xi jinping

La Chine est d’ores et déjà la première puissance démographique, industrielle et commerciale mondiale. Dans une dizaine d’années, elle sera la première puissance économique mondiale par le PIB et ambitionne le premier rang dans tous les domaines à l’horizon du centenaire de sa révolution. C’est-à-dire en 2049.

La guerre en Ukraine a mis en valeur indirectement son rôle pivot. Tout isolement de la Russie butant sur l’axe Pékin-Moscou. Il existe une incontestable convergence politique, voire idéologique, entre ces deux pays dans leur volonté de désoccidentaliser le monde. Mais pour quelle alternative ?

Cet article va traiter du régime politique chinois, qui multiplie en ce moment les signes de fermeture. Que veut dire désormais l’appellation de régime communiste ? Qu’y a-t-il de commun entre la Chine de Mao, de Deng Xiaoping et de Xi Jinping ? Les transformations économiques radicales, la reconnaissance de la propriété privée, l’instauration d’un capitalisme d’État ont brouillé la vision que l’on peut avoir du régime communiste chinois.

Alors quelle est sa nature ? La Chine conteste l’Occident, mais que propose-t-elle en miroir ?

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En Chine, une “dictature démocratique du peuple” : mais encore ?

Le journal Le Monde évoque le déplacement le 25 avril dernier à l’Université du Peuple de Pékin de Xi Jinping, venu rappeler que la Chine devait « développer des universités de classe mondiale ». Le compte rendu de la visite par les médias officiels en dit long sur le culte de la personnalité désormais en place autour du Président chinois (également secrétaire général du PCC).

« Lorsque Xi a quitté l’université, dit le compte rendu officiel, les deux côtés de la route étaient bondés d’enseignants et d’étudiants qui ont salué le secrétaire général avec excitation. Ils ont acclamé d’une seule voix ; Xi les a salués au milieu des applaudissements et des acclamations. » Le ton est donné. Le parti et le peuple ont une gratitude éternelle au « nouveau timonier ».

En cette même fin d’avril, Reporters sans frontières publiait son classement annuel sur la liberté de la presse. La Chine était dans les derniers du classement (175ᵉ rang sur 180 pays), Hong Kong reculait en un an de 68 places (148ᵉ rang). Autant de signes de la nature politique du régime.

Cet article propose une immersion dans le quotidien politique des Chinois

La Constitution chinoise définit le régime politique du pays comme une « dictature démocratique du peuple placée sous la direction du parti communiste ». Que cache cette formule déroutante ? Quelle est la part de démocratie et de dictature ? Que signifie la direction du parti communiste ? Celle d’un groupe d’hommes ou d’un homme ? Quelle est la latitude des individus par rapport à cette direction donnée ? Bref, existe-t-il en Chine des espaces de liberté ou le pays devient-il totalitaire ?

Pour répondre à toutes ces questions, il faut être au clair sur le sens des mots et des concepts et prendre la mesure de l’évolution récente du régime, alors que s’annonce à l’automne 2022 un congrès du parti, le XXᵉ. Celui-ci fera date, car pour la première fois, il devrait reconduire Xi pour un troisième mandat, alors que ses prédécesseurs n’en accomplissaient que deux.

Stratégie zéro Covid, confinements stricts : un quotidien dicté par le pouvoir politique

Un confinement strict

Le 12 mars dernier, la ville de Shanghai annonce la fermeture des écoles et une campagne de tests PCR en masse démarre alors que 75 cas ont été détectés pour une agglomération qui compte au sens large environ 25 millions d’habitants. Les habitants veulent croire à une approche ciblée. La métropole est la capitale financière du pays, le plus grand port à conteneurs du monde, elle joue un rôle clé dans l’économie. Dix jours plus tard, un millier de cas sont recensés.

