Dans le cadre du programme de lettres de 2024 portant sur la thématique « Littérature et morale », nous te proposons dans cet article une analyse de l’ouvrage Morales du grand siècle de Paul Bénichou.
L’auteur
Paul Bénichou est né en 1908 et mort en 2001. Il a écrit Morales du grand siècle dans les années 1930 en zone libre, à Bergerac, mais sa publication a été faite plus tard, en 1948. Son ouvrage n’a pas été jugé suffisant pour une thèse pour la Sorbonne de l’époque, car il n’est pas un dix-septièmiste spécialisé et a une position à l’écart des universitaires de son époque.
Il a commencé comme professeur au lycée après avoir obtenu l’ENS de la rue d’Ulm et l’agrégation de lettres. Ensuite, il est mobilisé en 1939 et démobilisé après la débâcle de 1940. Comme il est d’origine juive, il perd sa nationalité française. Il est interdit d’enseignement dans le public. Il achève Morales du grand siècle alors qu’il est en zone libre. Son relatif décentrement du milieu universitaire est dû à ses années d’enseignement à l’étranger. Il n’obtient son doctorat de lettres qu’en 1971. En 1992, Marc Fumaroli lui rend hommage.
L’ouvrage
Morales du grand siècle a pour objet d’étude le pouvoir spirituel de l’homme de lettres et la méthode critique. Il s’agit d’étudier les rapports entre littérature, société et morale. Bénichou se place dans une perspective sociohistorique qui le guide dans le rapport entre les classes sociales et la culture. Même s’il s’est toujours tenu à l’écart des dogmatismes, il voit l’analyse marxiste de la littérature se développer dans les années 1930 et est influencé par celle-ci.
Ses méthodes sont variables. Il s’intéresse toujours à la littérature comme porteuse d’idées, mais l’articulation forme/contenu diverge selon les analyses. Dans Morales du grand siècle, il s’intéresse essentiellement aux contenus idéologiques. C’est le cas aussi dans certains de ses ouvrages consacrés au romantisme. Il s’intéresse aussi à l’agencement vision du monde/matériau formel. Par exemple, il est impossible de comprendre La Princesse de Clèves sans tenir compte de l’influence du jansénisme et le genre littéraire du roman.
Un ouvrage de résistance contre une vision trop restrictive de la morale en littérature
Bénichou ne fait pas allégeance au marxisme ou aux pensées réactionnaires. Le choix de l’objet de la recherche, c’est-à-dire la morale du XVIIe siècle, est étudié dans son rapport avec la vie sociale. Il se situe par rapport à plusieurs types de résistance.
Ceux qui craignent le relativisme en morale et une réduction de la morale
Pour Bénichou, le jugement sur les morales du passé est possible. Pour pouvoir les juger, il faut pouvoir les évaluer : elles doivent être étudiées selon les circonstances dans lesquelles elles sont nées. Le travail savant est au service d’une liberté de jugement et non d’une révérence à des valeurs morales indiscutables et absolues.
Ce qui reste valable dans les morales des siècles classiques, c’est la naissance d’un humanisme classique. Bénichou juge le prix de cet humanisme à l’aulne des besoins du présent. En août, en 1940, le présent laisse craindre un avenir antihumaniste. Donc, l’enjeu pour Bénichou est d’aller chercher dans le XVIIe siècle ce qui doit rester valable et ce qui permet d’évaluer le présent.
Ceux qui pensent qu’il existe une ressemblance entre littérature et société
La littérature ne serait qu’un miroir passif du réel qui n’apporterait rien au réel qu’il reflète. La relation entre les deux est réciproque pour Bénichou, et de cette relation découlent des contradictions et des conflits réels.
Il prend ses distances avec une histoire littéraire qui a une vision réductionniste de la littérature.
Les partisans de l’analyse de la morale sans faire appel à des notions extra-littéraires
Bénichou fait appel au sublime, au brillant, au romanesque, aux notions de nature et de vérité. On ne peut pas se contenter du plan littéraire. Il y a lieu de montrer comment un débat moral est à l’œuvre devant les différences que l’on repère sur le plan littéraire. C’est un débat sur la médiocrité ou la grandeur de l’homme entre Racine et Corneille.
Il faut essayer non pas de décrire, mais d’analyser des choix moraux dans la vie sociale. Considérer les œuvres sous un angle éthique est un parti pris méthodologique. Il s’écarte d’une dimension strictement esthétique. Cela repose sur une vision particulière de la littérature comme un creuset qui élabore l’expérience humaine.
Ceux qui pensent que toute sociologie de la littérature porterait atteinte à l’individualité des écrivains qui seraient noyés derrière des généralités
Bénichou rejette l’idée que l’histoire de la littérature serait cantonnée à des contingences, sinon la lecture des siècles antérieurs ne nous intéresserait pas. Bénichou utilise la relativisation historique, mais pour se donner la liberté de juger, et donc de choisir entre des doctrines produites dans l’histoire et dont il est tributaire.
Il sait qu’il n’a pas inventé l’humanisme et que sa pensée est un effet de l’humanisme des siècles précédents.
Une certaine idée de la littérature… à idées
Comme Bénichou l’écrit dans l’avant-propos de son essai Le Sacre de l’écrivain, la littérature est considérée « principalement comme porteuse d’idées ». Bénichou attache la récurrence des débats politiques à une certaine esthétique de la violence des passions chez Racine qui use de « l’équivalence de l’amour et de la haine » à des fins spectaculaires.
Avec Bénichou, c’est toute la littérature du XVIIe siècle qui peut se trouver qualifiée de « moraliste » tant l’angle moral s’impose aux yeux du critique.
La question épineuse du déterminisme social en littérature
Pour Bénichou, la relation des trois termes littérature, société et morale tend à faire échapper l’œuvre littéraire au relativisme sociologique. Néanmoins, le rapport entre société et littérature vient compliquer la question.
Bénichou remarque, par exemple, que la « tragédie de Racine est moins représentative peut-être que celle de Corneille » et explique « qu’elle est moins spontanément, moins directement, l’expression d’un milieu social et d’une tendance morale ». Il y aurait donc en littérature des degrés de représentativité littéraire.
En somme, Paul Bénichou fait un usage du mot moraliste assez large : entre « morale héroïque », « morale chrétienne » et « morale mondaine ». Il faut donc davantage parler des « morales » de Racine, de Corneille ou de Molière, plus que d’en faire des « moralistes ».
C’est la fin de cet article destiné à t’aider dans ta préparation des concours de l’ENS. N’hésite pas à te rendre dans notre rubrique dédiée aux prépas littéraires en cliquant juste ici !