Major Prépa > Ressource > Podcast > Quels horizons géopolitiques pour cette rentrée 2022/2023 ?

Le monde traverse une situation internationale tendue, clivante, dangereuse depuis février 2022, date de l’agression russe contre l’Ukraine. Depuis, sur tous les fronts, l’économie, la politique, les relations internationales, les nuages semblent s’accumuler.
Quels sont les enseignements géopolitiques de l’été ? Comment la Terre a-t-elle continué de tourner ? Y a-t-il des tendances géopolitiques qui se sont confirmées ? L’été a-t-il permis une trêve diplomatique ou les rapports de force se figent-ils ?
L’objectif de cet article est de mesurer les enjeux des mois à venir et de prendre le pouls de ces relations internationales.
Pour écouter le podcast :
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Le décès de Gorbatchev : des réactions qui révèlent les fractures du monde ?
Le 30 août dernier, après l’annonce du décès de l’ancien président de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev, les réactions confirment de manière nette les fractures du monde présent. Mikhaïl Gorbatchev fut le dernier grand acteur de cette fin du XXᵉ siècle à disparaître après des acteurs comme Reagan, Mandela, Kohl, Mitterrand, Deng Xiaoping, etc. Les réactions à son décès à Moscou fin août disent assez combien le XXIᵉ siècle, sorti des logiques binaires de la guerre froide, est complexe à appréhender. Et combien les opinions des parties prenantes sont façonnées par leurs intérêts respectifs.
Les vibrants hommages en Occident ont fait contraste avec la sobriété, voire le silence, des autorités russes. En y regardant d’un peu plus près, l’Allemagne tout entière, la presse comme les hommes et femmes politiques, ont rendu un vibrant hommage au dirigeant russe, considéré comme le père de la réunification. Angela Merkel a déclaré, émue : « Il a montré par l’exemple comment un seul homme d’État peut changer le monde pour le mieux. » Puis, elle a ajouté : « Il a également changé ma vie de manière fondamentale. Je ne l’oublierai jamais. »
L’Occident n’est pas unanime dans son éloge.
Dans les pays baltes, Gorbatchev n’a pas laissé de regrets… Il faut se remémorer, début 1991, en Lituanie ou en Lettonie, des victimes de l’armée russe qui tira sur la foule dans ces Républiques, premières à demander l’indépendance. Certes, Gorbatchev a affirmé être étranger à cette décision, il était néanmoins encore Président.
Les Russes, eux, sont depuis longtemps indifférents au sort de cet homme. Lors de la première vraie campagne présidentielle en 1996, ils ne lui avaient accordé que 0,5 % des voix, le jugeant responsable du désordre et du déclin russe. Il semble bien que l’opinion russe reste plus séduite par les partisans d’un État fort que par les réformateurs. Dans ces conditions, Poutine n’a pas décrété d’obsèques ni de deuil national. Il ne pouvait pardonner à l’homme la perte de l’URSS, cette « catastrophe géopolitique ».
L’opposition Gorbatchev/ Poutine n’était pas totale.
Certes, depuis une dizaine d’années, Gorbatchev critiquait la concentration de pouvoir par Poutine, l’absence d’opposition (la verticale du pouvoir), même si lui-même n’a pas toujours été un parfait démocrate (défendant jusqu’en 1990 le rôle du Parti communiste comme parti unique).
Gorbatchev soutenait la presse libre et indépendante comme le journal Novaïa Gazeta (aujourd’hui exilé à Riga), mais en politique extérieure, il soutenait fermement l’invasion de la Crimée, jugeant que « Poutine défend mieux que quiconque les intérêts de la Russie ». Qu’a-t-il pensé de l’invasion de l’Ukraine ? Difficile à dire. Mais Gorbatchev est resté citoyen d’une Russie qui aspire à la reconnaissance internationale et au statut de grande puissance. Et qui s’est sentie humiliée par l’Occident.
Ailleurs dans le monde, Gorbatchev représentait-il encore quelque chose ?
