tempête

« Comment dépasser un échec à l’ENS, en particulier après avoir été admissible ? » Il s’agit d’une question dont la réponse n’est pas univoque, les conseils donnés dans cet article ne sont pas la méthode Coué. Chacun a son rythme, son rapport au concours et le temps de guérison peut prendre du temps. Dans cet article, nous te proposons de dépasser ta non-admission avec Descartes. Dans la frénésie des concours, n’oublie pas qu’il y a une vie après la prépa et que ne pas intégrer la formation qui te plaisait ne signe en aucun cas ton arrêt de mort. Il te faudra rebondir et faire de cet échec une force !

Le Descartes de la Méditation IV

Nous ne te parlons pas de philosopher avec le Descartes de « l’homme-machine », mais avec le Descartes qui considère la vie comme une expérience, comme un cheminement. Dans la Méditation IV, Descartes propose en effet une méthode pour conduire sa vie dans un monde sans certitude. Il ne s’agit toutefois pas d’une méthode indiscutable, mais d’une morale par provision.

Descartes se pose en effet une question : « Comment marcher avec assurance en cette vie » (Discours de la méthode, I) quand on ne sait pas, quand on vit dans un monde sans certitude ? Il s’interroge sur la façon de conduire sa vie lorsqu’on se trouve désorienté, sans guide, sans boussole, sans gouvernail au milieu des passions humaines et de l’imprévisibilité des événements.

La morale par provision

Pour guider l’homme dans le brouillard, en proie au regret ou à l’indécision, Descartes développe une morale par provision. Cette morale ne repose pas sur une connaissance claire ou sur un savoir donné, puisqu’elle s’applique dans un monde sans certitudes, pour celui qui n’a pas encore trouvé la vérité.

Bien sûr, Descartes souhaiterait une morale définitive, qui saurait guider l’homme en toute situation, de façon invariable. Or, le monde étant imprévisible et l’homme ayant une connaissance limitée du monde donné qui l’entoure, il ne peut saisir toutes les variables qui pourraient l’aider à agir de la façon la plus morale.

Dans un monde imprévisible, la rationalité de l’esprit a ses limites. C’est pour cela que Descartes exclut le pouvoir suprême de la raison dans sa morale par provision. Il convient de faire de son mieux, de faire ce qu’on juge le meilleur afin de n’éprouver aucun regret. Il y a bien une forme de rationalité dans la morale (savoir pour vivre de façon bonne et juste), mais elle ne relève pas de la certitude exigée dans le domaine théorique. La vie est affaire de pratique, d’expérience sensible. On ne saurait s’en remettre simplement à la raison pour avancer.

Une morale liée à l’action

La morale cartésienne est celle du marcheur qui est dans la nuit ou dans le brouillard, mais qui ne s’y complaît pas, celle du marin égaré dont la volonté résolue pallie les déficiences de l’entendement. C’est la morale de celui qui est en proie au doute, mais qui fait face à l’urgence de la situation.

La première maxime

La première maxime sur laquelle repose la morale par provision affirme que la logique de l’action n’est pas celle de la pensée. L’urgence d’une situation ne permet pas à l’homme de penser éternellement : il faut agir !

Pendant que je doute, les occasions me pressent et je dois prendre une décision. Je dois m’efforcer de rationaliser ma conduite, même si je n’y parviendrai jamais tout à fait en raison de l’union de l’âme et du corps (nous ne sommes pas de purs esprits…).

La deuxième maxime

La deuxième maxime de la morale par provision prescrit la fidélité aux choix, seul remède aux défaillances de l’entendement : « Ma deuxième maxime était d’être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais […]. » Dans le domaine pratique, il s’agit de trouver une certitude, une assurance, d’éviter l’hésitation, l’indécision ou encore l’irrésolution. Le doute, indispensable dans la recherche de la vérité, aurait donc des effets désastreux dans le domaine pratique.

Dans l’action, la raison me commande (en l’absence de toute opinion vraie et certaine) de tenir pour vraie et certaine l’opinion la plus probable et de faire de cette opinion une loi pour la volonté, afin d’éviter irrésolution, repentirs et remords. Mais la raison m’interdit de donner à cette opinion vraisemblable un caractère de vérité. Il faut agir selon ce qu’on juge le meilleur.

La troisième maxime

La troisième maxime nous dit que doivent s’attacher nos pensées seulement aux choses qui dépendent de nous. Il faut d’abord faire de son mieux et ensuite considérer comme impossible et vain, ce qu’on n’a pas pu atteindre : « Faire de nécessité vertu. » Descartes ne préconise nullement une attitude de renoncement ou de résignation : l’homme doit commencer par agir comme si tout dépendait de lui.

