Nous te proposons d’analyser un sujet de dissertation de philosophie sur la neutralité, en lien avec la notion au programme des prépas littéraires de la session 2025, la morale. Regardons ensemble comment déplier le sujet et en définir les termes. C’est à la fin de cette première étape essentielle que nous pourrons faire émerger un paradoxe. Ce paradoxe sera ensuite au fondement de notre plan. C’est l’occasion de s’exercer en pratique et de réviser la méthodologie de la dissertation de philosophie.
Définitions
Étymologie
La première étape de toute dissertation est l’analyse du sujet. Il faut impérativement en définir les termes. Ce travail de définition sera ensuite récupéré et repris en introduction. Prenons le sujet « la neutralité ». Il s’agit d’un nom, fondé sur l’adjectif « neutre ».
Il signifie à la fois « dépourvu de jugement », « qui ne se positionne pas » et « qui n’a pas (ou du moins ne donne pas) son opinion ». Notons d’ailleurs que le nom est utilisé au singulier défini (la neutralité). L’étymologie latine du mot en éclaire le sens premier : ne-uter désigne « aucun des deux », ne ni l’un et uter ni l’autre.
Les différents sens du terme
Ce n’est pas tout : le « neutre » caractérise aussi un élément qui marque par sa simplicité, sa discrétion. On parlera par exemple d’une « tenue neutre » pour désigner une tenue sans attrait particulier, qui ne se remarque pas spécialement ou dont les couleurs sont simples, voire ternes. Par élargissement, la « neutralité » désigne aussi ce qui est épuré, dépourvu d’artifices. En grammaire, le neutre est celui qui n’appartient à aucun genre : il n’est ni masculin ni féminin. On définit le neutre par ce qu’il n’est pas, ce qui souligne la notion de manque qui lui est inhérente.
Néanmoins, il y a aussi une dimension politique de la neutralité qui désigne l’état d’un pays ne prenant pas part dans un conflit. C’est le cas de la Suisse, par exemple, pendant la Première Guerre mondiale. Encore une fois, le nom se réfère alors à une absence de prise de position. En matière de politique, on pourrait dire d’une personne qui ne se positionne ni à droite ni à gauche qu’elle est neutre. Toutefois, la neutralité fait apparaître un choix, même si, en apparence, elle s’y refuse. Ainsi, si l’on prend l’exemple du vote blanc, il s’agit d’une prise de position qui dit : « Je ne veux voter ni pour l’un ni pour l’autre. » C’est une position neutre, qui s’oppose à l’abstention et au vote nul. Toutefois, la neutralité constitue alors quand même une prise de position. On voit là émerger une première tension.
Il est très important de passer autant de temps que possible sur cette étape de définition. Elle est cruciale pour bien déplier le sujet, en particulier lorsqu’il s’agit d’un sujet en un mot – comme c’est le cas ici. Il peut aussi être très utile de conserver dans un coin de son brouillon une liste de synonymes et d’antonymes du mot-sujet.
Paradoxe et plan
Une fois le sujet défini et déplié, il faut faire émerger une tension, un paradoxe qui servira de fil rouge à la copie. Pour ce faire, il peut être utile de faire appel aux notions, aux auteurs et aux concepts évoqués en cours. C’est en particulier utile pour construire ton plan de manière logique. Pour rappel, il faut idéalement mobiliser un concept et/ou un auteur par sous-partie.
La tension qui émerge ici de nos définitions est que la neutralité se définit comme une absence de position. Mais, paradoxalement, être neutre, c’est choisir de ne pas faire de choix.
Le plan se déroule ensuite comme tel, en partant du plus évident selon le sens commun pour aller vers la complexification :
- I. La neutralité est une absence de position
- II. Mais être neutre, c’est choisir de ne pas faire de choix
- III. Finalement, l’absence de position est donc déjà une position en soi
Plan détaillé
L’introduction
L’introduction fonctionne en entonnoir : on part du général pour arriver au spécifique, jusqu’à la présentation de la problématique, suivie de l’annonce du plan. La première étape de l’introduction est la définition du sujet. On commence par une phrase d’ouverture qui annonce le thème et attise l’intérêt du correcteur. Après l’ouverture, que l’on relie au sujet, il faut replacer le travail de définition.