La Chine a salué certes l’homme qui a permis le rapprochement entre les deux pays, mais il ne faut pas se leurrer. Gorbatchev est un repoussoir puissant pour Xi Jinping. Il incarne l’échec, l’exemple à ne pas suivre, lui qui n’a pas su tenir l’Empire. On peut comprendre l’action du président chinois en observant qu’il prend l’exact contrepied de la politique menée par celui que l’on appelait familièrement en Occident Gorbi. Et pour commencer, il refuse toute forme de libéralisation politique. D’ailleurs, Gorbatchev est un repoussoir pour tous les dictateurs, prouvant les risques à libéraliser leur régime.
Ailleurs, la disparition de cette grande figure du XXᵉ siècle a peu suscité l’intérêt des médias. Certes, la fin de la guerre froide a eu un impact dans le monde entier, mais c’était il y a trente ans. Une éternité presque pour la plupart des pays du Sud, qui en Afrique ont rarement beaucoup plus de soixante ans. Certes, la guerre en Ukraine trouve ses racines dans les événements du début des années 1990. Certes, il y a eu alors des espoirs de recomposition de l’ordre international qui furent déçus, mais aujourd’hui, les dangers du temps présent imposent de se tourner vers le futur.
Retour rapide sur l’été : pourquoi a-t-il été celui de tous les dangers ?
Le monde s’accoutume aux risques, car il vit depuis un certain temps une ère de risques économiques, environnementaux, géopolitiques (le nucléaire, etc.). Quelle est la différence entre risque et danger ? Le risque est la perception du danger, c’est un danger calculable. Le danger est en quelque sorte l’étape suivante, il menace plus directement : on a l’impression de passer d’une situation risquée à une situation dangereuse qui peut affecter les gens dans leur vie quotidienne.
Pourquoi ce sentiment de vivre une situation plus dangereuse cet été ? L’impression n’est pas celle d’une rupture totale, mais celle d’une accélération dangereuse des tensions, avec deux exemples qui s’imposent : le climat et les tensions internationales.
Il est clair que la Terre est en danger
L’été 2022 a révélé ce que dérèglement climatique veut dire. En France, il fut le deuxième été le plus chaud jamais enregistré (après celui de 2003). Météo France considère que cette situation deviendra la norme autour de 2050 si les émissions de GES continuent au même rythme. La sécheresse estivale pose désormais la question de l’approvisionnement de l’eau, même en milieu tempéré. La mer Méditerranée a connu une canicule marine avec des températures jusqu’à 6° supérieures à la normale. Ce qui a des répercussions sur la faune et la flore. Les accidents climatiques ont été catastrophiques pour plusieurs États.
La moitié du Pakistan, qui compte 220 millions d’habitants, a été sous les eaux en raison de la fonte accélérée des glaciers et d’une mousson totalement déréglée. Comme le Bangladesh, il est aussi menacé par la montée des eaux marines au sud, dans la région du delta de l’Indus, où se trouve sa capitale Karachi. Or, en avril/mai, le pays a déjà connu une canicule exceptionnelle, dans la région du Baloutchistan, avec 50 °C. Il a été l’endroit le plus chaud du globe.
Le changement climatique n’est plus un risque, c’est un danger imminent, palpable, et qui frappe durement déjà de vastes territoires en Afrique sahélienne et en Asie.
Sur le front de la guerre et des relations internationales : une continuité au cours de l’été ?
La guerre Ukraine/Russie
Elle s’installe dans la durée et remodèle les horizons stratégiques de toutes les puissances. L’été a confirmé la résistance ukrainienne. Depuis la poussée russe dans le Donbass au printemps, l’armée de Poutine s’est enlisée. Kiev a un besoin crucial d’armes occidentales et de renseignements. Grâce à cette aide et à son commandement militaire, elle reprend l’initiative et l’offensive sans que la victoire soit proche. Moscou cherche par tous les moyens à recruter des soldats sans passer par la conscription et n’hésite pas à s’approvisionner en armes en Corée du Nord.
Mais la guerre a donné une nouvelle acuité au risque nucléaire, que l’on côtoie depuis 1945. La centrale nucléaire de Zaporijia, plus importante centrale nucléaire d’Europe en activité depuis 1985 avec six réacteurs, est au cœur d’une zone de combats. Elle est occupée par les Russes, qui réquisitionnent la main-d’œuvre ukrainienne.
