Major Prépa > Méthodologie > Faire une prépa en étant malentendant ? Simon nous livre son témoignage

Si la prépa est un choix ambitieux pour toute personne qui choisit d’emprunter cette voie, elle l’est d’autant plus pour les personnes handicapées. Des aménagements existent bel et bien, mais il est difficile de les adapter au cas par cas. Dans cet interview, Simon, étudiant en prépa et malentendant, nous parle de son expérience et des difficultés auxquelles il a dû faire face tout au long de sa scolarité, puis en prépa.
Hello Simon, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis Simon PELA, je suis étudiant en classe préparatoire ECG économie et mathématiques appliquées au sein de l’établissement scolaire Saint-Alyre à Clermont. Je suis appareillé auditif depuis mes 6 ans de l’oreille gauche avec une surdité grave sur cette oreille et une surdité légère sur l’autre oreille. J’ai également des problèmes de prononciation dû à l’obtention de mon appareil auditif à un jeune âge et la mauvaise assimilation de certains sons.
Pourquoi as-tu fait le choix de la prépa ? As-tu fait face des barrières quand tu as fait ce choix (institutionnelles, sociales…) ?
Tout d’abord, je l’ai fait par passion pour l’économie et pour comprendre un peu le monde qui m’entourait. Je l’ai fait aussi pour comprendre l’histoire et retracer tout le chemin qu’avait parcouru le système économique actuel pour être ce qu’il était aujourd’hui. Pour moi, l’histoire et l’économie sont deux choses complémentaires et essentielles à comprendre et à apprendre pour pouvoir essayer de prévoir certains événements à venir.
Bien que mes parents m’aient beaucoup soutenu pour rejoindre cette classe préparatoire, j’ai eu énormément de craintes par rapport aux études supérieures : je ne savais pas si les aménagements personnels par rapport à mon problème de surdité seraient toujours d’actualité, si je serais bien à ma place dans l’enseignement supérieur. J’avais cette peur de ne pas être à ma place puisque je ne voyais que très peu d’étudiants handicapés autour de moi, que cela soit au collège ou encore au lycée. Les étudiants handicapés sont généralement placés dans des classes spécialisées et ont généralement moins de chances de rejoindre des études supérieures.
J’ai également reçu plusieurs moqueries de mes camarades de classe (en seconde, première et terminale) par rapport à mes choix d’orientation sur l’économie, comme si on essayait de m’interdire moralement l’accès aux études supérieures. Je me rappelle notamment d’un camarade qui m’avait longuement harcelé pendant plusieurs années et qui m’avait dit que les classes préparatoires étaient considérées comme un passage vers l’inclusion dans le groupe d’élite de la société et qu’un handicapé ne devrait pas avoir les mêmes possibilités que tout le monde.
Comment s’est passée ta prépa en tant que personne malentendante ? Avais-tu des aménagements au niveau des cours ?
La prépa était néanmoins particulièrement rassurante pour moi : les professeurs ont su me soutenir, me montrer que j’avais les mêmes possibilités que les autres dans la classe, les mêmes capacités et que je devais donner le meilleur de moi même pour pouvoir obtenir ce que je visais. Mes camarades de classe ont également été absolument géniaux avec moi et m’ont aidé à traverser les deux ans dans la meilleure des ambiances ! Et pour ça, je les remercie énormément, autant que l’administration de l’école et les professeurs.
J’ai eu plusieurs aménagements, comme être placé au premier rang de la classe, près du bureau, pour pouvoir entendre correctement. J’ai aussi eu plusieurs aménagements pour les kholles d’oraux de langue, afin de pouvoir comprendre totalement le sujet des oraux. Les professeurs ont également été particulièrement bienveillants avec moi puisqu’ils n’ont jamais manqué de patience pour me répéter certaines choses que je n’avais pas comprises ou encore pour prendre en considération ma mauvaise prononciation. Mal prononcer et ne pas se faire comprendre est particulièrement dur à longueur de journée et ils ont su me rassurer et m’aider à ne pas trop y penser.
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Tes professeurs étaient-ils à ta disposition pour t’expliquer certains éléments pour comprendre le cours ?
Ils ont toujours été à ma disposition pour répéter certains éléments du cours, me conseiller sur des vidéos éducatives, m’expliquer de nouveau des parties entières du cours.
Ton entourage connaissait-il la langue des signes ?
Nous n’avons absolument jamais usé de la langue des signes dans ma famille. Je comprenais ce qu’ils disaient, j’entendais des morceaux de paroles et je parvenais à les rattacher entre elles tout en lisant sur leurs lèvres. Je n’entends que partiellement et même si l’appareil auditif m’aide à mieux entendre, il y a parfois certains morceaux de phrase que je ne parviens pas à comprendre.
