travail

Dans ce nouvel article, Major-Prépa souhaite éclairer tes lumières autour du lien parfois complexe entre travail et société. En effet, le travail est-il un vecteur socialisateur… ou en est-il le bourreau ?

La société, l’homme et le travail

« L’homme est un être sociable ; la nature l’a fait pour vivre avec ses semblables. » Aristote, Éthique à Nicomaque, 1837

Sommes-nous faits pour vivre ensemble ? Les autres sont-ils l’enfer ? La société est-elle un danger pour la condition humaine… ou n’en serait-elle pas son ciment ?

Nonobstant ces questions lancinantes, mais essentielles à l’heure de communautés qui, paradoxalement et pour donner raison au titre d’un ouvrage de Pascal Quignard, se composent de solitaires, on ne peut nier l’importance intemporelle de la composante sociale (sinon de celle de la société) dans la réalisation de l’homme en tant qu’homme, en tant qu’animal politique (c’est-à-dire étymologiquement, appartenant à la polis, la cité, en grec).

Dès lors, rythmant nos journées et nos rencontres, de la romance des fructueuses récoltes chez Virgile à la triste mélopée des ouvriers de Simone Weil, le travail semble indubitablement orchestrer notre vie sociétale et s’inscrire ainsi comme véritable composante sociale. Quand bien même, aux yeux de beaucoup, le travail n’est jamais loin d’une forme d’aliénation.

A priori, le travail classe, discrimine et regroupe les êtres en « masses » sociales antagonistes et amorphes

Riche de son expérience comme manœuvre chez Alstom puis fraiseuse chez Renault, Simone Weil brosse le tableau sombre du travail comme un contrat social pernicieux, hiérarchisant et excluant paradoxalement les êtres jusqu’à créer une véritable communauté interlope.

Effectivement, selon la philosophe française, l’ouvrier a été « relégué par la société à un rang inférieur », au point de métamorphoser la société humaine en « masses » allotropiques et distinctes, « impropres aux plaisirs de la conversation » et de l’échange : « On ne comprend jamais tout à fait ceux à qui on donne des ordres. On ne comprend jamais tout à fait non plus ceux de qui on reçoit des ordres. »

Pire encore, même entre les ouvriers, la philosophe du vrai regrette l’incapacité de nouer des relations sincères parce qu’incessamment corrompues par la « jalousie » : « De vraie fraternité, je n’en ai presque pas senti. » Réduit à « l’état de molécules » par la taylorisation, l’ouvrier se referme et s’enferme dans un individualisme fatidique et tragique.

Ainsi, selon Michel Vinaver, le travail semble mener à « l’explosion » des rapports humains en de machiavéliques relations mercantiles et froides, où « la fin justifie les moyens ». Comme le montre notamment la rhétorique grandiloquente et pompeuse de Lubin envers Madame Lépine, au début de chaque mouvement, qui ne saurait masquer ses réelles intentions. Ruse, manipulation, pseudo-amitié, fausse connivence et faux-semblants, voilà ce que le travail apporte aux relations sociales.

Car, quand bien même ce dernier peut élever l’homme chez Virgile, « le cultivateur toujours, doit se méfier de son prochain […] sur lui seul il peut compter pour gagner son pain ».

Et pourtant, peut-être le travail permet-il de réunir les hommes pour créer une véritable communauté humaine

« Il travaille comme un nègre,

Et le nègre travaille comme lui. »
Jacques Prévert, L’Effort humain, 1945

S’il semble indéniable que le travail puisse asservir, le poète français, auteur du recueil Paroles, montre que ce dernier possède également le bienfait de réunir les hommes au-delà des origines sociales.

Et pour cause, « ceux qui travaillent quarante heures par semaine forment une authentique communauté », remarque l’auteur de Par-Dessus bord. Il n’est à ce titre pas anodin de remarquer qu’à la fin de la pièce, après avoir racheté Ravoire et Dehaze, Ralph Young parle de « grande famille » : « La société que nous achetons ça n’est pas les machines ni les bâtiments ni les produits it’s the people ce sont les gens c’est vous tous que nous voulions. »

C’est ainsi que l’entreprise peut former un poumon de société dans lequel l’ouvrier participe à la « grande respiration du travail en commun à laquelle il est enivrant d’avoir part » (Simone Weil, La Condition ouvrière) et trouve alors sa place « par le puissant sentiment de vie collective dans lequel [il] se sent indispensable ». La philosophe française, devenue un temps ouvrière, reconnaît ainsi « [s]’être échappée d’un monde d’abstraction et de [se] trouver parmi des hommes réels » tant il est vrai, selon Réflexions sur l’éducation de Kant, que « la discipline transforme l’animalité en humanité », faisant in fine du travail un pacte de socialisation inégalé.

« Créer une communauté humaine »

Effectivement, même loin de l’usine, c’est encore le travail qui ancre le cultivateur virgilien au cœur de la société antique latine : « Le laboureur ayant bien travaillé, jouit dans son village d’une reconnaissance assurée. » (II) Finalement, loin de l’insula (isolement) redouté par Simone Weil, le travail semble détenir le pouvoir de créer une communauté humaine dans laquelle, chacun « [se] sent[ant] utile à sa place », formerait la callipolis (société idéale) espérée par Platon.

Ainsi, peut-être y a-t-il dans le monde éprouvant du travail, l’opportunité d’une « collaboration fraternelle » qui, se rapprochant du cosmos grec, c’est-à-dire la « sympathie universelle » stoïcienne, relierait les êtres plus que ne les enfermerait.

Boîte à citations sur le lien entre travail et société

Virgile, Les Géorgiques 

Le travail permet au paysan de jouir d’un rôle important au sein de la société (créateur de richesses, de bien-être et de tranquillité) : « Le laboureur fend la terre de son anneau incurvé : c’est de là que découle le labeur de l’année ; c’est par là qu’il sustente sa patrie et ses petits enfants, ses troupeaux de bœufs et ses jeunes taureaux qui l’ont bien mérité. Pour lui point de relâche, qu’il n’ait vu l’année regorger de fruits, ou accroître son bétail, ou multiplier le chaume cher à Cérès, et son sillon se charger d’une récolte sous laquelle s’affaissent ses greniers. »

Simone Weil, La Condition ouvrière 

Le travail exacerbe un Homo Homini Lupus sous-jacent : « Là seulement on sait ce que c’est que la fraternité humaine. Mais il y en a peu, très peu. Le plus souvent les rapports même entre camarades reflètent la dureté qui domine tout là-dedans. » (Lettre à Albertine Thévenon)

Le travail comme miroir de l’humanité : « Faire du travail un moyen pour chaque homme de dominer la matière et de fraterniser avec ses semblables sur un pied d’égalité. » (Lettre à Jacques Lafitte)

« L’usine pourrait combler l’âme par le puissant sentiment de vie collective. » (Lettre à Victor Bernard)

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