Mais si l’AIEA a réussi à y faire parvenir une mission d’inspection, dans un reportage sur France Inter, un journaliste qui accompagnait les enquêteurs faisait entendre les tirs d’artillerie de la centrale, car ils étaient tout proches. De fait, l’AIEA plaide pour l’instant vainement pour un accord sur la démilitarisation de la zone autour de la centrale. Si les Russes reculent, Poutine est en danger et on peut légitimement craindre l’usage redoublé d’armes classiques ou non (chimiques ?).
Dans cette situation dangereuse, les pays annoncent se réarmer à marche forcée
C’est le cas de la Pologne qui a annoncé des programmes massifs d’achats de blindés et d’artillerie. Elle a ainsi commandé pas moins de 980 chars de combat à des entreprises sud-coréennes en juillet, après la commande de 250 chars américains au printemps.
L’Inde a lancé fièrement son premier porte-avions, construit par elle (en 17 ans), le second de sa flotte après un premier acheté à l’URSS. La Russie a annoncé la mise à l’eau d’un nouveau sous-marin à propulsion nucléaire. La France se retire de Barkhane sans avoir réussi au Sahel, tout en sachant qu’elle doit réorienter ses efforts sur le front européen. Le ministère planche sur le doublement du nombre de réservistes. Enfin, début septembre, les États-Unis annonçaient la vente de plus d’un milliard de dollars de matériel militaire à Taïwan, suscitant bien sûr le courroux chinois.
La grande question qui occupe les esprits est celle de Taïwan
La guerre en Ukraine incite-t-elle la Chine à tenter de faire la même chose avec Taïwan ? La question de Taïwan est revenue au premier plan avec la visite sur l’île de Nancy Pelosi, Présidente démocrate de la Chambre des Représentants et troisième personnage dans la hiérarchie du pouvoir aux États-Unis, suscitant le courroux de la Chine.
Cela faisait 25 ans qu’aucun personnage politique américain aussi haut placé n’était venu en visite officielle à Taïwan. Une provocation pour les Chinois qui ont répliqué par trois jours d’exercices militaires inédits autour de l’île. La gêne de l’administration Biden se comprend, pensant que le moment n’était pas le mieux choisi.
La guerre est donc toujours là. Rien de nouveau, certes, et on ne s’émeut guère que les combats aient repris en Éthiopie, fragilisant la trêve entre le gouvernement et la province du Tigré, ou entre Arménie et Azerbaïdjan. La guerre est toujours là, mais le risque de conflit de haute intensité est plus élevé et la guerre est plus proche.
Le danger immédiat n’est-il pas plutôt celui du quotidien : l’inflation, l’énergie chère, voire l’insécurité alimentaire ?
La grande question de l’été a été celle de l’énergie. Comment préparer les Européens à un hiver sans gaz russe, puisque Poutine a décidé d’ouvrir les vannes quand bon lui semble ? Comment supporter la flambée des cours de l’énergie ? Ces questions irriguent toutes les relations internationales, comme en France, avec l’accueil à Paris de Mohammed ben Salmane et de Mohamed ben Zayed, ou encore avec le récent voyage de Macron en Algérie.
La question énergétique est bien sûr toujours présente. Elle est éminemment géopolitique. Ainsi et en dépit d’un cours encore élevé du pétrole, l’OPEP a décidé début septembre de très légèrement baisser sa production de pétrole pour bien montrer sa capacité de résistance face aux pressions occidentales.
C’est le sujet qui occupe le plus les médias. C’est toute la question des ressources qui s’impose. Le danger qui menace aujourd’hui des millions, voire des milliards d’individus, c’est l’accès à la ressource alimentaire. Le quotidien de l’inflation, de la vie chère, se pose dans des termes accrus pour des milliards d’habitants des pays du sud. Le danger, c’est le retour en arrière, c’est-à-dire la paupérisation des classes moyennes qui ont déjà beaucoup souffert de la crise de la Covid et n’ont plus de marges de manœuvre.
Les Occidentaux : des populations toujours protégées.
