Nous te proposons aujourd’hui de te partager et commenter cette copie de Philosophie tronc commun. Elle a obtenu la note de 18/20 au concours de l’ENS 2021 (voie A/L). Il s’agissait d’un sujet de philosophie politique. Cette année-là, les candidats avaient été quelque peu décontenancés par un sujet étonnant : « L’État, c’est moi. »
Nous te proposons de revenir sur quelques points de méthodologie afin d’accompagner ta lecture de la copie, pour que celle-ci puisse t’aider autant que possible.
L’introduction
L’accroche
Le candidat utilise une citation afin d’introduire le sujet. Une bonne accroche est en effet une phrase, un exemple (artistique, historique… pourvu qu’il soit adapté au cadre d’un concours) illustrant d’ores et déjà le sujet. Cela sert donc à montrer qu’il est légitime. C’est-à-dire qu’il est légitime, selon le type de sujet, de :
- poser cette question (« Le sujet peut-il constituer l’État ? ») ;
- interroger cette notion ( « Le corps politique ») ;
- s’intéresser à une citation (« L’État, c’est moi »).
Ainsi, quel que soit le type de sujet (sujet question, sujet notion ou sujet citation), l’utilisation d’une citation ou d’un exemple en accroche est toujours un bon moyen d’entamer la problématisation.
La problématisation
Si l’accroche sert à légitimer le sujet (montrer qu’il est pertinent de le poser), la problématisation sert à montrer qu’il n’est pas si évident que cela. En quelque sorte, la problématisation revient sur ce que l’accroche présupposait. C’est d’ailleurs là que réside l’importance de cette accroche !
Ainsi, pour problématiser, le candidat déroule un ensemble de questions qui se posent. Autrement dit, il montre pourquoi le sujet pose problème. Il y a donc deux temps :
- Comprendre à quel problème renvoie le sujet. « L’État, c’est moi » évoque l’incarnation du pouvoir, qui est un problème de philosophie politique crucial et classique. Pense à Platon, Rousseau, Hobbes. C’est en comprenant et en révisant ton cours que tu réussiras à cerner rapidement les grands problèmes de l’histoire de la philosophie qu’évoque chaque sujet. Il faut noter que chaque grand domaine de la philosophie (la politique, l’art, les sciences humaines, la métaphysique, l’épistémologie et la morale) a ses grands thèmes et questions « phares ». Assure-toi d’avoir en tête les grands axes de réflexion propres au programme de l’année d’ici l’épreuve d’avril.
- Une fois que tu as compris qu’il s’agit du problème classique de l’incarnation du pouvoir, il faut faire le tour de ce problème. Il faut rappeler pourquoi c’en est un : en quoi l’idée d’incarner le pouvoir est problématique ? C’est-à-dire en quoi y a-t-il tension entre, d’une part, l’exercice du pouvoir, et d’autre part, son incarnation ? S’il paraît évident qu’un pouvoir exige quelqu’un pour l’appliquer, il est également facile d’imaginer (voire de rappeler) les dérives qu’une telle subjectivation du pouvoir peut poser. Pense aux totalitarismes par exemple. Il s’agit donc de poser la question d’un pouvoir subjectif, ainsi que de sa légitimité et de sa pérennité.
Le plan
Dans cette copie, l’annonce de plan est claire, conceptualisée et efficace. Elle utilise les mots du sujet et reprend celui-ci pour montrer que le raisonnement avance au fur et à mesure des parties.
Sa présentation, qui est très importante, s’opère par un retour à la ligne. L’annonce de plan est donc bien distinguée du reste de l’introduction, pour que le correcteur comprenne d’un seul coup d’œil. Les parties, elles, sont clairement délimitées par les parenthèses. Chaque phrase énonce une thèse, qui est celle montrée dans chaque partie.
Ainsi, tous les éléments de l’annonce de plan y sont. Cela permet au correcteur de comprendre d’emblée non seulement où tu l’emmènes, mais aussi comment tu le fais.
Le développement
La structure
Ici, le candidat utilise le système d’étoiles pour différencier visuellement les grandes parties du développement entre elles. Il n’est pas obligatoire d’utiliser ces signes. On peut également faire des retours à la ligne, pourvu qu’ils soient suffisamment spacieux pour que la structure du développement (ici en trois parties) soit clairement distinguée. Prévois alors au moins quatre carreaux de marge entre chaque grande partie. Dans tous les cas, veille à ce que le correcteur puisse, en un seul coup d’œil, savoir où commencent et finissent les I, II et III.