Le confinement se met en place. Ce sont les comités de quartier ou de résidents qui contrôlent localement sa mise en œuvre. Les opérations de tests généralisés sont annoncées par haut-parleur à 7 heures du matin et les résidents sont contraints de s’y soumettre. Des centres d’isolement s’ouvrent pour les cas positifs, les cas contacts, parfois les contacts de cas contacts, et pour les récalcitrants qui sortent de chez eux. Ces lieux de détention aux conditions de vie précaires, manquant d’hygiène, où les lumières restent allumées nuit et jour, sont discrètement dénoncés par les habitants et stupéfient les étrangers qui s’y trouvent coincés sans date de sortie claire.

Six semaines après le début de ces mesures sanitaires, la moitié de la ville était encore soumise à ce confinement strict (interdiction totale de sortir de chez soi). Deux mois après, l’amélioration de la situation permet un léger desserrement, avec une réouverture de quelques commerces et de certaines entreprises, très progressivement et souvent en établissant des dortoirs dans leurs locaux. Une nouvelle sorte de confinement.

La population souffre et le fait savoir

Quelques vidéos rapidement exclues des réseaux montrent des enfants séparés de leurs parents, des familles manquant de nourriture ou encore le bruit des Chinois le soir criant leur désespoir à leur fenêtre. Pékin est à son tour menacée d’un même sort. Les Pékinois ont peur et font des stocks alimentaires.

L’objectif du pouvoir dans sa stratégie zéro Covid est : 100 % des cas contacts à l’isolement. Les villes sont mises sous cloche pour quelques cas, les habitants ont un QR code sur les smartphones vert, orange (pour suspect) ou rouge. Refuser un test fait basculer de vert en orange, ce qui peut-être très lourd de conséquences. Le pouvoir commence à envoyer en quarantaine des quartiers entiers dans les provinces voisines. Ce tableau sidérant et particulièrement liberticide est lourd d’enseignement. Il montre jusqu’où le pouvoir peut aller pour démontrer que le parti a adopté une stratégie pertinente face à la Covid.

Petit rappel ; la Chine face à la pandémie, une leçon pour le monde ?

C’est de Wuhan qu’est parti fin 2019 le coronavirus qui a provoqué la pandémie mondiale sévissant depuis 2020. La Chine a brillé au cours des premiers mois par l’efficacité (pour partie trompeuse, mais pour partie seulement) de sa lutte contre le virus. Hôpitaux de campagne qui sortaient de terre, exportations de masques et de matériel, production rapide de vaccins, pertes humaines très modestes (5 000 décès officiellement au printemps 2022).

La Chine donnait des leçons de gouvernance à un Occident dépassé, adoptant une stratégie zéro Covid décidée au sommet de l’État et défendue par Xi. Cette belle efficacité fut illusoire. Les vaccins chinois, qui ne sont pas à ARN messager, sont moins protecteurs. La moitié seulement de la population serait complètement vaccinée et les personnes âgées encore moins que la moyenne. Face au variant Omicron, la stratégie zéro Covid n’est pas tenable, mais pour des raisons politiques, le pouvoir refuse de revenir sur sa stratégie.

Tant pis pour les habitants confinés, pour les millions d’hommes et de femmes passés par des centres d’isolement, pour les centaines de navires (700 ?) qui attendent dans le port de Shanghai, pour l’économie en berne (l’objectif est pour 2022 de 5,5 % de croissance du PIB, performance modeste pour la Chine, mais qui n’est pas assurée). La politique zéro Covid décidée par Xi reste la stratégie chinoise. C’est ce qu’a réaffirmé début mai le comité permanent du bureau politique du Parti. « Persévérer, c’est vaincre. » Comme disait le président Mao.

Le confinement de Shanghai pose question. La sinologue Marie Holzman estime que la Chine « est de retour à une période pire que la Révolution culturelle ». Elle qualifie Xi de président totalitaire. Qu’en est-il vraiment ? Il faut s’interroger sur la nature du pouvoir politique et ses acteurs.

Les acteurs de la vie politique chinoise

Xi Jinping

Xi Jinping est un personnage désormais bien connu. L’homme a 68 ans. Il est un « prince rouge », c’est-à-dire le fils d’un cadre dirigeant du Parti qui fut écarté par Mao dès 1962. Lui-même a souffert de la Révolution culturelle et été envoyé à la campagne en 1969, mais sa persévérance comme les réseaux de son père, revenu en grâce, lui permirent de rentrer au parti cinq ans plus tard et d’y faire toute sa carrière.