Les États occidentaux sont capables d’amortir les chocs. Ils l’ont fait par le passé, ils le font encore aujourd’hui. Certes, au prix d’un endettement qui ne cesse de croître, mais ils continuent de prêter aux riches. L’inflation a été supérieure à 10 % dans les pays occidentaux dans les années 1970, aujourd’hui, si une inflation annuelle de 6 ou 8 % mine autant le pouvoir d’achat, la situation est plus grave dans des pays comme la Turquie (inflation annuelle de 80 %).
Et puis, les banques centrales savent agir. La Fed a relevé ses taux directeurs à 2,5 %, la BCE en Europe début septembre à 1,25 %… Mais là aussi, tous les pays ne sont pas à la même enseigne. Le Brésil a une inflation en rythme annuel de 10 %, mais des taux d’intérêt à 13,5 %.
Bref, la situation est surtout dramatique pour les pays à faible revenu, les PMA et les populations les plus pauvres. Celles pour lesquelles les dépenses alimentaires représentent plus de la moitié de leur budget et qui sont frappées de plein fouet par l’augmentation de ces cours. Le prix des céréales est en moyenne le double de ce qu’il était début 2020. Les pays émergents et en développement font preuve d’une certaine résilience face à la crise. Le FMI prédit pour eux 3,5 % de croissance en 2022, mais les plus fragiles n’ont d’autre choix que de négocier avec le FMI des prêts supplémentaires et sont incapables d’aider leurs populations dans le besoin.
Une situation en lien avec une nouvelle vague migratoire aux portes de l’Europe.
Effectivement, les hommes et les femmes ne se résignent pas à une vie sans horizon ni espoir. Les candidats au départ, les migrants, sont nombreux. L’Europe, par exemple, fait face à une nouvelle vague migratoire.
Les Balkans connaissent des arrivées inédites depuis 2015, y compris d’Indiens qui arrivent par avion en Serbie et viennent gonfler les populations aux portes de la Hongrie. L’Italie est à nouveau la première destination des migrants toujours nombreux en Méditerranée et les traversées de la Manche en bateau sont en forte hausse. On recensait moins de 2 000 traversées en 2019. De janvier à août 2022, 27 000 personnes ont réussi via des small boats à gagner les eaux territoriales anglaises. Soit quasiment autant que dans toute l’année 2021. Le Royaume-Uni est toujours très attractif.
Les conséquences de ces situations sont connues : dangers mortels pour les migrants, risques de tensions dans les pays et régions d’accueil (comme à Mayotte, ou au Pérou qui veut faciliter l’expulsion des migrants vénézuéliens) et exploitation aisée par des leaders politiques populistes (par exemple, en Italie).
Le tableau est effectivement bien sombre….
Certes, le monde a connu des périodes plus apaisées et les illusions de l’après-guerre froide sur les vertus du doux commerce, les progrès de la démocratie, le désarmement qui s’enclenchait, les vertus du multilatéralisme (le dialogue entre les nations) sont bien loin. Chacun cherche d’abord la défense de ses intérêts, à l’image de l’État d’Israël qui, pendant l’été, a continué de régler ses comptes avec ses adversaires en recourant à la force et sans états d’âme. Tsahal, l’armée israélienne, a frappé la bande de Gaza par des bombardements visant le Jihad islamique palestinien en août.
La revue en ligne Le Grand continent qualifie le temps actuel d’interrègne. Le terme désigne la période que le monde traverse. Il est en pleine restructuration, mais en grande difficulté pour décrire ou comprendre les tendances de fond. Il subit des bouleversements qui donnent indubitablement le sentiment de désordre, mais le chaos n’est ni certain ni une nécessité.
Alors oui, on est dans l’âge du désordre et le tableau du monde est plutôt sombre. Mais ce n’est pas la première fois et comme l’écrit Le Grand continent : « Pour vaincre le vertige, il faut entrer dans ce qui a dysfonctionné. » Il faut avoir un regard géopolitique. L’année qui vient n’est pas tracée, le chaos n’est pas certain, et il faudra être attentif à ses enjeux.
Quelles sont les perspectives et quels sont les enjeux de cette année 2022/2023 ?
La planète : trois rendez-vous importants en cette fin d’année.
L’humanité est engagée, pour la première fois de son histoire, dans une démarche collective sur la thématique de la protection de son écosystème. Trois rendez-vous importants seront à suivre cet automne.