Chaque grande partie s’organise ainsi :
- Une phrase résumant la thèse défendue. Exemple du I.a) : l’État doit nécessairement s’incarner en un sujet, notamment pour sortir l’Homme de l’état de nature et permettre la pérennité de la vie collective. (« Que l’État soit incarné par une ou plusieurs personnes (…) est la condition de possibilité de la vie collective. »)
- Trois sous-parties, différenciées par un retour à la ligne simple. Chacune de ces sous-parties apporte un argument pour soutenir la thèse de la grande partie.
- Au sein de chaque sous-partie :
a) Un argument appuyant la thèse de la grande partie. Dans le I.a) : « Si l’Homme semble bien l’animal le plus apte à la vie parmi ses semblables, celle-ci n’est pas pour autant exempte de discorde et de conflit. » D’où la légitimité de l’argument pour l’incarnation de l’État, défendu en I.
b) L’utilisation de l’auteur et/ou de l’exemple pour approfondir cet argument. Dans le I.a) : Kant avec le couple centripète/centrifuge, qui montre bien cette « discorde » citée en introduction de la sous-partie.
c) Une phrase de conclusion qui rappelle l’argument de cette sous-partie. Ceci pour que le correcteur puisse suivre et pour montrer que le raisonnement est logique, convaincant et dans le sujet. Dans le I.a) : « L’État est légitime à s’incarner dans une volonté unique imposée à tous ; c’est même la condition sine qua non de la vie collective. »
L’utilisation des auteurs
Le candidat utilise ici les auteurs, les œuvres et les exemples historiques de manière pertinente. C’est-à-dire qu’à chaque fois, l’exemple est relié au sujet, appuie l’argumentation et fait avancer la réflexion.
L’introduction de l’exemple : il ne s’agit pas de plaquer une connaissance sur le sujet mécaniquement, mais d’aller chercher l’auteur de manière logique et organique. Prenons l’exemple du I.a) : le candidat évoque d’abord, de manière générale, la discorde présente à l’état de nature. Cela lui permet tout naturellement de convoquer Kant et Hobbes, qui pensent tous deux cet état de conflit. En définitive, l’auteur n’est pas plaqué mécaniquement, mais convoqué naturellement.
L’utilisation de l’exemple : le candidat ne se contente pas de résumer une doctrine. Il cite précisément le texte en l’intégrant à son argumentation, tout en reliant ces éléments du texte au sujet. Ainsi, il réutilise constamment le « moi » du sujet pour dialoguer avec l’auteur en fonction de la manière dont celui-ci considère ce « moi ». C’est-à-dire cette incarnation. Par exemple, dans le I.b) avec Foucault : « Le “moi” juridique et moral de l’État serait [selon Foucault] dérivé du “moi” patriarcal des Anciens. » Le candidat montre ainsi non seulement qu’il a compris ce que ce « moi » signifiait conceptuellement (un sujet qui incarne le pouvoir), mais également que le texte est pertinent pour travailler ce concept.
Tu comprends donc que la dissertation se construit non pas en plaquant les connaissances, mais en montrant pourquoi, naturellement, tel auteur ou tel exemple est utile pour penser le sujet. La pensée vient avant l’auteur et non l’inverse : l’argument vient avant l’exemple.
La conceptualisation
Tu l’as compris, les meilleures copies citent les auteurs. Si cela peut paraître effrayant, il est en réalité tout à fait aisé de le faire. Il suffit de retenir les différents concepts qu’ils utilisent.
Tout comme le « moi » doit être travaillé tout au long de la dissertation, ou la notion d’État, les auteurs servent en effet à affiner conceptuellement le raisonnement. Ainsi, tu peux te contenter de citer les distinctions qu’ils font, même si une ou deux citations plus longues utilisées à bon escient fonctionnent encore mieux également. Prenons l’exemple du III.a) (p.15) :
- Le candidat reprend le « moi » du sujet pour l’opposer à un « nous ». Puisqu’il s’agit dans cette partie de travailler la notion de volonté collective (comme annoncé dans la phrase introductive).
- Partant de cette opposition, qui fait donc avancer le raisonnement pour passer de l’incarnation par un sujet singulier à l’incarnation d’une volonté générale, il va chercher le concept de philia chez Aristote. Ce dernier permettant justement de travailler le rapport entre un sujet particulier et la communauté. Il peut également, avec Aristote, travailler la notion de « moi impersonnel » telle que le philosophe l’utilise. Et ce, pour argumenter en faveur d’une incarnation de la volonté générale par l’État.