Il fut notamment gouverneur de provinces littorales, comme le Fujian. En 2007, à 54 ans, il est vice-président de la République sous la présidence de Hu Jintao dont il apparaît ainsi comme le dauphin désigné. Depuis le début de l’année 2013, il dirige le pays par le cumul de trois fonctions : président de la République, secrétaire général du PCC et président de la Commission militaire centrale du parti (ce qui permet de contrôler l’armée).

L’homme bénéficie d’une grande popularité au début de ses mandats. Marié à une chanteuse célèbre, il joue sur sa proximité avec le peuple, ayant vécu entre 15 et 22 ans au milieu des paysans. Il apparaît débonnaire et affable, ce qui contraste avec le visage énigmatique et trop lisse de son prédécesseur Hu Jintao. Dès son arrivée au pouvoir, il lance une campagne anticorruption qui lui confère une image de droiture et d’intégrité.

Rapidement, l’homme acquiert une autre stature. Les campagnes anticorruption vont se multiplier au fil des ans. Si elles chassent des corrompus, elles permettent des purges successives redoutables. Au cours des six premières années, 1,5 million de cadres du parti en ont fait les frais, 170 ministres ou vice-ministres ont été écartés, une centaine de généraux… Aucun dirigeant communiste depuis Mao n’avait concentré autant de pouvoir. Aucun secteur n’échappe à son contrôle : médias, artistes, intellectuels, enseignants, armée, industrie… On peut donc considérer que la Chine est sous la dictature de Xi par l’étendue de ses pouvoirs. Il est le nouveau timonier (surnom qui était donné à Mao Zedong).

Alors, dictature d’un homme ou d’un parti ? Comment s’articulent les deux ? Le parti est-il au service des ambitions de Xi ou Xi est-il au service du parti ?

L’équation ne semble pas suffisante. L’homme est profondément communiste, car comme il le dit lui-même en 2018 dans un discours à l’Assemblée du peuple : « Seul le parti communiste peut sauver la Chine. » Or, Xi est profondément nationaliste, il veut que son pays au terme de son ascension pacifique soit la puissance de référence. Il se pense comme héritier d’une grande civilisation dont il convient d’être fier et qui postule au premier rang, avec l’espoir d’être une solution pour le monde, pour un jour parvenir à la disparition ultime du capitalisme et à la victoire finale du socialisme (analyse de Alice Ekman, Rouge vif : l’idéal communiste chinois, 2020).

Le PCC est donc l’acteur clé de la vie politique chinoise

Il fut fondé en 1921 à Shanghai, le pays a donc célébré son centenaire l’été dernier. Il est depuis la victoire sur le Guomindang, le parti nationaliste en 1949, le parti unique, et compte un peu plus de 90 millions de membres (ce qui permet de comprendre la purge de 1,5 million de cadres). Son instance suprême est le Congrès du parti qui se réunit tous les cinq ans. Le prochain va donc se tenir à l’automne 2022.

Les provinces sont actuellement en train de désigner les 2 300 membres de ce congrès (Xi est l’un des délégués). Ce congrès élit le comité central du parti, comptant 200 membres, au sein duquel est choisi le bureau politique (dont le comité permanent de sept membres aujourd’hui est le véritable cœur du pouvoir chinois). Ce bureau politique désigne le secrétaire général. En 2018, Xi a fait modifier la Constitution du pays. Il peut désormais rester président de la République au-delà de deux mandats. Tout est en place pour que Xi reste à la tête de l’État, cinq ou dix ans de plus.

La gestion contestée de la Covid-19 peut-elle avoir un impact sur l’avenir de Xi Jinping ?

Xi a une place particulière dans l’histoire des dirigeants communistes chinois.