1°) La COP27
La lutte contre le dérèglement climatique va connaître son rendez-vous annuel avec la COP27, qui va se tenir en Égypte à Charm el-Cheikh en novembre. Les pays devraient annoncer de nouveaux engagements pour aller vers l’objectif posé dans l’Accord de Paris. Mais le contexte n’est pas porteur du fait des tensions sur le marché de l’énergie, d’où le recours au charbon. Et les Africains fustigent le peu d’intérêt des pays riches à les aider à faire face aux conséquences du changement climatique.
Les États sont-ils encore capables de s’engager dans une démarche collective ? Ou les enjeux nationaux primeront-ils sur tout ? Une bonne nouvelle : aux États-Unis, l’administration Biden a réussi à faire voter en août un vaste plan sur le climat et la santé, baptisé d’ailleurs loi anti-inflation. Les investissements prévus doivent permettre de réduire les émissions de GES de 40 % au moins d’ici 2030, ce qui est un vrai virage dans la politique américaine.
2°) La biodiversité
Il existe des COP, conférences des parties sur la diversité biologique, la 15e devait se tenir en Chine en 2020. Sans cesse repoussée du fait de la pandémie, elle se tiendra finalement au Canada en décembre prochain, la Chine ayant renoncé.
Les enjeux sont majeurs, car la pression sur les milieux naturels ne cesse de s’accroître. Le projet d’accord ambitionne de protéger 30 % des terres et des mers… mais la question du financement reste source de tensions.
3°) Un traité très important est en négociation sur la haute mer
Les États disposent d’une zone économique exclusive, qui s’étend jusqu’à 200 milles/370 km de leurs côtes. Au-delà s’étendent les eaux internationales, qui correspondent aux 2/3 des espaces océaniques. Celles-ci sont aujourd’hui totalement libres, ouvertes à tous, sans protection.
Le traité en préparation vise à protéger la biodiversité en haute mer, notamment en créant des aires marines protégées. En discussion depuis près de cinq ans, l’ambition est de proposer un texte en 2022. Les négociations suspendues en août doivent reprendre…
Le contexte n’est pas porteur, mais il faut accepter d’avancer en ordre un peu dispersé. La Chine et la Russie ne signeront pas le traité sur la haute mer ? Eh bien, le traité pourra néanmoins voir le jour. Pour que les choses avancent ici, il faut qu’il y ait une pression de la société civile internationale, donc il faut commencer par parler de ces rencontres et en attendre beaucoup.
Le multilatéralisme pourrait-il permettre de dénouer des situations géopolitiques complexes et tendues ?
Il faut poser la question autrement. Le multilatéralisme va-t-il résister au déclin qui l’affecte depuis plusieurs années, et notamment depuis le mandat de Trump qui lui a porté des coups sévères ?
L’ONU va mal et il est difficile de voir ce qui pourrait lui permettre d’aller mieux à court terme. Elle est piégée, plongée dans des situations inextricables.
Le 31 août dernier, ¼ d’heure seulement avant la fin de son mandat, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Mme Bachelet, a publié le rapport tant attendu de l’ONU sur les droits de l’homme dans la province du Xinjiang. Les 46 pages du rapport sont un réquisitoire contre la politique menée par Pékin contre la minorité ouïgoure. La Chine a tout fait pour bloquer ce rapport, et pour cause, elle y est accusée de crime contre l’humanité. Mme Bachelet a repoussé l’échéance tant qu’elle a pu, elle s’était rendue au Xinjiang en mai dernier. L’alternative était la suivante : soit elle déconsidérait totalement l’ONU si ce rapport n’était pas publié après des années d’enquête, soit elle fâchait la Chine en le publiant au risque que la Chine soit moins coopérative, voire bloquante dans l’organisation.
Un monde apolaire ?
L’ONU a connu fréquemment, et notamment dans la guerre froide, des phases où son action était totalement paralysée. La nouveauté est que le monde d’aujourd’hui est plus complexe, polycentrique, sans qu’aucun centre ne soit capable de jouer un rôle déterminant. D’où cette impression de désordre, de monde apolaire.