Ainsi, les auteurs servent non pas à réciter des doctrines, mais à conceptualiser en utilisant des distinctions précises, qu’ils apprennent donc à faire et à penser. D’où l’importance de lire les auteurs directement, avec des passages précis.
La conclusion
La conclusion s’organise en trois parties.
- Rappel de la problématique (« Le “moi” dans lequel s’incarne l’État est-il (…) compatible avec l’exigence démocratique du “nous” souverain ? »), qui reprend les mots du sujet pour montrer qu’elle est bien conceptualisée.
- Rappel du fil argumentatif, c’est-à-dire de l’avancement entre les parties. Le candidat montre qu’il a bien pensé le pour et le contre : « si [thèse du I]… cette conception se heurte néanmoins à [thèse du II] (…) c’est pourquoi [thèse du III]. »
- Une dernière phrase qui rappelle la position singulière adoptée par le candidat en III, montre que le problème initialement posé est résolu et laisse si possible le correcteur sur une bonne note. « L’État c’est moi, crient à l’unisson les peuples libres. » La phrase est bien écrite, lyrique. Elle semble montrer un paradoxe, alors que toute la dissertation s’est affairée à démontrer que c’est au contraire cette position qui tient ensemble un « moi » et un « nous ». Position qui semblait intenable lors de la problématisation. Elle résume donc la capacité du candidat d’opposer ce « moi » et ce « nous » tout en réussissant, avec un moment hégélien, à tenir les deux ensemble.
Note que la conclusion dépend donc beaucoup de ta dernière partie, qui est somme toute la partie la plus importante de ta copie. Elle montre que tu réussis à tenir ensemble ce que la problématique, le I et le II avaient initialement séparé. Elle montre aussi que tu as trouvé une solution au problème posé en introduction.
La conclusion n’est donc pas l’équivalent de l’annonce de plan. Elle est la preuve qu’au contraire, tu as avancé depuis cette annonce, pour dépasser le paradoxe initialement posé.
Conseils à retenir de cette copie
Pour l’introduction
- Elle doit être efficace et conceptualisée. Elle doit faire le tour du sujet dans toutes ses acceptions, pour montrer sa portée. Quitte à se focaliser sur une thèse précise en développement, qui donne une directive unique à la dissertation.
- Le jeu entre l’accroche et l’analyse du sujet doit permettre de relever la ou les tensions propres au sujet. Cela permet ensuite de construire une problématique.
- Tu relèveras d’autant mieux cette tension si tu maîtrises les grands problèmes du domaine au programme. La révision de ceux-ci doit donc faire partie intégrante de ton planning sur l’année. Note au fur et à mesure de l’année les grandes problématiques qui reviennent régulièrement. Consacre tes séances de révisions avant le concours à t’entraîner sur chacun de ces problèmes. Ceci pour t’assurer que tu as de quoi les traiter (auteurs, exemples).
Pour le développement
- Chaque sous-partie doit être correctement ordonnée et présentée. Les parties sont séparées par au moins quatre carreaux ou des étoiles. Chaque sous-partie commence à la ligne. La partie est introduite par une phrase qui résume la thèse. Et chaque sous-partie apporte un argument à cette thèse.
- L’auteur s’utilise par les concepts qu’il invoque avant tout. Il vient après l’argument et ne doit pas être plaqué. Son insertion dans la dissertation est organique et non mécanique. L’auteur vient parce qu’il est utile et pas parce qu’il faut l’utiliser !
- Il faut sans cesse faire des allers-retours entre le développement, d’une part, et le sujet et ses notions clés, d’autre part (ici, « moi » et « État »). Ceci pour montrer qu’on le travaille, qu’on l’interroge et que finalement, dans la dernière partie, on le dépasse (passage du « moi » au « nous »).
Pour la conclusion
- Elle n’est pas l’annonce de plan, mais un rappel de la problématique, du cheminement (thèses défendues, sous la forme « si X, on a aussi Y ; finalement, Z »), puis de l’aboutissement de la dissertation à une idée qui dépasse l’opposition préalablement posée en problématique. Ici, l’opposition « moi » vs « nous » est dépassée par l’idée de volonté générale, qui exprime la volonté du peuple, le « nous », tout en s’incarnant dans un « moi ».
Nous félicitons et remercions cette personne pour cette copie. Retrouve ici d’autres copies pour t’aider à préparer le concours et ici nos articles dédiés à la prépa littéraire.