Au congrès de 2017, sa pensée a été inscrite dans la charte du Parti au même titre que celle de Mao et de Deng. Il ne reconnaît que le rôle essentiel de ces deux prédécesseurs et accepte d’être qualifié de nouveau timonier. C’est ainsi qu’existent des applications (comme celle intitulée Étudier pour rendre le pays plus fort) qui permettent aux membres du parti de réviser leur bonne connaissance de la pensée de Xi, et il est plus que conseillé de s’y connecter régulièrement.

Xi est marxiste, il croit profondément que le salut, la grandeur et la puissance restaurée de la Chine impliquent la conduite ferme du parti. Tous les sinologues insistent sur le rôle fondamental que joue l’analyse de la fin de l’URSS pour comprendre l’attitude des dirigeants actuels. Dans leur discours, les malheurs de l’URSS remontent à Khrouchtchev qui a dénoncé les crimes de son prédécesseur.

Mais le repoussoir ultime, ce sont les années Gorbatchev. Xi Jinping attribue la désintégration de l’URSS à la corruption de ses élites par l’Occident et l’erreur la plus importante fut alors de perdre le contrôle des médias. Autrement dit, d’autoriser la liberté d’expression et de presse. Une différence essentielle : Deng Xiaoping pensait que l’échec soviétique était économique, d’où des réformes libérales qui rapprochent de l’Occident. Xi pense qu’il faut au contraire s’en éloigner, il faut renforcer sans cesse le rôle du parti « dans le gouvernement, l’armée, la société, les écoles, au nord, au sud, à l’est, à l’ouest et au centre ».

Le politologue norvégien Stein Ringen parle de dictature parfaite pour la Chine. Il la qualifie de contrôlocratie. Cette dictature est parfaite en cela qu’elle dispose d’un arsenal de surveillance inédit sur la population.

Le parti et les citoyens chinois : un contrôle étroit

La préservation de l’unité du pays, premier objectif du pouvoir.

Le parti règne sur un État vaste comme les États-Unis (un peu plus de 9 millions de km²). Ses régions périphériques, le Tibet ou le Xinjiang, n’ont pas toujours été incluses dans l’Empire de Chine et le rattachement à la Chine maoïste fut voulu par le pouvoir central qui usa de la force. Le pays compte 1,430 milliard d’habitants. Le mérite du PCC, c’est d’avoir tenu le pays uni.

Le Livre blanc publié par le gouvernement chinois en 2019 à l’occasion de la célébration des 70 ans de la République populaire de Chine le dit clairement. « Durant les 70 dernières années, le succès de la Chine se résume à celui de la direction du parti communiste chinois. En raison de l’étendue de son territoire et de la complexité de ses conditions nationales, la gouvernance de la Chine est d’une difficulté sans pareille. Sans un leadership centralisé, unifié et ferme, la Chine aurait eu tendance à se diviser et se désintégrer, provoquant un chaos généralisé au-delà de propres frontières. »

Le texte est intéressant, on trouve là la seconde clé d’interprétation de la politique chinoise. Tenir l’unité de l’Empire est la mission première des dirigeants, le pire qui puisse arriver à la Chine, ce sont les divisions. D’où les attitudes vis-à-vis des Ouïgours du Xinjiang, vis-à-vis des Hongkongais, des Tibétains, d’où le discours et les menaces sur Taïwan.

Quels espaces de liberté pour  le peuple chinois ?

Il est contraint d’accepter de fortes privations de libertés par l’application de la stratégie zéro Covid. Le numérique joue un rôle clé dans cette stratégie de surveillance. Les smartphones, dont une grande majorité de Chinois sont dotés, sont un puissant outil de contrôle de la société. Le nombre d’internautes approche le milliard, soit 70 % de la population, et l’accès à Internet est beaucoup plus fréquent via les téléphones que l’ordinateur. Cela fait penser au système du crédit social, qui permet le contrôle de la société par le biais du numérique.

Qu’est-ce que le crédit social ?