Ce n’est pas commode, mais la domination d’un seul est-elle souhaitable ? Les États-Unis ont échoué dans leur leadership et ils n’ont ni l’envie ni les moyens d’être les gendarmes d’un monde. La Chine n’entend pas assurer cette charge. Elle entend accroître son influence, sans les charges qui pourraient peser sur elle. Le sinologue F. Godement le formule ainsi : « Le rêve chinois serait d’être les propriétaires absents du monde sans avoir à l’administrer. »
Le minilatéralisme a-t-il plus de chance d’aboutir ?
La tendance n’est-elle pas à des formats plus réduits, à des négociations réduites à certains acteurs ? On peut donc se demander si le minilatéralisme n’aurait pas plus de chance d’aboutir.
À la mi-novembre, le sommet du G20 aura lieu en Indonésie, à Bali. Xi et Poutine ont confirmé leur venue au président indonésien, Joko Widodo, mais il faut attendre de voir. Widodo a aussi invité le président ukrainien Zelensky. Et bien sûr, les Occidentaux seront de la partie, en commençant par Biden. Mais difficile de voir quel dialogue va pouvoir se tenir avec un tel aréopage. Ce dernier étant rompu entre de nombreux participants…
De même, les négociations sur le JCPOA, le traité sur le nucléaire iranien, sont décevantes. Elles sont au point mort, alors qu’à la veille de la guerre en Ukraine, les choses étaient presque scellées.
L’été a montré que des médiations peuvent être fructueuses. Erdogan a été fier de mener la négociation avec la Russie et l’Ukraine sur les exportations de blé ukrainien avec un certain succès. Bien sûr, il avait un double intérêt. Ce dernier veut à la fois acquérir la stature internationale, qui sert son discours nationaliste, et entretenir de bons rapports avec les deux acteurs. Il a besoin du gaz russe et de l’aval de Poutine pour espérer un jour étendre la zone contrôlée par les Turcs au nord de la Syrie, au détriment des territoires kurdes. Il a besoin de l’Ukraine pour son blé, parce que les liens commerciaux sont étroits et que le pays était favorable à une Crimée ukrainienne. Et il se méfie d’une domination russe en mer Noire.
Que faut-il attendre de la Chine ? Celle-ci sera-t-elle gage de stabilité ou de danger ?
Le 16 octobre prochain s’ouvrira le XXᵉ Congrès du PCC. Il sera possible de guetter les nouveaux équilibres et le nouveau Premier ministre, mais l’essentiel ne fait pas de doute. Xi Jinping sera reconduit à la tête de l’État (Président de la République), à la tête du parti (Secrétaire général du PCC) et à la tête de l’armée en tant que Président de la Commission militaire centrale.
La voie est libre pour qu’il accomplisse un troisième mandat de cinq ans. Sa pensée est déjà inscrite dans la Constitution aux côtés de celles de Mao et de Deng Xiaoping. Il est le timonier qui guide la Chine vers son rêve chinois : prospérité et puissance.
Pour autant, la Chine de Xi inquiète
Comment va-t-il tenir sa promesse d’accomplir le rêve chinois, alors que les nuages s’amoncellent ? La croissance en Chine s’effondre en 2022, elle devrait tourner autour de 3,5 % par an. Une performance très médiocre pour le pays. Le pouvoir surveille la grogne perceptible de la classe moyenne, alors que se succèdent des faillites bancaires et immobilières. La stratégie zéro Covid n’en finit pas de montrer ses limites, son coût, voire son absurdité. Le pays se ferme sur lui-même (Xi Jinping incitait les universités chinoises à sortir du Classement de Shanghai pour devenir des références aux caractéristiques chinoises). La Chine a beaucoup souffert de la sécheresse et a compensé en faisant tourner à plein régime ses centrales à charbon.
Bref, les problèmes intérieurs sont nombreux et il est à penser que Xi ne relâchera pas sa « dictature parfaite » et qu’il se focalisera sur des questions intérieures.
La Chine sera-t-elle gage de stabilité internationale dans ces conditions ?
Se retrouve ici la question centrale de Taïwan. Jusqu’où ira la Chine ?
