personnage

Tout roman a son personnage, mais tous les personnages ne sont pas des personnages de romans. Qu’est-ce que le personnage ? Quelle est sa fonction ? Mais aussi : qu’est-ce qui différencie le personnage de roman d’un personnage de théâtre ou du persona poétique ? Cet article est la suite de notre première partie consacrée au personnage de roman.

Introduction

Le mot personnage tire son étymologie du latin persona, qui désigne le masque d’un acteur. Ainsi, en français, le terme renvoie à l’idée d’une apparence, ce qui pose le problème du rapport à l’identité. Ce problème, c’est qu’un certain nombre de procédés visent à construire le personnage comme une personne.

Pourtant, il s’agit bien dans les faits d’un être de mots et de papier. Il n’a d’autre existence que celle que lui confère la plume d’un auteur.

Le personnage comme fonction dans un système narratif

Le personnage n’est pas une personne, il est un outil qui remplit une fonction dans le système que constitue le récit. C’est ce que soutient Algirdas Julien Greimas dans son schéma actantiel : le personnage est un actant qui se définit comme une force agissante pour construire le récit. Parmi ces forces agissantes, on retrouve le destinateur, le sujet, l’objet et le destinataire, ainsi que des adjuvants et des opposants. Ici, on dénature la notion de personne. D’ailleurs, les actants ne sont pas nécessairement des personnages. Il s’agit de se concentrer sur la fonction que sert le personnage au sein de la narration. S’il la fait progresser en aidant le héros, alors il est un adjuvant (c’est Mushu dans Mulan). S’il se présente comme un obstacle à l’avancement du récit, alors il est un opposant (comme Dark Vador dans Star Wars).

Un autre théoricien, Claude Bremond, propose d’étudier le rôle du personnage à partir de deux positions fondamentales. Le personnage peut être soit le patient (c’est-à-dire celui qui est affecté par le processus), soit l’agent (celui qui initie le processus). Suivant les différents types d’actions subies ou agies, Bremond différencie des groupes. Il établit trois types d’agents : influenceur, modificateur et conservateur. Il décrit aussi deux types de sous-catégories de modificateurs : les dégradeurs et les améliorateurs, qui se rapprochent des adjuvants et des opposants de Greimas. C’est une autre façon de concevoir le personnage, non plus comme une personne, mais bien comme une fonction du récit.

Le personnage comme signe

Philippe Hamon, dans un article intitulé « Statut sémiologique du personnage », écrit : « Un personnage de roman naît seulement des unités de sens, [il] n’est fait que de phrases prononcées par lui ou sur lui. » Autrement dit, le personnage ne se constitue que de signes linguistiques et, comme tout signe, il est donc une unité doublement articulée. C’est-à-dire un signifiant et un signifié (Saussure).

Le signifiant du personnage

On l’a vu, au sein du texte, le personnage est souvent désigné par des noms propres, mais aussi par des noms communs, des pronoms personnels, des périphrases, des adjectifs… Pour pouvoir bâtir une image mentale de ce personnage, il faut que le signifiant obéisse à deux règles : une récurrence des signes et une stabilité.

D’ailleurs, le roman moderne fait le choix de très largement jouer sur l’instabilité des signes. Ainsi, le pronom personnel de la troisième personne du singulier « il » dans L’Acacia de Simon est commun à deux personnages sans qu’il soit possible de toujours clairement les distinguer. De la même manière, Quentin est le prénom de deux personnages dans Le Bruit et la Fureur de Faulkner.

Le signifié du personnage

Le signifié du personnage est une construction qui s’effectue sur le temps long de la lecture. Ce signifié est, au départ, une unité de sens vide, qui va ensuite se construire au cours de la lecture. Là aussi, cette construction ne peut s’opérer qu’à certaines conditions. Elle doit être cumulative (c’est-à-dire confirmée au cours de la lecture par des signes cohérents) et différentielle (ce qui veut dire que le personnage se construit dans un principe de différence par rapport aux autres).

Regardons par exemple ce portrait des deux tantes de James dans James et la grosse pêche de Roald Dahl.