Le crédit social est un système de surveillance des individus permis par les technologies numériques et qui a débuté en 2014. Il est tout à fait distinct de l’appareil de surveillance policière, qui recueille ses propres données. L’objectif ici est d’encourager les citoyens à mieux respecter les lois par un système de récompenses (accès facilité à la santé, éducation…) et de punitions (interdiction d’acheter un billet d’avion…). Il s’agit d’encourager une culture de l’intégrité et de l’honnêteté.

Par exemple, fumer dans un lieu public, payer ses impôts en retard, traverser au feu rouge, poster des commentaires jugés non civiques sur les réseaux sociaux… sont des actes pénalisés. L’administration inscrit également sur des listes noires publiques les individus qui enfreignent les réglementations. La création de ce système permet de réintroduire un contrôle sur les individus qui s’était effrité.

En effet, les brutales transformations économiques et sociales en Chine depuis 30 ans ont contribué à rendre plus ou moins obsolètes des institutions comme l’unité de travail, le comité de quartier, le planning familial, qui encadraient fortement la population à l’époque maoïste.

Dans un contexte plus favorable à l’individualisme, le crédit social vise à l’autodiscipline, en jouant sur la réputation, car les notes personnelles comme l’inscription d’individus sur des listes noires sont publiques. Les individus ainsi montrés du doigt sont invités à modifier leurs comportements. Les moyens changent donc, les relations entre l’État et les citoyens empruntent de plus en plus des canaux numériques, mais les Chinois semblent bien des sujets surveillés.

Le régime peut-il basculer /revenir au totalitarisme ?

Avec un dirigeant de plus en plus omnipotent, en apparence inamovible, bénéficiant d’un culte de personnalité, éliminant ses rivaux essentiels, le régime politique chinois est-il différent des formes de totalitarisme que le communisme a pu produire au XXᵉ siècle, avec Staline ou Mao ? Comment a évolué ce régime chinois depuis 1949 ? La libéralisation économique n’a-t-elle décidément pas affecté le régime politique ?

Retour sur le passé. L’histoire est au service du régime qui bâtît son propre récit national

Autrement dit, le récit officiel légitime l’action du Parti. L’humiliation est une émotion déterminante pour comprendre les ressorts de nombreux acteurs dans les relations internationales. La Chine en a fait l’expérience. Xi Jinping y fait facilement allusion. En 2017, évoquant la situation avec la prise du pouvoir par les communistes en 1949, il s’exclamait : « Que d’humiliations, que de honte ! En ce temps-là, la Chine était un mouton gras promis au sacrifice. » Il évoque là le siècle de la honte, débuté par les traités inégaux au milieu du XIXᵉ qui laissèrent les Occidentaux prendre pied dans le pays et clos par la prise du pouvoir de Mao.

Le parti communiste a en effet construit un récit national

Trois résolutions sur l’histoire ont été adoptées par le parti. En 1945, en 1981 et au printemps 2022. L’histoire officielle glorifie le parti qui a délivré le pays du joug du féodalisme et de l’impérialisme. Dans ce récit, les maux qui ont frappé la Chine viennent toujours du dehors. C’est la faute des Européens, des Américains, des Japonais… si la Chine fut amputée de morceaux de son territoire, rata le train de la modernisation, fut réduite à l’état d’un pays semi-colonial.

Ce récit sous-entend que, en vertu de la nature prétendument pacifique de sa civilisation, la Chine serait incapable de répondre à la violence qu’on exerce contre elle. Cette histoire officielle gomme ainsi les faiblesses et la déliquescence de l’Empire au début du XIXᵉ siècle, ou encore la violence que les Chinois ont pu exercer contre d’autres peuples ou une partie de leurs citoyens dans l’histoire. Les dirigeants communistes sont exonérés de leurs responsabilités.

Dans l’édition 2021 du manuel officiel d’histoire du parti, Une brève histoire du PCC, l’épisode de la Révolution culturelle disparaît pratiquement alors qu’un chapitre y était consacré auparavant. Le Grand bond en avant, 1958/1962, est salué comme une entreprise de modernisation économique et son bilan humain (sans doute 30 millions de victimes) est passé sous silence. L’insurrection de la place Tiananmen en 1989 est réduite à l’agitation contre-révolutionnaire d’une poignée d’étudiants.

