Major Prépa > Ressource > Podcast > L’Europe puissance : mythe ou réalité ? (La colle géopo #1)

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, mais déjà depuis le discours d’Emmanuel MACRON prononcé en 2017 à la Sorbonne, le concept d’ « Europe-puissance » semble ressuscité. L’Europe a certes entamé sa construction autour de la perspective de la défense, notamment avec la Communauté Européenne de Défense (1952). Pourtant, cette initiative proposée par René PLEVEN fut rejetée en 1954 par l’Assemblée nationale, et l’Europe continua dès lors sa construction en passant par le chemin de l’économie et du commerce.
Or, le « retour de la guerre » (François HEISBOURG), la « nouvelle guerre froide» (Edward LUCAS), la menace terroriste, la crise migratoire sont autant de raisons qui remettent en cause les intérêts vitaux de l’Europe ; tant et si bien que l’idée d’une Europe puissance semble à nouveau tant séduisante que nécessaire.
En somme, le projet européen peut-il conduire à une Europe-puissance capable de peser dans les relations internationales à l’égard des États-Unis et de la Chine ou est-il condamné à l’Europe-espace ou « l’Europe-marché », refusant les responsabilités internationales notamment en s’abritant derrière les États-Unis dans le cadre atlantique ?
Tu peux écouter le podcast juste ici :
Cet article résume en substance le contenu de la khôlle (podcast). Vous pouvez télécharger la fiche pdf associée, dans laquelle les notions sont approfondies. UE & Puissance – L’Europe puissance, mythe ou réalité
I. L’Europe dispose d’atouts majeurs pour diffuser sa puissance dans le monde : telle est une réalité
En effet, l’Europe est une puissance économique et commerciale de premier plan grâce à l’UE : 2ème PIB mondial, 2ème puissance commerciale, balance commerciale excédentaire, 1ère zone d’accueil d’IDE entrants. Le vieux continent dispose également d’une voix qui porte sur la scène internationale, faisant de celle-ci une véritable puissance. Sa voix résonne dans le monde notamment grâce à sa présence dans les instances internationales (présence au G20) ou celle de ses membres comme la France ou le Royaume-Uni (sièges permanents au Conseil de Sécurité de l’ONU, arsenaux nucléaires).
II. Cependant, de nombreux obstacles interrogent l’idée même d’une puissance européenne, si bien que celle-ci ne serait qu’un mythe
Au sortir de la « guerre civile européenne » (Ernst NOLTE), l’Europe a décidé de tourner le dos à tout ce qui pouvait mener à la conflictualité, donc à l’idée même de puissance. En résulte une Europe « fukuyamesque » (Hubert VEDRINE), une Europe-Espace dans laquelle triomphe le libéralisme et le doux commerce cher à Montesquieu. Outre la genèse de sa construction, c’est la divergence actuelle des avis de ses membres qui fait obstacle à l’idée d’une Europe puissance. Il y a d’une part les atlantistes délégant leur protection à l’Oncle Sam (Allemagne, Royaume-Unis, les pays baltes et notamment le « groupe de Vilnius »), d’autre part l’exception française qui défend la « souveraineté européenne »(E. MACRON), et entre, certains pays neutres (Autriche, Irlande, Pays-Bas). Les adversaires (Chine, Russie, Turquie) voire même ses partenaires (USA, Australie ?) jouent sur ces divisions, en préférant un dialogue bilatéral à une discussion avec Bruxelles (l’exemple du cas Hongrois est révélateur).
III. Elle est aujourd’hui à un carrefour entre exercice d’une puissance d’un type nouveau et recherche d’une puissance plus géopolitique. En somme, l’Europe dispose d’un stylo pour écrire son histoire
Certes, l’Europe tend à réinventer l’expression de la puissance, en se présentant comme une puissance « civile » (François DUCHÊNE) et « normative » (Ian MANNERS) constituant pour le monde une alternative à la puissance plutôt qu’une puissance alternative. Cependant, cela ne suffit pas dans un monde de plus en plus incertain, en témoigne l’inefficacité des sanctions infligées à la Russie. Il convient dès lors de se doter des outils traditionnels de la puissance : une armée et une défense. À ce titre, l’Europe de la Défense a connu des avancées récentes qui dessinent les contours d’une Europe plus géopolitique, capable de parler d’une même voix sur la scène internationale (fonds européen de Défense 2016, coopérations structurées permanentes 2017, initiative européenne d’intervention 2018).
Conclusion
Il semble que le véritable obstacle à l’Europe puissance provienne directement de l’Europe elle-même. L’Europe ne pourra espérer devenir une puissance politique que si elle risque de présenter un projet politique susceptible d’attiser un sentiment citoyen. L’absence d’un sentiment citoyen des Européens, le manque d’un grand récit et de figures charismatiques pour l’incarner, demeurent les plus grands obstacles à l’ambition de l’Europe de devenir une puissance politique.
Si vous souhaitez préparer en avance le sujet de khôlle de la semaine prochaine, le voici : La France est-elle une puissance en déclin ?
NB : Je remercie mes différents professeurs Frédéric BESSET, Benoit JOULIA et Lionel POURTY dont les cours et les intuitions m’ont permis de construire cet article, ce podcast et cette fiche.