En somme, le résultat de nos actions n’est pas en notre pouvoir : il ne suffit pas de vouloir pour que cela arrive (cela dépend aussi d’autres choses). Mais nos initiatives, nos actions, nos volontés, il suffit de les vouloir pour qu’elles arrivent.

« Mais il me semble que la différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et vulgaires, consiste, principalement, en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs passions, et ne sont heureuses ou malheureuses, que selon que les choses qui leur surviennent sont agréables ou déplaisantes ; au lieu que les autres ont des raisonnements si forts et si puissants que, bien qu’elles aient aussi des passions, et même souvent de plus violentes que celles du commun, leur raison demeure néanmoins toujours la maîtresse, et fait que les afflictions même leur servent, et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dès cette vie. Car, d’une part, se considérant comme immortelles et capables de recevoir de très grands contentements, puis, d’autre part, considérant qu’elles sont jointes à des corps mortels et fragiles, qui sont sujets à beaucoup d’infirmités, et qui ne peuvent manquer de périr dans peu d’années, elles font bien tout ce qui est en leur pouvoir pour se rendre la fortune favorable en cette vie, mais néanmoins elles l’estiment si peu, au regard de l’éternité, qu’elles n’en considèrent quasi les événements que comme nous faisons ceux des comédies. »

Descartes, Lettre à Elisabeth, 18 mai 1645

Quel rapport avec l’échec ?

S’en remettre uniquement aux choses que l’on peut véritablement acquérir, ce n’est pas de la résignation. Il faut faire de son mieux pour être content quand on échoue.

Il ne dépend pas de toi de réussir, mais il dépend de toi de travailler. Il suffit de comprendre que le bonheur est dans le travail, et non dans le résultat. Il faut toujours être heureux de faire ce qui dépend de nous, et non pas heureux d’obtenir ce qui ne dépend pas de nous. Il faut travailler dans le bonheur d’agir. Ceux qui travaillent pour réussir se condamnent à être malheureux. Ils mettront leur bonheur dans l’échéance suivante. Mettre son bonheur dans ce qui advient, c’est se condamner à n’être jamais heureux. Seuls peuvent être heureux ceux qui jouissent dès maintenant au présent du bonheur de travailler, d’apprendre, de se battre.

« Il n’y a que la seule volonté, que j’expérimente en moi être si grande, que je ne conçois point l’idée d’aucune autre plus ample et plus étendue : en sorte que c’est elle principalement qui me fait connaître que je porte l’image et la ressemblance de Dieu. Car, encore qu’elle soit incomparablement plus grande dans Dieu, que dans moi, soit à raison de la connaissance et de la puissance, qui s’y trouvant jointes la rendent plus ferme et plus efficace, soit à raison de l’objet, d’autant qu’elle se porte et s’étend infiniment à plus de choses ; elle ne me semble pas toutefois plus grande, si je la considère formellement et précisément en elle-même. Car elle consiste seulement en ce que nous pouvons faire une chose, ou ne la faire pas (c’est-à-dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir), ou plutôt seulement en ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les choses que l’entendement nous propose, nous agissons en telle sorte que nous ne sentons point qu’aucune force extérieure nous y contraigne. Car, afin que je sois libre, il n’est pas nécessaire que je sois indifférent à choisir l’un ou l’autre des deux contraires ; mais plutôt, d’autant plus que je penche vers l’un, soit que je connaisse évidemment que le bien et le vrai s’y rencontrent, soit que Dieu dispose ainsi l’intérieur de ma pensée, d’autant plus librement j’en fais choix et je l’embrasse. Et certes la grâce divine et la connaissance naturelle, bien loin de diminuer ma liberté, l’augmentent plutôt, et la fortifient. De façon que cette indifférence que je sens, lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d’aucune raison, est le plus bas degré de la liberté, et fait plutôt paraître un défaut dans la connaissance, qu’une perfection dans la volonté, car si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire ; et ainsi je serais entièrement libre, sans jamais être indifférent. »

Descartes, Méditations métaphysiques, IV

C’est tout pour cet article ! Nous espérons de manière paradoxale que celui-ci ne te sera pas utile, ce qui signifiera que tu as eu le bonheur d’intégrer une des ENS, ou d’autres formations, tant qu’il s’agit de formations qui te plaisent ! Bon courage pour la fin de l’année, qui marquera certainement pour toi le début d’une autre histoire si l’aventure de la prépa s’achève ! Dans le cas contraire, n’hésite pas à consulter notre rubrique destinée aux prépas A/L et B/L, dans laquelle tu trouveras de nombreuses ressources !