« Tante Éponge était petite et ronde, ronde comme un ballon. Elle avait de petits yeux de cochon, une bouche en trou de serrure et une de ces grosses figures blanches et flasques qui ont l’air d’être bouillies. Elle ressemblait à un énorme chou blanc cuit à l’eau. Tante Piquette, au contraire, était longue, maigre et ossue, elle portait des lunettes à monture d’acier fixées au bout de son nez avec une pince à linge. Sa voix était stridente et ses lèvres minces et mouillées. Quand elle s’animait ou quand elle était en colère, elle envoyait de petits postillons. »

Dans cet extrait, on voit bien que les personnages des deux tantes sont construits l’un par rapport à l’autre, de manière différentielle. Le choix des adjectifs et des images le confirme. L’une est « petite et ronde », tandis que l’autre est « longue, maigre et ossue ». Ce procédé de différenciation est souligné par la locution adverbiale « au contraire », qui relie et contraste les deux portraits. Le nom même de chaque tante tend à souligner leur dichotomie. Les noms Piquette et Éponge s’opposant tant dans leurs sonorités que dans leurs significations onomastiques.

Le personnage comme effet de lecture

Le personnage est une construction du texte, mais il est aussi le produit d’une reconstruction par la lecture. Le travail de lecteur consiste à convertir une suite linguistique en une série de représentations qui transcendent le texte. L’élaboration du personnage est donc le fruit d’une collaboration entre le texte et le lecteur. C’est ce que soutient Vincent Jouve, pour qui il existe un véritable « effet-personnage » dans le roman. Ce dernier défend que cet effet-personnage est la construction d’une image mentale à partir d’une série linguistique. C’est-à-dire l’élaboration du personnage, dont on a l’impression qu’il s’agit d’une personne, à partir du texte.

Pour Jouve, cette construction se fait en trois temps :

  1. D’abord, il y a construction à partir de compétences extratextuelle. C’est-à-dire un recours à l’expérience personnelle du lecteur, l’intervention de ce que nous sommes.
  2. Ensuite, interviennent les personnages intertextuels. C’est l’idée qu’un personnage se construit aussi en lien (de ressemblance ou d’opposition) avec d’autres personnages d’autres romans.
  3. Enfin, le développement de l’image du personnage suscitera l’imagination du lecteur en fonction de l’aspect directif ou non du texte. Certains textes offrent des portraits de personnages extrêmement précis qui guident l’imagination, c’est le cas de Balzac par exemple. D’autres laissent une plus grande place à l’imaginaire personnel du lecteur, libre de se figurer ce qu’il souhaite. C’est le cas des personnages de La Jalousie, dont nous n’avons aucune description conventionnelle, notamment en ce qui concerne le mari.

Conclusion

Le personnage de roman est certes conçu et perçu comme une personne, mais il n’en reste pas moins une créature de papier. Il est désigné et qualifié de sorte à produire l’illusion d’un être réel. La représentation du personnage de roman évolue au fil des époques, de pair avec la conception de l’Homme.

Néanmoins, il ne faut pas oublier que le personnage est un outil qui sert une fonction dans un système narratif. Là encore, les fonctions diffèrent. Il peut s’agir de se constituer comme point d’entrée ou d’ancrage dans la narration, comme moteur de la résolution ou, au contraire, instigateur du conflit, permettre l’identification, etc. Le personnage est donc une somme de signes, qu’il convient d’interpréter. Cette interprétation, menée par le lecteur et plus ou moins guidée par l’auteur, est donc le fruit d’une collaboration entre celui qui écrit le livre et celui qui le lit.

Bibliographie

Textes cités 

  • Alain Robbe-Grillet, La Jalousie
  • Nathalie Sarraute, Portrait d’un inconnu
  • Claude Simon, La Bataille de Pharsale et L’Acacia
  • Philippe Hamon, « Statut sémiologique du personnage », Poétique de la prose
  • William Faulkner, Le Bruit et la Fureur (titre original : The Sound and the Fury)
  • Roald Dahl, James et la grosse pêche (titre original : James and the Giant Peach)

 

Sources

  • Nathalie Sarraute, L’Ère du Soupçon
  • Algirdas Julien Greimas, Sémantique structurale, recherche et méthode
  • Claude Brémond, Logique du récit 
  • Louis Ferdinand De Saussure, Cours de linguistique générale
  • Vincent Jouve, L’Effet-personnage dans le roman