On mobilise les étymologies, les synonymes, les exemples – rien n’est anodin et tout peut être utile. Plus on avance dans l’introduction, plus on resserre sur le sujet.
La problématique
La deuxième étape est la problématisation. On va tirer de nos définitions un paradoxe et l’expliciter. Il s’agit de dire ici qu’il y a plusieurs définitions différentes, voire paradoxales, du terme neutralité. Son sens le plus évident est « ce qui s’abstient de, ce qui n’est ni d’un côté ni de l’autre ». En ce sens, la neutralité paraît être garante d’objectivité et d’impartialité.
Pourtant, paradoxalement, la neutralité peut apparaître non pas comme une absence de tout positionnement, mais comme un positionnement autre ou alternatif. La neutralité serait alors comme une troisième voie, plutôt que comme une absence de choix.
L’annonce du plan
La troisième étape est l’annonce du plan. L’idéal est d’être clair et concis : nous verrons, dans un premier temps, que la neutralité est le fait de s’abstenir de jugement subjectif. Nous montrerons, dans un deuxième temps, que la neutralité consiste paradoxalement en un choix pour une troisième voie. Enfin, nous montrerons dans un dernier temps que, même lorsque la neutralité se présente comme une absence de parti pris, elle peut toujours s’apparenter à un engagement implicite et résultat d’un processus de neutralisation.
Tu trouveras ci-dessous une proposition de plan détaillé pour le sujet « la neutralité. » Il manque seulement les références théoriques et, idéalement, quelques citations. C’est la dernière étape du plan : parvenir à mobiliser des philosophes, idéalement un par sous-partie.
Le plan
I/ La neutralité, c’est ne pas prendre parti
a. La neutralité est le fait de s’abstenir de subjectivité et d’opinion
Commence toujours tes paragraphes par l’annonce précise et claire de l’argument. Dans le cas d’un sujet en un mot comme ici, il est particulièrement pertinent de rappeler la définition sur laquelle la sous-partie s’appuie.
Ici, on se concentre en premier lieu sur ce qui paraît le plus évident : la neutralité comme synonyme d’impartialité, d’objectivité. On peut prendre l’exemple d’un juge qui, appliquant le droit, se doit d’être neutre. Cela permet de distinguer la figure du justicier de celle du juge. En bref, la neutralité consiste à s’abstenir d’opinion et à rester objectif.
b. La neutralité est aussi le fait de ne pas s’engager dans un conflit ou une guerre
Cela signifie, concrètement, ne pas prendre parti. Ainsi, la Suisse se déclare « pays neutre » depuis 1815. Elle s’appuie officiellement sur un traité qui l’empêche de prendre part à un conflit.
c. La neutralité est enfin aussi l’absence d’expressivité
Un ton neutre ne laisse transparaître aucune émotion. La neutralité devient alors synonyme d’impassibilité. Cette absence d’expressivité, en apparence, se retrouve aussi dans la littérature. C’est ce que soutient Roland Barthes dans Le Degré zéro de l’écriture, dans lequel il parle d’une « écriture blanche » et d’une « parole transparente ». On peut alors faire appel à L’Étranger, d’Albert Camus, et à son écriture à l’indicatif (c’est-à-dire le mode neutre), s’abstenant de toute subjectivité, pour illustrer cet argument.
La première partie étant achevée, il faut à présent rédiger une brève transition. Le jury porte une attention toute particulière à la clarté et à la structure des copies. Assure-toi donc que ton écriture est toujours lisible et que ta copie est bien présentée : évite notamment les ratures, essaie au maximum d’aérer ta copie, en marquant bien les alinéas en début de paragraphe et en sautant des lignes entre les parties.
Pour la transition, ici, il faut rappeler l’argument principal de la première partie, la neutralité définie comme position de celui qui s’abstient (de juger, prendre position, expression). Puis il faut introduire la tension : pourtant la neutralité peut paradoxalement désigner une prise de position, un choix ou un engagement.
