Dans la perspective du programme de lettres de prépa littéraire A/L 2023 portant sur le « récit de soi », nous te proposons un portfolio de citations tirées de L’Écriture comme un couteau : Entretien avec Frédéric-Yves Jeannet, publié en 2011. Cet article est une fiche qui rassemble les citations essentielles qui te permettront de comprendre la manière dont Annie Ernaux appréhende l’écriture.
N’hésite pas à consulter nos autres articles sur le programme, en particulier celui portant sur L’Événement d’Annie Ernaux, prix Nobel 2022 !
L’écriture a deux formes pour Annie Ernaux
« Ce terme de récit autobiographique ne me satisfait pas, parce qu’il est insuffisant. Il souligne un aspect certes fondamental, une position d’écriture et de lecture radicalement opposée à celle du romancier, mais il ne dit rien sur la visée du texte, sa construction. Plus grave, il impose une image réductrice : l’auteur parle de lui. Or, La Place, Une femme, La Honte et en partie L’Événement sont moins autobiographiques. Et Passion simple, L’Occupation sont des analyses sur le mode impersonnel des passions personnelles. D’une manière générale, les textes de cette seconde période sont avant tout des explorations, où il s’agit moins de dire le moi et de le retrouver que de le perdre dans une réalité plus vaste, une culture, une condition, une douleur, etc. Par rapport à la forme du roman de mes débuts, j’ai l’impression d’une immense et, naturellement, terrible liberté. Un horizon s’est dégagé en même temps que je refusais la fiction, toutes les possibilités de formes se sont ouvertes. » Folio, 2011, p. 23
« J’ai toujours fait une grande différence entre les livres que j’entreprends et mon journal intime. Dans les premiers, tout est à faire, à décider, en fonction d’une visée, qui se réalisera au fur et à mesure de l’écriture. Dans le second, le temps impose la structure, et la vie immédiate est la matière. C’est donc plus limité, moins libre, je n’ai pas le sentiment de construire une réalité, seulement de laisser une trace d’existence, de déposer quelque chose, sans finalité particulière, sans délai aucun de publication, du pur être-là. Mais il me faut faire une différence entre le journal vraiment intime et le journal qui contient un projet précis, c’est le cas du Journal du dehors et de La Vie extérieure, qui tournent volontairement le dos à l’introspection et à l’anecdote personnelle, où le je est rare. Ici, la structure inachevée, le fragment, la chronologie comme cadre, qui caractérisent la forme du journal, sont au service d’un choix et d’une intention, celui de faire des sortes de photographies de la réalité quotidienne, urbaine collective. » Folio, 2011, p. 24-25
« Anaïs Nin écrit dans son Journal : Je veux jouir et non transformer. Je dirais que le journal intime me paraît le lieu de la jouissance, que les autres textes sont celui de la transformation. J’ai plus besoin de transformer que de jouir. » Folio, 2011, p. 25
Le je dans l’écriture
« C’est le je qui est sorti, mais je crois que, de toute manière, j’en serais revenue au je. Parce que, à l’intérieur de ce cadre fictionnel, je procède à une anamnèse de ma propre déchirure sociale : petite-fille d’épiciers-cafetiers, allant à l’école privée, faisant des études supérieures. » Folio, 2011, p. 27
« Dans Journal du dehors et La Vie extérieure, où le je est très souvent absent, il n’y a pas moins de vérité et de réalité que dans les autres textes : c’est l’écriture, globalement, qui détermine le degré de vérité et de réalité, pas seulement l’emploi du je fictionnel ou autobiographique. » Folio, 2011, p. 30
« Pour revenir précisément au je : avant tout, c’est une voix, alors que le il et le elle sont, créent, des personnages. La voix peut avoir toutes sortes de tonalités, violente, hurlante, ironique, histrionne, tentatrice (textes érotiques), etc. Elle peut s’imposer, devenir spectacle, ou s’effacer devant les faits qu’elle raconte, jouer sur plusieurs registres ou rester dans la monodie. Je n’ai effectivement pas la même voix dans Les Armoires vides ou dans L’Événement. Le changement se produit avec La Place. Pas seulement celui de la voix, mais celui de la posture entière de l’acte d’écrire. » Folio, 2011, p. 31
L’Écriture comme un couteau
« La seule écriture que je sentais juste était celle d’une distance objectivante, sans affects exprimés, sans aucune complicité avec le lecteur cultivé (complicité qui n’est pas tout à fait absente de mes premiers textes). C’est ce que j’appelle dans La Place l’écriture plate, celle-là même que j’utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles. » Folio, 2011, p. 34
« Avant d’écrire, pour moi, il n’y a rien qu’une matière informe, souvenirs, visions, sentiments, etc. Tout l’enjeu consiste à trouver les mots et les phrases les plus justes qui feront exister les choses, voir, en oubliant les mots, à être dans ce que je sens être une écriture du réel. » Folio, 2011, p. 35
« Il y a une phrase de Brecht qui a beaucoup de sens pour moi : Il pensait dans les autres et les autres pensaient en lui. Au fond, le but final de l’écriture, l’idéal auquel j’aspire, c’est de penser et de sentir dans les autres, comme les autres – des écrivains, mais pas seulement – ont pensé et senti en moi. » Folio, 2011, p. 44
Une histoire de femme
« L’Événement. L’intentionnalité de ce dernier texte est présente dans le titre : bien plus que de laisser un témoignage, déployer une expérience irréductiblement féminine, l’avortement, lui donner toute sa dimension de mesure du temps, du social, du sacré, son aspect initiatique. En faire aussi une expérience de mémoire et d’écriture, un tiers du texte à peu près est consacré au travail de la mémoire, à sa relation à l’écriture. » Folio, 2011, p. 92
Écrire sa vie, vivre son écriture
« Je sens l’écriture comme une transsubstantiation, comme la transformation de ce qui appartient au vécu, au moi, en quelque chose existant tout à fait en dehors de ma personne. Quelque chose d’un ordre immatériel et par là même assimilable, compréhensible, au sens le plus fort de préhension par les autres. C’est ce qui m’est apparu lorsque j’ai écrit L’Occupation : je sens, je sais, qu’au moment même où j’écris, ce n’est pas ma jalousie, c’est-à-dire quelque chose d’immatériel, de sensible et d’intelligible que les autres pourront peut-être s’approprier. Mais cette transsubstantiation ne s’opère pas d’elle-même, elle est produite par l’écriture, la manière d’écriture, non en miroir du moi, mais comme la recherche d’une vérité hors de soi. Et – c’est peut-être une façon de dépasser le paradoxe – cette vérité-là est plus importante que ma personne, que le souci de ma personne, de ce que l’on pensera de moi, elle mérite, elle exige que je prenne des risques. » Folio, 2011, p. 103
Une façon d’exister
« Proust précise, la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature. J’insiste sur ces mots, la vie découverte et éclaircie, parce qu’ils me paraissent essentiels. Si j’avais une définition de ce qu’est l’écriture, ce serait celle-ci : découvrir en écrivant ce qu’il est impossible de découvrir par tout autre moyen, parole, voyage, spectacle, etc. Ni la réflexion seule. Découvrir quelque chose qui n’est pas là avant l’écriture. C’est là la jouissance – et l’effroi – de l’écriture, ne pas savoir ce qu’elle fait arriver, advenir. » Folio, 2011, p. 136
C’est tout pour cette fiche, en espérant qu’elle te sera utile ! Pour d’autres articles sur la prépa littéraire, rendez-vous juste ici !