Comment se sont passés tes concours écrits (aménagement, adaptabilité des centres d’examen) ? Les as-tu passés seul ?
Les concours écrits se sont bien passés et je les ai passés sans accompagnement. Pour les écrits d’Ecricome, je les ai passés dans une salle avec ma classe et plusieurs autres classes préparatoires. Pour les écrits BCE, j’étais dans une salle d’aménagement avec 5 autres personnes, de quoi me faire réaliser avec beaucoup plus d’insistance que les personnes avec des handicaps visibles et invisibles étaient beaucoup moins présents dans les prépas.
As-tu fait face à des complications pendant les concours ?
Tout de suite, cela a été un très gros problème pour Ecricome : j’ai passé mes oraux à Rennes et quand je suis arrivé là bas, mon casque prévu pour s’était cassé durant le voyage. J’ai donc dû essayer de m’adapter. Cependant, les oraux d’anglais et d’espagnol ne m’étaient absolument pas accessibles puisque je n’entendais absolument rien dans leurs casques, même à 200% de puissance audio ! Ecricome a été contacté, sans réponse de leur part, j’ai été considéré comme un cas unique et j’ai eu comme information par une des responsables qu’ils n’avaient, auparavant, jamais eu d’appareillés auditifs. J’ai donc dû passer le concours Ecricome avec la feuille de texte à côté de moi après trois quarts d’heure d’attente, le temps qu’une solution soit trouvée. Je dois dire que j’ai été très légèrement déçu puisque une fiche d’aménagement avait été demandée lors de l’inscription, mais celle-ci n’a pas été pris en compte.
Pour BCE, cependant, j’ai été agréablement surpris : j’ai passé mes oraux à l’ESC Clermont, ils sont venus directement me donner les feuilles de texte d’oraux et les dialogues pour que je puisse commencer sans plus tarder mes oraux. Les jurys ont été particulièrement agréables, rassurants et informés pour que les oraux de langue se passent bien. Autrement, pour tous les entretiens sans exception, j’ai pu informer tous les jurys de ma particularité et tous ont été bienveillants, que cela soit les entretiens BCE ou Ecricome.
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Selon toi, y a-t-il encore des efforts à faire pour les personnes qui ont des maladies invisibles et qui passent le concours ? As-tu un/des exemple(s) d’axe(s) d’amélioration concret(s) ?
Il y a bien évidemment encore des efforts à faire pour les personnes qui passent le concours. Beaucoup trop de maladies invisibles sont ignorées et/ou mal comprises par beaucoup de personnes. Bien que les campagnes de sensibilisation se multiplient dans la société pour parler de problèmes invisibles, de nombreuses personnes se montrent fermées à cette multiplication des handicaps. Certains refusent de même croire à ces handicaps ou encore aux conséquences qu’ils peuvent avoir.
Il y a encore des choses à faire AVANT les concours et les classes préparatoires et cela commence à partir de la primaire ou encore de la maternelle : il faudrait sensibiliser chaque enfant pour les informer des handicaps. Si une personne n’est pas comme les autres ou n’agit pas de la même façon, ce n’est pas grave ! Il faut normaliser les handicaps et sensibiliser les enfants à éviter à tout prix le harcèlement ! Le harcèlement n’est pas qu’un problème de violence, il a aussi des conséquences mentales désastreuses, avec une perte de confiance en soi, une incompréhension, un renfermement qui peut malheureusement aller jusqu’au suicide, les actualités en ce moment nous le montre de plus en plus.
Il faudrait aussi que les écoles mettent en place des périodes d’examens (entretiens et oraux) prolongés, avec des jours spécialement attribués à l’évaluation des personnes possédant des handicaps. On pourrait penser que cela est une mise à l’écart, mais ce n’est pas le cas ! Cela permettrait d’avoir des jurys sur ces jours qui seraient beaucoup plus aptes et formés à faire passer des personnes avec des handicaps.
Il y a bien sûr également des aménagements d’infrastructures à mettre en place : mise en place d’ascenseurs, rapprocher les tables entre examinateurs et candidats, création d’un poste de référent handicap dans chaque école (un poste que je n’ai pas énormément vu), etc…
As-tu un dernier message à transmettre ?
Le handicap n’est pas une différence. Chaque individu est différent, chaque individu peut posséder un handicap sans que lui même ne soit au courant. En vérité, le handicap fait partie de la norme, dans le sens où il serait difficilement concevable que tout le monde soit pareil. Le terme de “différence” pour parler d’un handicap est d’ailleurs extrêmement mal employé : il faudrait plutôt parler de diversité. Pourquoi de diversité ? Car la diversité est aussi le fait d’avoir des avis différents et d’avoir des points de vue différents sur une question, une situation.
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