Le modèle actuel de la grande distribution est-il voué à disparaître ? Ce qui est néanmoins certain, c’est qu’en France, le secteur des hypermarchés a déjà commencé à se restructurer après le rachat de Casino qui s’est officialisé début 2024. Mais la crise des hypermarchés semble toutefois se poursuivre après l’annonce d’un plan social conséquent du côté d’Auchan, début novembre 2024.
Les origines de cette restructuration de marché
Tout d’abord, la grande distribution est devenue un marché mature très concurrentiel, avec des distributeurs à modèles différents : hypermarchés traditionnels intégrés ou en franchise, discounters (distributeurs ayant une stratégie de domination par les coûts), supermarchés spécialisés (bio, produits frais, fruits et légumes, produits d’hygiène, jouets…).
Tout commence après le rachat de Casino
Après deux ans d’intenses négociations, le groupe Casino a vendu 300 supermarchés et hypermarchés à Intermarché, Auchan et Carrefour. L’objectif est que le groupe Casino puisse se désendetter et retrouver une santé financière en conservant notamment des supermarchés en ville et son enseigne Monoprix.
Par ailleurs, l’enseigne Casino a été rachetée par deux milliardaires, Marc Ladreit de Lacharrière et Daniel Kretinsky, qui ont injecté environ 925 millions d’euros dans le groupe, lui permettant de relancer son activité et de rembourser une partie de ses créanciers.
Après Casino, la mutation sectorielle semble continuer…
L’enseigne Cora rachetée par Carrefour
Carrefour voit grand : en plus d’avoir participé au rachat de quatre magasins Casino, le groupe a également acquis Cora, dont les magasins seront progressivement transformés en Carrefour et 15 supermarchés Match. À travers cette stratégie de croissance externe, le groupe essaie de grignoter des parts de marchés à ses concurrents.
Dans le même temps, Système U, devenu, en 2024, la Coopérative U, est en train de racheter le groupe Schiever et ses plus de 200 magasins. Opération en cours qui devrait être finalisée courant 2025.
Vaste plan social pour Auchan
Depuis quelques années, Auchan connaît quelques difficultés et a vu sa part de marché en France baisser à 9 % contre 11 %, il y a dix ans. Au premier semestre 2024, Elo, la maison mère d’Auchan, avait annoncé une perte de plus d’un milliard d’euros. Face à ces difficultés, Auchan a dû annoncer un vaste plan social, qui devrait se traduire par la suppression de près de 2 400 emplois et d’une dizaine de magasins sur le territoire français.
Dans le milieu de la grande distribution, la concurrence se fait majoritairement par les prix et parfois les services associés (drive, livraisons à domicile). Or, Auchan commercialise ses produits à des prix en moyenne supérieurs à ceux de ses concurrents directs que sont Leclerc, Intermarché ou encore Coopérative U. Par ailleurs, le groupe souhaite stopper la livraison à domicile, la jugeant non rentable, et réorganiser ses fonctions support.
Comment la grande distribution pourrait-elle évoluer à long terme ?
Dans la grande distribution, deux principaux modèles dominent. D’un côté, les groupements d’enseignes gérés par des indépendants, comme Leclerc, Intermarché, ou Coopérative U, qui semblent mieux résister aux secousses actuelles du secteur et pourraient même gagner des parts de marché face à leurs concurrents.
De l’autre côté, on trouve les enseignes intégrées, dont la gestion est majoritairement centralisée par le siège social, telles que Carrefour, Casino, ou Auchan. Ces dernières tendent néanmoins à s’inspirer du modèle des groupements d’enseignes, qui offre de nombreux avantages, en développant le système de franchise ou de location-gérance.
Des grandes surfaces de moins en moins attractives
Autrefois, les hypermarchés étaient les lieux idéaux pour trouver toutes sortes de produits (alimentaires, hygiéniques, hi-tech, livres, jardinage, bricolage) sous un même toit. Aujourd’hui, cependant, les consommateurs sont davantage attirés par les supermarchés ou les commerces de proximité, pour créer du lien, notamment durant la période Covid et Post-covid, mais aussi pour gagner du temps et aller à l’essentiel.
D’autant plus que l’inflation a joué un rôle, impactant le pouvoir d’achat d’une grande partie des ménages. Ce qui explique que les produits « superflus » et « non nécessaires » au quotidien soient moins plébiscités. Par ailleurs, en parallèle des hypermarchés, des enseignes spécialisées se sont développées depuis 15 ans. Elles proposent un assortiment de produits plus large et diversifié qu’en hypermarché, à des prix compétitifs, tout en offrant souvent un meilleur service clientèle (conseils d’experts et de passionnés, service après-vente, installations, garanties supplémentaires…).
De plus, avec la crise sanitaire (2020-2021), les consommateurs ont redécouvert les commerçants de proximité et de quartier, non seulement pour les produits alimentaires, mais aussi pour d’autres types de biens. Certains ont ensuite repris le chemin des grandes surfaces, tandis que d’autres sont restés fidèles aux « petits commerçants » et cherchent même à faire revivre ce mode de consommation. Ce qui contribue ainsi à revitaliser les centres-villes désertés et à soutenir les producteurs locaux.
Stratégie par des prix bas
Dans un secteur aussi concurrentiel que celui de la grande distribution alimentaire, les enseignes doivent essentiellement se concurrencer sur les prix. Pour cela, certaines d’entre elles s’unissent pour créer des centrales d’achat, permettant de passer des commandes groupées, d’espérer réaliser des économies d’échelle et de peser davantage face aux fournisseurs lors des périodes de négociation. Par ailleurs, en France, où la législation est très stricte en matière de négociations commerciales, certaines centrales d’achat sont installées au-delà des frontières hexagonales afin d’augmenter leur pouvoir de négociation.
Enfin, presque toutes les enseignes de grande distribution se sont, ces dernières années, lancées dans la création de leurs propres marques de distributeur (MDD), souvent moins chères. C’est une véritable stratégie pour les enseignes, leur permettant de réaliser des marges plus importantes et de proposer des produits qui se distinguent de ceux de la concurrence. En effet, les produits de marques distributeurs ne sont vendus que dans l’enseigne à laquelle ils appartiennent, bien que certains produits MDD ressemblent aux produits des grandes marques.
Conclusion
Pour combien de temps encore le modèle des hypermarchés tiendra-t-il ? Les médias en parlent beaucoup depuis un an. Pourtant, cela fait déjà plusieurs années que la question revient, et ce, même avant la Covid-19. Il est vrai que la crise sanitaire et l’inflation ont probablement accéléré les changements de consommation, mais ce ne sont pas forcément les seules raisons de ce revers sectoriel.
Le marché de la grande distribution, datant des années 1960, est devenu ultra-concurrentiel et est arrivé à maturation. Reste à savoir si nous vivons une transformation du marché ou la fin progressive d’un mode de consommation issu des Trente Glorieuses.