Si tu fais partie des étudiants ayant suivi l’option Grec au lycée il y a quelques années, tu as certainement rencontré l’œuvre romanesque Daphnis et Chloé de Longus. Ce roman incontournable est également au programme des Écoles normales supérieures en spécialité langues anciennes pour la session 2023.
Dans cet article, nous te proposons ainsi quelques pistes sur ce roman daté du Ier siècle de notre ère. Pour découvrir d’autres articles sur la culture antique ou plus largement sur la prépa littéraire, n’hésite pas à cliquer juste ici !
Introduction sur Longus et son œuvre
L’œuvre
Daphnis et Chloé, ou plus exactement Les Amours pastorales de Daphnis et Chloé pour son nom complet, est un récit d’amour et d’aventures en prose, en quatre livres, que l’on appelle roman pour l’intégrer dans un genre littéraire que l’on connaît.
En réalité, ce genre littéraire n’était pas identifié comme tel dans l’Antiquité. Ces romans avaient tous la même construction et la même intrigue : l’amour de deux jeunes personnes, qui sont caractérisées par leur beauté et leur innocence. Le récit inclut également des aventures de pirates, des histoires de voyages en bateau, d’enlèvements ou de combats entre plusieurs personnes. Tous les dénouements sont heureux.
On appelle ces romans des Eroticas (Ερωτικα). Daphnis et Chloé propose une construction légèrement différente du roman en ce que les topos (τοπος) abordés (les thèmes) s’écartent des canons usuels. Par exemple, il n’y a pas de grands voyages : l’action reste centrée à la campagne, dans un milieu entièrement bucolique. Il n’y a pas non plus d’épisodes avec des pirates.
Cette œuvre s’inscrit dans la continuité des poèmes idylliques romains et se déroule sur l’île grecque de Lesbos, dont serait originaire Longus.
L’auteur
Longus est l’auteur de ce roman, mais nous n’avons aucune autre indication sur sa naissance, son origine, ni même sa vie. Il aurait néanmoins vécu dans la deuxième moitié du IIᵉ siècle de notre ère au début du IIIᵉ siècle apr. J.-C.
Si tu ne disposes pas du texte intégral sous la main, nous te proposons de le lire en cliquant sur ce lien. Il s’agit de la version traduite par Amyot au XVIIᵉ siècle. Cette version est très agréable à lire, car elle est agrémentée de quelques-uns des tableaux réalisés par Chagall en 1961, sur lesquels nous revenons à la fin de cet article.
Le préambule
Le préambule (προοιμιον) présente de manière générale un coup de foudre entre deux jeunes gens. Ici, le roman débute avec la description d’une peinture sur le mur d’une grotte : une ekphrasis (εκψρασις). C’est-à-dire la description à l’écrit d’une œuvre d’art. La description du bouclier d’Achille dans l’Iliade est une ekphrasis. Il s’agit par conséquent d’un procédé permettant la mise en abîme d’un élément dans un texte.
C’est en voyant cette œuvre d’art que Longus souhaite rivaliser avec elle par l’écriture : « En l’île de Lesbos, chassant dans un bois consacré aux Nymphes, je vis la plus belle chose que j’aie jamais vue en ma vie, une image peinte, une histoire d’amour. »
Une nature omniprésente
Le champ lexical de la nature est partout : il s’agit d’un roman pastoral, qui se déroule dans un cadre champêtre. On y retrouve la présence du monde animal, avec des chèvres, brebis et moutons, qui sont le centre des occupations des deux protagonistes.
À cet effet, on peut mentionner les écrits de Théocrite (IVᵉ siècle av. J.-C.), qui écrit des poésies bucoliques. Mais aussi ceux de Virgile (fin du Ier siècle av. J.-C.- début du Ier siècle apr. J.-C.), mettant en scène des bouviers et des bergers.
Résumé de l’œuvre
Chloé voit Daphnis nu. Elle tombe immédiatement amoureuse de lui et tombe malade pendant plusieurs jours, sans savoir de quel mal elle est atteinte. Quelques jours plus tard, elle donne un baiser à Daphnis, qui a gagné la joute oratoire contre son rival, le bouvier.
Or, Daphnis tombe malade à son tour. Il comprend après coup qu’il est tombé amoureux de Chloé, avant de la voir nue quelques jours plus tard (I, 17, 3-I, 18, 1). Tous deux sont donc particulièrement innocents, car ils sont en tout ignorants des choses de l’amour.
Par ailleurs, son intrigue relève de la fiction et pas de la mythologie. Ce qui est encore assez rare à l’époque de l’écriture de ce roman. L’action se situe dans un passé lointain, dans une époque antérieure à Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.) et qui n’a rien à voir avec l’Empire romain.
Longus emprunte au théâtre le principe d’un resserrement spatiotemporel qui le différencie nettement des autres romans grecs. En effet, l’intrigue est circonscrite à l’île de Lesbos et dure moins de deux ans, du printemps à l’automne de l’année suivante. Il y a par conséquent une relative unité de temps, de lieu et d’action. On note toutefois le passage dans lequel Daphnis raconte le mythe d’Écho et Narcisse à Chloé. Preuve que l’intrigue ne se soustrait pas complètement à l’influence de la mythologie antique.
Les personnages
Daphnis est un jeune chevrier (berger qui s’occupe des chèvres), qui a été trouvé quand il était encore petit dans un bosquet de laurier par Lamon. Son nom provient du grec ancien δάφνη, qui signifie « laurier ».