La démarche actuelle de la Chine est d’éroder la souveraineté de Taïwan en multipliant les incursions militaires, les survols aériens, et en testant systématiquement les réactions de l’île et des États-Unis. Elle multiplie actuellement les incursions de drones dans l’espace aérien des îles secondaires de Taïwan.
Il est probable que Xi maintiendra ces opérations, prenant son temps et ne cessant de démontrer que la question du rattachement de la province n’est pas négociable aux yeux du PCC. Mais Joe Biden a affirmé le 18 septembre que les troupes américaines défendraient Taiwan en cas d’invasion chinoise. En rompant avec l’ambiguité stratégique pratiquée par les Etats-Unis, il donne sûrement à réfléchir à Xi Jingping.
L’avenir de la planète dépend-il d’une poignée de dirigeants influents ?
Il y a des échéances électorales en 2022/2023, du changement à attendre ?
La question peut être posée autrement : le populisme, stop ou encore ?
De Trump à Bolsonaro, en passant par l’Italie de Giorgia Meloni, un populisme de droite se développe. Les crises à répétition (économique, sanitaire, ukrainienne…) usent les partis au pouvoir et alimentent un discours nationaliste et anti-élite, qui est leur fonds de commerce.
Orban a gagné les élections du printemps dernier en contrôlant les médias de son pays et en limitant considérablement les moyens d’expression de l’opposition. Il est aujourd’hui le meilleur ami de Poutine en Europe et un frein considérable pour le fonctionnement de l’UE.
Ailleurs, il faudra être attentif aux résultats des élections. Au Brésil, l’écart entre Lula, favori, et Bolsonaro se resserre. Premier tour, le 2 octobre. L’enjeu est majeur, ne serait-ce que pour l’Amazonie. Aux États-Unis, les élections de mi-mandat du 8 novembre détermineront la seconde partie du mandat de Biden, et peut-être aussi l’avenir de Trump. La coalition de droite en Italie menée par Giorgia Meloni suscite une immense inquiétude en Europe. La Suède vient de connaître la victoire de la droite unie à l’extrême droite : or elle va présider le conseil européen à partir du premier janvier 2023.
L’Union européenne, qui affronte crise sur crise depuis 2008, se montre résiliente mais affronte ses propres défis.
L’Union Européenne, qui peine à se faire entendre, a un rôle à jouer sur la scène internationale.
L’Europe est ce grand continent qui a donné son titre à la revue citée plus haut dans cet article. Elle est ce groupe de pays qui ont renoncé au nationalisme pour chercher à bâtir des solutions communes, profitables au plus grand nombre. Elle est celle qui croit encore aux vertus du dialogue, du multilatéralisme, au droit international (elle continue d’œuvrer pour un accord avec l’Iran). L’UE est celle qui est toujours là pour faire avancer les traités négociés dans le cadre onusien. Elle n’est pas la seule, d’autres régions du monde expérimentent ce dialogue, poussent à des règlements négociés (en particulier, l’Afrique), mais elle a plus de moyens pour faire bouger les choses.
Mais elle a aussi son propre agenda et en cet automne, elle a de nombreux chantiers et des défis à surmonter. L’été qui vient de s’achever a été pour le vieux continent le plus sec depuis 500 ans. Voilà qui conforte la Commission dans le choix affirmé d’un Green Deal européen. Le paquet Climat a été adopté il y a un an. Il faut accélérer la réalisation des engagements pris. Mais outre le problème toujours remis sur le tapis des relations avec le Royaume-Uni, l’UE doit affronter trois défis majeurs.
Premier défi européen : la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine et le tarissement des flux de gaz vers l’Europe
Heureusement qu’il existe un marché de l’énergie en Europe, ce qui a permis l’interconnexion des réseaux. Sans l’Europe, par exemple, la France aurait connu des coupures massives d’électricité cet été. Le mardi 23 août, par exemple, 25 % de l’électricité consommée dans le pays était importée de nos voisins européens. L’ambition est, au niveau européen, de réduire la consommation de gaz de 15 % cet hiver. Ce n’est pas gagné mais ce n’est pas irréaliste. La Commission veut proposer une réforme structurelle de ce marché et Ursula von den Leyen a annoncé la création d’une banque publique de l’hydrogène.