L’histoire devient un catéchisme idéologique qui sert le parti et une logique nationaliste qui consolide son pouvoir. Certains travaux d’historiens chinois sont plus nuancés mais demeurent confidentiels. Tout cela aboutit à glorifier l’action de Xi, qui est l’homme providentiel dont la Chine a besoin pour la mener au zénith de son rêve (puissance et prospérité) et l’homme autour duquel doit se faire l’unité du parti et du pays.

Retour sur le passé : l’autorité du parti a évolué dans le temps, elle semble se renforcer sous Xi Jinping.

Les libertés accordées à la population ont pu fluctuer également. La vulgate officielle dit ainsi que sous Mao, la Chine s’est levée, sous Deng, la Chine s’est enrichie, et sous Xi, la Chine est devenue puissante. Voilà l’ambition. Voilà qui explique aussi certaines différences.

Le régime maoïste est un régime politique d’emblée placé sous le signe de la violence envers certains groupes. Les camps d’internements pour prisonniers politiques, mêlés aux droits communs (le laogaï), se mettent en place très rapidement, les luttes de clans au sein du parti dictent une politique chaotique dont la population est victime. L’embrigadement atteint son apogée lors de la Révolution culturelle. L’individu est encadré sur son lieu de travail, dans sa vie privée, sa mobilité est restreinte par son livret d’enregistrement des familles, qui est aussi son certificat de résidence, le fameux hukou.

Avec Deng Xiaoping, l’ouverture et la modernisation nécessitent de libérer les forces productives du pays. La propriété privée est autorisée, la mobilité des citoyens encouragée même si le hukou demeure, créant clivages et inégalités entre urbains légaux et migrants/mingongs urbains privés de droits. Le planning familial plus tardivement s’assouplit, les frontières s’ouvrent et les Chinois commencent à voyager.

Il existe des espaces de liberté nouveaux et, à la condition de ne jamais remettre en cause l’autorité du parti, les citoyens jouissent de droits et de libertés nouvelles au prix d’inégalités croissantes. Cette évolution explique que les États-Unis fassent le pari d’accélérer l’ouverture de la Chine (entrée dans l’OMC en 2001), pensant que la libéralisation politique du régime suivrait sa libéralisation et son ouverture économique.

Mais depuis Xi, une incontestable reprise en main du pays a eu lieu d’un point de vue politique

Comme l’explique la chercheuse Valérie Niquet : « Le régime sent qu’en poursuivant l’ouverture, il risque de disparaître. Il y a donc une volonté de reprise en main idéologique. » Il s’agit non seulement d’une reprise en main du parti, mais d’une mise au pas des citoyens. L’évolution est spectaculaire au cours des dernières années.

Quelques faits : intransigeance vis-à-vis de toute demande d’évolution libérale (mort en détention du prix Nobel de la paix Liu Xiaobo en 2017), reprise en main des géants de la tech en commençant par Alibaba, disparition de dirigeants d’entreprises, de sportifs, de vedettes s’ils sont critiques sur un aspect du régime, et réapparition publique quelques mois plus tard s’accompagnant très souvent d’aveux sur leurs erreurs passées. Plus significatif encore de l’intransigeance de Xi Jinping, l’attitude vis-à-vis de la minorité Ouïgours au Xinjiang et de Hong Kong.

Depuis 2017, la Chine a mis en œuvre une politique d’internement massif de la population musulmane ouïgoure de la province du Xinjiang.

On peut parler d’une terreur d’État à l’encontre de cette minorité ethnique (environ 10 millions d’habitants), avec pour objectif, ce que le Parti appelle la fusion ethnique. Ce qui est une sinisation au profit de l’ethnie majoritaire Han. Plusieurs fois indépendante dans la première moitié du XXᵉ siècle, la région fut incorporée en 1955 comme région autonome à la Chine communiste. Les violences commises contre cette minorité (un million de personnes internées dans des centaines de camps de travail) visent à nier et effacer la culture ouïgoure au nom de la puissance de la Chine, qui doit être unie et indivisible.