Le destin de Chloé est très similaire à celui de Daphnis. Elle est bergère et a également été recueillie par un berger (Dryas), après avoir été trouvée.
Ils grandissent dans un décor pastoral et s’éprennent l’un de l’autre, mais de multiples rebondissements les empêchent d’assouvir leur amour.


Cependant, le dénouement relève de la comédie. Les deux enfants sont reconnus par leurs parents respectifs, qui sont de riches personnages de Mytilène (ville de Lesbos sur laquelle se déroule l’histoire), qui sont des amis de toujours, et qui vont les marier.
La figure d’Éros
Le dieu de l’amour est ici particulièrement présent, notamment dans le livre II, dans lequel Longus estime qu’« Éros est plus puissant que Zeus ».
En effet, il est indiqué qu’« il a le pouvoir sur les éléments, sur les astres et sur ses semblables, les dieux » (Pastorales, II, 7). L’auteur ajoute même que « toutes les fleurs sont les œuvres d’Éros » et que « grâce à lui, les fleuves coulent et les vents soufflent ». Cette figure régit la moindre interaction entre Daphnis et Chloé et agit en toute liberté.
Analyse
Daphnis et Chloé se distingue par son absence de visée moralisatrice et par la brièveté de son récit. Ce dernier se contentant de retranscrire la naissance, puis l’évolution des sentiments amoureux entre deux jeunes adultes. En ce sens, il s’agit de l’éducation sentimentale de deux adolescents, de l’apparition de l’amour jusqu’à sa consommation.
Il est néanmoins à noter que cette simplicité n’est qu’apparente. Le prologue, dans lequel Longus se met en scène, donne une clé de lecture importante du texte : la confrontation entre la nature et la culture, qui se termine toujours à l’avantage de la culture.
Il existe par ailleurs une harmonie entre les humains, les animaux et les divinités. Ce qui est caractéristique du mythe de l’âge d’or, avec ses valeurs naturelles, éloignées des conventions artificielles de la ville. L’âge d’or est un mythe dont la version la plus connue remonte au VIIIᵉ siècle av. J.-C. C’est le poète Hésiode qui, dans Les Travaux et les Jours, décrit un règne idéal et paisible de Saturne. À cette époque prospère, les hommes sont justes, purs et proches des dieux.
Sur le plan de l’écriture, on retrouve une prédominance de structures doubles ou parallèles, appelée les chants amébées. Double abandon de Daphnis et Chloé, double baignade de Daphnis puis de Chloé, double enlèvement successif des deux protagonistes, etc. Le chant amébée (ou amoébée, du grec ἀμοιβαῖος, « qui se répond, par alternance ») est un chant, souvent écrit en vers, fondé sur un dialogue lyrique de couplets de même longueur et de sens analogue. La réplique qui est donnée est en analogie, en contraste, ou en dépassement par rapport à la précédente. Les chants peuvent être alternés ou successifs.
Daphnis et Chloé dans l’art
Tout au long du roman, on relève l’importance de la musique, des flûtes, des chants et des danses. Ce qui explique en partie sa postérité dans les différents arts lors des siècles suivants.
Dès lors, comme pour nombre d’œuvres littéraires classiques, Daphnis et Chloé a inspiré beaucoup d’artistes au fil des siècles. Ces œuvres peuvent constituer de très bonnes accroches et/ou ouvertures dans une copie. De plus, elles peuvent offrir un point de comparaison, une mise en perspective très utile et originale pour un développement.
Quelques exemples à mobiliser dans tes copies pour alimenter aussi ta culture générale
Littérature : Paul et Virginie
À l’issue de la présentation de ce roman, peut-être as-tu entraperçu certaines similitudes avec d’autres œuvres littéraires que tu as rencontrées.
Ainsi, celle de Paul et Virginie, de Bernardin de Saint-Pierre, publié en 1788, contient de nombreux points de comparaison.
Si tu souhaites en savoir plus sur ce roman, qui a eu un effet retentissant au moment de sa parution, nous te renvoyons vers ce court article très clair disponible en libre accès sur Cairn et rédigé par Youmna Charara. Il te permettra d’embrasser les éléments incontournables.
Chagall et la danse
Dans un livret réalisé par la Philharmonie de Paris en 2016 consacré à l’exposition « Marc Chagall – Le triomphe de la musique », on y retrouve les indications suivantes :
« En 1909, l’impresario russe Serge de Diaghilev commande au compositeur Maurice Ravel et au chorégraphe Michel Fokine le ballet Daphnis et Chloé. Inspiré du roman antique de Longus, celui-ci décrit les multiples rebondissements qui empêchent Daphnis, jeune chevrier, et Chloé, bergère, de vivre leur amour. Marc Chagall se voit confier par l’Opéra de Paris la création des décors et des costumes d’une nouvelle version, dont la première a lieu au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles en 1958, chorégraphiée par Serge Lifar, avant la reprise par Georges Skibine à Paris l’année suivante. »
Cent ans plus tard, en 2014, le chorégraphe Benjamin Millepied, en collaboration avec l’artiste plasticien Daniel Buren, connu pour ses colonnes rayées noir et blanc en marbre dans la cour d’Honneur du Palais-Royal à Paris, intitulée Les Deux plateaux, entreprend la mise en scène de ce roman en ballet.
Pour conclure, Daphnis et Chloé est une œuvre très riche, facile et plaisante à lire, qui recèle également plusieurs niveaux de lecture. D’où sa postérité importante.