’est jamais fixe. Il s’agit de donner des mots, des formes, des images à une identité, ce qui rejoint une problématique profondément proustienne : « La seule vie pleinement vécue, c’est la littérature ».

Comme dans la photographie à l’argentique, la littérature accumule les clichés et doit ensuite les développer à travers le langage, le récit. Il faut être capable de développer, et par-là d’être créateur, ce qui requiert un effort. Or, tout le monde ne développe pas ses clichés. Proust déplore ainsi, non pas une perte de nature quantitative, mais une perte de nature qualitative. Chacun a intérêt à se raconter, car le monde apparaît d’une manière différente à chacun d’entre nous.

Le style consiste donc à développer nos formes littéraires, nos visions singulières

Nous ne percevons pas tous la même chose, et c’est pour cette raison que nous devons faire l’effort d’exprimer notre perception singulière.

Proust écrit ainsi dans Le Temps retrouvé que « par l’art seulement, nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre ». Afin de voir à travers les yeux d’un autre, il faut donc que l’autre exprime ce qu’il voit, d’où la nécessité d’avoir recours à la littérature, au récit de soi.

Par conséquent : « C’est dans cette voie d’intercession que le lecteur trouve à se figurer. L’œuvre fournit un langage, des possibilités de diction et donc des possibilités de langage : ‘le livre fait le sens, le sens fait la vie’. » Gallimard, NRF Essais, 2011, p. 205

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