C’est trois ans plus tard, en 2020, que Xi Jinping a réglé le cas de Hong Kong. En 2019, des millions de citoyens avaient protesté contre l’adoption d’une loi permettant d’extrader vers la Chine des Hongkongais et les élections locales avaient donné lieu à un raz de marée pour les partis démocratiques de la cité portuaire. C’en était trop pour Pékin. Alors que la pandémie permettait l’interdiction de manifester, la loi sur la sécurité d’État adoptée en 2020 a permis la mise au pas de la cité portuaire.

La critique du Parti communiste ou du gouvernement débouche sur de lourdes peines de prison et les libertés d’expression, de presse, de manifestation ont disparu. Hong Kong est rentrée dans le rang, des dizaines de milliers d’habitants ont émigré. En mai 2022, Pékin a nommé un nouveau gouverneur tout à fait inféodé à Pékin. Désormais, nul ne croit à l’adage : un pays, deux systèmes.

La Chine est-elle totalitaire ?   Enjeux et perspectives géopolitiques désormais

Il est donc temps de chercher à définir la nature du régime de Xi Jinping : régime autoritaire, dictature, ou déjà un système totalitaire ? Pourquoi est-ce important ?

Ce qui est en jeu, c’est la force d’attraction de ce régime politique

Cela peut paraître étonnant, mais il ne faut pas avoir ici un regard trop occidental. Le régime met en avant l’harmonie qu’il fait régner au sein de la société chinoise, policée par un système de surveillance numérique qui récompense les bons citoyens et développe le civisme de la population. Il garantit la croissance économique (même si elle ralentit), l’ordre, la sécurité. Comme la Russie, il ne se prive pas de mettre en avant les failles des démocraties (assaut contre le Capitole), les fractures au sein de leurs sociétés, leurs divisions, leurs faiblesses dans la pandémie, et aujourd’hui leur responsabilité dénoncée dans la guerre en Ukraine.

Bref, oui la Chine peut représenter pour certains un modèle séduisant dans les sociétés démocratiques malmenées ou dans des pays au Sud acculés par la multiplication des crises. Il est donc majeur de cerner la nature de ce régime.

Qu’est-ce qu’un régime totalitaire ?

On peut définir un régime totalitaire comme un régime politique dans lequel l’État, ayant supprimé toute opposition, exerce son contrôle omniprésent sur la société, s’efforçant de façonner un homme nouveau, conforme à ses orientations idéologiques. La Chine possède indéniablement plusieurs caractéristiques d’un régime totalitaire. La dictature d’un parti unique et d’un chef qui bénéficie d’un culte de la personnalité, le refus du libéralisme politique et une idéologie officielle, un encadrement de la société de plus en plus étroit, sur certains aspects un État policier pratiquant une terreur physique et morale, une économie centralisée…

Pour le politologue américain Brzezinski, cela suffisait à qualifier un régime totalitaire. Mais sur d’autres aspects, le terme totalitaire peut être discuté. C’est la philosophe d’origine allemande Hannah Arendt qui a, dans l’ouvrage Les origines du totalitarisme en 1951, forgé et défini ce concept.

Elle insiste sur le fait que le totalitarisme implique une dynamique de désolation, de destruction des structures sociales en s’immisçant dans le domaine de l’intime et de la vie privée des individus, en embrigadant par l’idéologie les individus et en exerçant une terreur policière. En s’attachant à cette définition, on peut suivre le sociologue spécialiste de la Chine, Jean-Louis Rocca, qui estime que le régime de Xi n’est pas totalitaire.

D’une part, le parti est omniprésent, sans contre-pouvoir certes, mais l’État ne se dissout pas dans le parti. Il y a un gouvernement par la loi, aussi restrictive soit-elle. D’autre part, il n’y a pas de déstructuration de la société, comme cela a pu être observé à certaines époques maoïstes. Entre le parti et la population demeure un contrat social basé sur l’idée que tout le pouvoir est au parti qui en échange apporte au peuple prospérité, sécurité et puissance.