II/ La neutralité est un choix
a. La neutralité marque malgré tout une opinion
En effet, ne pas donner son opinion peut être une opinion alternative. Ainsi, ne voter pour personne, ce n’est pas s’abstenir de voter, mais exprimer l’opinion selon laquelle on ne se reconnaît dans aucun candidat (vote nul ≠ vote blanc). Il y a bien, paradoxalement, l’expression d’une opinion.
b. La neutralité reste malgré tout une prise de position : ne pas s’engager est une position politique
En effet, le refus de s’engager pour un parti ou un autre, ce n’est pas un marqueur de l’indifférence. Il en va de même pour les questions de genre : se sentir comme n’appartenant ni au féminin ni au masculin, ce n’est pas se définir comme « neutre », mais comme non binaire. Dans ce cas, ne choisir ni le masculin ni le féminin n’est pas équivalent à une « neutralité » abstraite et éthérée, mais le fait de s’inscrire dans une alternative.
En bref, la neutralité peut donc au contraire se définir comme une position alternative, et non une simple absence de prise de position.
c. La neutralité est-elle véritablement une absence d’expressivité ?
N’est-ce pas plutôt paradoxalement un parti pris artistique ? C’est ce que théorise notamment Nathalie Sarraute dans L’Ère du soupçon, lorsqu’elle formule les lignes directrices du Nouveau Roman. Le ton inexpressif et sans éclat de l’écriture blanche, arboré comme signe distinctif de ce mouvement littéraire, est paradoxalement la marque d’une forme d’originalité. C’est aussi ainsi que se termine le chapitre de Barthes, dans lequel il souligne qu’il n’y « a rien de plus infidèle qu’une écriture blanche ».
La deuxième partie s’achève, il faut donc à nouveau sauter une ligne et rédiger une brève transition. On y rappelle l’argument élaboré tout au long de la partie précédente et on annonce la tension qui va nous guider pour la dernière partie.
Ici, on a vu que la neutralité est donc paradoxalement un engagement. Même lorsqu’elle se prétend absence d’opinion, elle peut être un engagement implicite, voire la neutralisation de l’opinion divergente.
III/ La neutralité comme engagement implicite
a. L’injonction à rester neutre, n’est-ce pas une manière de véhiculer des normes implicites ?
Ainsi, la loi sur la laïcité interdisant le port de signes religieux à l’école est-elle vraiment neutre ou neutralise-t-elle une possible opinion divergente ?
b. Dire qu’on ne s’engage pas, n’est-ce pas dissimuler un engagement ?
Dire vouloir rester neutre, n’est-ce pas faire le choix de ne pas faire de choix ? Pour Sartre, dans L’Être et le Néant, « ne pas choisir, c’est encore choisir ». La neutralité serait alors typiquement une attitude de « mauvaise foi », c’est-à-dire l’attitude de celui qui prétend ne pas choisir, alors qu’au fond il s’agit d’un choix.
En bref, la neutralité est une prise de position implicite se faisant passer pour absence de position.
c. Enfin, la neutralité dans l’expression est aussi une manière de neutraliser les affects
La langue dite « neutre » peut être le résultat d’une forme d’interdiction de particularismes, d’accents. Le discours dominant peut s’apparenter à un discours neutre, mais il suppose en fait l’interdiction implicite de tous les autres discours.
C’est ce que soutient notamment Foucault dans L’Ordre du discours. Bourdieu dans Langage et pouvoir symbolique, écrit notamment : « La production et la reproduction de la langue légitime. » Il parle de la langue officielle comme produit d’une logique de domination.
Conclusion
Ton plan détaillé est à présent achevé. Il n’y a plus qu’à rédiger ta conclusion. C’est l’heure de notre dernier conseil : rédige une conclusion intégralement au brouillon avant de te lancer dans la rédaction. Cela t’évitera de devoir inventer de toutes pièces une conclusion dix minutes avant la fin de l’épreuve, alors que cela fait presque six heures que tu planches sur un sujet !