Deuxième problème qui en découle : l’inflation
Son rythme annuel est de près de 10 % cet été en zone euro. La BCE va devoir jongler entre volonté de la combattre par une remontée des taux, ce qui dope un peu le cours de l’euro face au dollar, mais au risque d’alourdir le fardeau des dettes et les possibilités de crédit.
Troisième chantier : celui de la sécurité et du soutien à l’Ukraine
Pour la première fois de son histoire, l’UE a financé plus de deux milliards d’euros d’armes envoyées en Ukraine. Deux de ses membres cherchent à rejoindre l’Otan : la Finlande et la Suède. Ce qui porterait à 23 le nombre de membres de l’UE membres de l’OTAN. Le processus est ralenti par les conditions posées par la Turquie. L’OTAN s’est doté en juin dernier d’un nouveau concept stratégique qui rappelle la solidarité collective de ses membres (article 5), définit la Russie comme la menace la plus importante, mais dénonce aussi les ambitions chinoises « contraires à nos intérêts, notre sécurité et nos valeurs ».
En dépit de ses difficultés, l’insécurité provoquée par la menace russe semble pourtant avoir rendu l’UE plus attractive
L’Union européenne est comme toujours contrainte à résoudre d’impossibles équations. Aujourd’hui, résolument, elle entrouvre la porte aux États qui sont candidats et qui, coûte que coûte, continuent d’aspirer à rejoindre un ensemble qui demeure fondé sur la démocratie, la solidarité et l’État de droit…
Le statut de candidat a été accordé à l’Ukraine et à la Moldavie en juin. Les négociations d’adhésion ont débuté en juillet avec la Macédoine du Nord et l’Albanie… En mai, Emmanuel Macron a proposé une communauté politique européenne permettant la coopération entre les démocraties européennes, de l’UE et hors UE. Le chancelier allemand, Olaf Scholz, a plaidé le 29 août en faveur d’une Union de 30, voire 36 États.
Mais peut-elle fonctionner à 36 ? Les deux hommes se rejoignent pour défendre l’idée d’une indispensable réforme des institutions permettant de se passer du vote à l’unanimité pour de nombreuses questions. Mais de nombreux États ne veulent pas entendre parler d’une révision des traités… La Commission dans le même temps continue son bras de fer contre la Pologne et surtout contre la Hongrie pour non-respect de l’État de droit.
Assurément, le chemin de l’UE n’est pas un long fleuve tranquille, d’autant que la fin de l’année sera riche en échéances électorales , après la Suède et l’Italie : Bulgarie, Lettonie, Autriche et Slovénie… Mais vaille que vaille, l’UE avance et agit. À suivre, donc.
Un monde bien fracturé
La guerre en Ukraine a été une déflagration mondiale, dont les effets se subissent encore. Au fond, ce qui est en jeu aujourd’hui, ce sont les fractures du monde. La fracture majeure est entre démocraties libérales et puissances illibérales. À cela s’ajoute le risque d’une nouvelle coupure nord/sud, car clairement le camp occidental se rétrécit et le Sud renvoie dos à dos les deux belligérants. C’est ce qu’a dit le président Sénégalais à la tribune de l’ONU mi septembre. Plus catégorique encore, Lula expliquait dans une interview au printemps : « Je vois le président ukrainien être applaudi debout par tous les Parlements. Mais ce type est aussi responsable que Poutine. Une guerre n’a jamais un seul coupable. » Tout le monde ne pense pas comme nous. Et la désoccidentalisation du monde se poursuit, ce qui ne signifie pas – loin de là- un soutien à Poutine. Beaucoup au Sud pensent sans doute comme le premier ministre indien que “l’heure n’était pas à la guerre”.
Dans ce contexte, la Chine cherche à être la gagnante de la situation. Il faut être lucide sur ce point. La Russie cherche à diviser les Européens, qui doivent continuer à résister.
Bien sûr, cela ne fait pas rêver. Mais pour rêver, il est possible de suivre les formidables images envoyées par le télescope James Webb cet été ou les prochains lancements de la fusée Artemis sur la Lune. Mais l’avenir ne se joue pas dans les étoiles. C’est bien la géopolitique qui est utile pour comprendre le désordre du monde.