Il existe une opinion publique chinoise à laquelle le pouvoir est sensible

Certes, toute protestation qui vise le pouvoir est sanctionnée, mais les dirigeants sont sensibles à cette opinion. Par exemple, sur les questions environnementales ou sanitaires. Jean-Louis Rocca, dans un article publié sur le site The conversation en février, explique qu’il existe aussi des formes de résistance passive comme le mouvement Tangping, que l’on peut traduire par Restons couchés. Ce mouvement présent sur les réseaux sociaux prône une forme de renoncement au jeu social proposé, où la réussite matérielle est le but d’une compétition permanente et d’un travail acharné.

Mais ce mouvement vise les logiques capitalistes et non le système politique. Le pouvoir dépend de ce contrat social passé avec la population, signe pour Rocca que le régime ne mérite pas le qualificatif de totalitaire. « La prospérité capitaliste, située au cœur de la relation entre le Parti et la population, suppose de larges marges de manœuvre dans la sphère privée » écrit-il.

Alors oui, la Chine est une dictature parfaite qui ne peut être assimilée aux totalitarismes du passé, parce que le contexte est différent. Mais la tendance est indéniablement à un durcissement autoritaire comme à une propagande incessante fondée sur un patriotisme exacerbé autour de Xi, toutes choses qui étouffent les mobilisations citoyennes et formatent les individus.

Le régime chinois est aujourd’hui à un tournant

La situation est très intéressante à observer. La pandémie a été l’occasion d’une fermeture du pays. Plus aucun touriste chinois à Paris et ailleurs, plus de touristes étrangers en Chine, des flux d’étudiants en baisse, Xi lui-même ne quitte plus le pays. La Chine semble se replier sur elle-même et toute sa stratégie économique vise désormais à l’autosuffisance maximale.

Le pays vient de renoncer à organiser en 2023 la Coupe d’Asie de football. Elle doit accueillir cet automne la COP15 sur la Biodiversité, dont l’enjeu est crucial pour la planète, mais le pays peu impliqué n’en a toujours pas confirmé la tenue… Le coronavirus révèle ainsi la matrice totalitaire du régime chinois, que l’on songe aux conditions du confinement, ou encore à l’interdiction récente faite aux Chinois de sortir de leur pays sauf exception.

Que révèlent ce durcissement autoritaire du Parti et ce discours à la gloire de Xi et la trajectoire triomphante de la Chine ces dernières années ? Est-ce le signe de la force ou de la faiblesse du parti ? L’ouverture comportait des risques que Xi a cherché à contrôler. Mais, en hurlant de leur balcon à Shanghai contre un système désorganisé, ce sont les classes moyennes, soutien premier du régime jusqu’à présent, qui sont touchées. « Le ver est dans le fruit, en conclut V. Niquet, et c’est peut-être l’avenir du Parti et de son dirigeant qui se joue aujourd’hui. » La période est donc stratégique.

À l’automne se tiendra le XXᵉ congrès du parti

Il sera très instructif sur l’autorité de Xi Jinping et dessinera l’avenir de la Chine pour les prochaines années. Pour le sinologue Willy Lam, Xi attend de ce congrès qu’il puisse diriger dix ans de plus, jusqu’en 2032. Mais pour cela, il doit prouver que la stratégie zéro Covid fut la bonne. S’il échoue, il devra faire des concessions. Rien n’est encore écrit.

Bibliographie

Parution en poche Folio l’année dernière de Penser en Chine, ouvrage collectif dirigé par la sinologue Anne Cheng, qui permet d’aborder certains aspects de cette évolution politique. Des articles variés et très instructifs.

Sur la question de la nature politique du régime, l’ouvrage le plus utile :  Rouge vif : l’idéal communiste chinois de Alice Ekman (2020).

L’un des ouvrages récents les plus instructifs sur la Chine et le monde – il y en a beaucoup – est celui de Sophie Boisseau du Rocher et Emmanuel Dubois de Prisque : La Chine e(s)t le monde. Essai sur la sino-mondialisation. Paru en 2019 chez Odile Jacob.