Dans le cadre du programme du concours A/L et LSH 2025, nous te proposons dans cet article une rapide analyse de La Passion suspendue, un livre de questions-réponses sur la vie de Marguerite Duras, son enfance, sa relation avec sa famille, ses années parisiennes, etc.
Analyse du texte
Les entretiens de Leopoldina Pallotta della Torre commencent par une analyse du texte de Marguerite Duras, sa façon de manier le langage et d’utiliser les mots, et surtout de donner du sens au silence.
La suspension des chevilles syntaxiques, l’abolition d’une certaine linéarité expressive et le triomphe de l’analyse narrative communiquent en effet au texte de Duras le sens de l’indicible. Les espaces vides entre un fragment et l’autre, puis les silences qui succèdent au dialogue, les intermittences du discours, détachent la parole même de son contexte habituel, créant ainsi une nouvelle sémantique. Les phrases inachevées dans Le Ravissement de Lol V. Stein en témoignent : « – Je croyais que / Elle ne termine pas. »
Le silence, la retenue, ce qui est tu ou seulement évoqué allusivement, dans un dialogue comme dans un amour, tout ceci remplit de soi une grande partie de son œuvre. La seule activité qui identifie les personnages ne semble être confiée qu’à la parole.
Le regard, le croisement incessant des regards qui se perdent l’un dans l’autre, demeure le vrai instrument cognitif pour lequel la réalité des personnages et de l’histoire se dévoile : des regards qui se superposent les uns sur les autres. Chaque personnage regarde et est regardé par quelqu’un qui, à son tour, est observé par quelqu’un d’autre. Tout cela se produit sans que l’ensemble puisse être ramené vers le regard suprême et omniscient du narrateur.
L’intrigue de Lol V. Stein est très représentative. Il s’agit d’une véritable histoire de voyeurisme. L’héroïne montre en effet un intérêt particulier pour le déroulement des autres événements. De même que, au début du récit, Lol avait assisté à la rencontre de son fiancé, Michael Richardson, avec Anne-Marie Stretter, de même, par la suite, dans le désir inconscient de perpétuer à l’infini la scène des deux amants qui, en quelque sorte, la relèguent à un rôle d’éternelle spectatrice, elle assiste à la rencontre entre Jacque Hold et Tatiana Karl : « La fenêtre est petite et Lol ne doit voir des amants que le buste coupé à la hauteur du ventre. »
Pour Duras, ce sont toujours les autres, les gens que l’on rencontre, qu’on aime, qu’on épie qui détiennent l’amorce d’une histoire qu’on écrit. L’élément autobiographique est donc au cœur de son travail. Le rapt de son amoureux par une autre lors d’un bal, le ravissement de cette scène.
Une galerie de personnages
Dans l’entretien, Duras explique que les personnages masculins incarnent le plus souvent des aspects d’une personnalité faible, incertaine comme Jacques Hold ou Michael Richardson. Tout au contraire, c’est aux personnages féminins qu’elle confie une force, le besoin radical d’expérimenter la totalité du sentiment. Anne-Marie Stretter et Lol V. Stein représenteraient la genèse du féminin.
Lol est l’emblème d’une femme terrassée par le désir éternel, anéantie une fois pour toutes par la masse de son expérience et de sa mémoire. Tout en continuant à vivre après le bal de S. Tahla, Lol mènera une existence qui ne l’enveloppera que comme quelque chose d’étranger, qui n’est lié qu’à son corps ou à un instinct animal. Refouler la douleur, c’est pour elle acquérir une sorte de virginité nouvelle.
Quant à Anne-Marie Stretter, Duras évoque la « réécriture incessante de la fascination subie, un jour, par la langueur presque mortelle de cette femme. » Elle poursuit : « Je me rappelle la première fois où je l’ai vue arriver, c’était la femme de l’ambassadeur de France à Saïgon » et « je la voyais sortir de chez elle d’une beauté pour moi inaccessible ».
Duras a toujours suivi les hommes, en voyage, partout. « Partageant le bonheur que leur concédaient les loisirs qu’ils m’imposaient, et que je ne supportais pas. » En cela, Lol est très proche d’elle : Jean Bedford « aimait cette femme-là », « cet effacement continuel qui la faisait aller et venir entre l’oubli et les retrouvailles de sa blondeur ».
Une femme
Dans Le Ravissement de Lol V. Stein, Marguerite Duras s’interroge sur ce qui fait l’identité d’une femme et sa place dans l’échiquier social. Pour cela, elle mobilise l’ouvrage La Sorcière de Michelet qui affirme que, à l’origine du langage des femmes, se trouvait leur solitude. Abandonnées à elles-mêmes avec les hommes partis en croisades, elles auraient commencé à parler seules, avec la nature. Pour empêcher la propagation de la parole non codifiée, elles auraient été punies.
La femme a la faculté de tout remettre en cause avec assurance et d’affronter jusqu’au bout l’expérience de la douleur, selon Duras, sans s’en faire anéantir : « Une certaine faiblesse de l’homme le rend à tel point impréparé qu’il se dérobe à la substance même de la souffrance, en la mythifiant, en l’extériorisant avec la colère, avec une violence physique. »
Mais ce courage d’accéder à la vérité dévoilée n’empêche pas Lol, Tatiana et Anne-Marie de recourir au mensonge et à la dissimulation. Elles sont victimes des passions qui les traversent.
Les lieux
Concernant la place des lieux dans son œuvre, Marguerite Duras insiste sur l’importance de la mer : « La mer est une des images, un des cauchemars les plus fréquents dans ma tête », explique-t-elle. « La mer me fascine et me terrorise. » Elle est épouvantée depuis l’enfance à l’idée d’être emportée par les eaux, comme si la mer possédait en elle-même l’idée de mort inexorable qui attend tout un chacun : « La mort des marécages emplit Lol d’une tristesse abominable, elle attend, la prévoit, la voit. »
Lol V. Stein habite donc dans une station balnéaire, car la mer est « une force illimitée où le ‘moi’, le regard se noient, en se perdant pour retrouver leur propre identité », écrit Duras. À la fin du monde, il ne restera plus, pour recouvrir la croûte terrestre, qu’une unique immense mer. Toute trace dérisoire de l’homme aura disparu.
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