Becker

Alors que les épreuves écrites d’admissibilité de la BEL se sont achevées il y a quelques jours, il te faut prendre un peu de repos, même si tu passes les épreuves de la BCE ! Pour joindre l’utile à l’agréable, nous te proposons de lire cette fiche de lecture de l’ouvrage de Howard Becker : Les Mondes de l’art.

Si ce dernier te dit quelque chose, c’est tout à fait normal : cette œuvre est au programme de l’oral de sciences humaines à l’ENS de Lyon. Tu en sauras plus sur cette épreuve et cet ouvrage dans les prochaines lignes, bonne lecture !

L’auteur

Howard Becker est un sociologue américain né en 1928 à Chicago. En parallèle de ses études et de sa carrière académique, il mène une carrière de pianiste de jazz. Il est aussi passionné de photographie, à laquelle il a consacré plusieurs articles.

Howard Becker a réalisé une thèse sous la direction d’Everett C. Hughes, un sociologue du travail qui s’est intéressé aux sujets considérés non nobles, en particulier les « petits métiers ». Dans ce livre, il propose une sociologie de l’art dans une perspective généraliste, mais aussi dans une dimension empirique d’activité sociale.

L’École de Chicago

Howard Becker appartient à l’École de Chicago. Il s’agit d’un courant de pensée sociologique américain apparu au début du XXᵉ siècle dans le département de sociologie de l’université de Chicago. En résumé, cette école est apparue alors que la ville dont elle a pris le nom, Chicago, a connu une urbanisation extrêmement rapide. Ce processus a engendré des déracinements multiples, s’accompagnant d’une hétérogénéité sociale et culturelle très forte, d’une déstabilisation permanente des activités, des statuts sociaux et des mentalités.

Chicago devient aussi à cette époque le lieu emblématique de la confrontation des origines et des cultures, ainsi que le symbole même de la délinquance et de la criminalité organisée. Pour les sociologues de son université, elle représentait un terrain d’observation privilégié, jusqu’à constituer un véritable « laboratoire social ».

Dans toutes ses œuvres, l’auteur prône le recours à un style clair, simple et direct, en rejetant toutes les fioritures littéraires qui se trouvent souvent dans des écrits de sciences sociales. Pour lui, le chercheur doit épurer son expression, adopter un style scientifique et ne pas verser dans la pédanterie ou l’étalage de connaissances à outrance lorsque celles-ci ne servent pas directement le propos développé. Cela est particulièrement visible dans son ouvrage Écrire les sciences sociales (1986). Dans ce dernier, il souligne que même si les chercheurs et les étudiants en sciences sociales connaissent les règles de l’écriture, ils choisissent souvent de les ignorer et de privilégier un style ampoulé, pompeux.

Les Mondes de l’art

Dans ce livre paru en 1982, Howard Becker aborde l’art à travers sa dimension collective. Il y explore les activités qui font qu’une œuvre d’art prend un aspect définitif. De sa conception à son exécution, en passant par sa fabrication, sa distribution, puis l’appréciation et la critique qui sont prononcées par un public extérieur.

Le titre de l’œuvre

Le titre original en anglais est Art Worlds. Si tu as lu nos articles de spécialité philosophie ou ceux du pôle de culture générale, le terme de monde désigne étymologiquement ce qui est beau. En effet, mundus désigne le cosmos bien organisé des Grecs.

Howard Becker entend à ce titre étudier cette organisation sociale, en portant son attention sur les structures et relations sociales qui entourent l’artiste et l’œuvre, et en s’intéressant à la sociologie du travail. En ce sens, l’expression des « mondes de l’art », dans son acception au pluriel, est à comprendre comme un groupement organisé de personnes qui agissent de manière interdépendante.

Les différentes composantes de l’œuvre d’art

Pour lui, pour qu’il y ait œuvre d’art, il faut que des acteurs sociaux s’accordent pour former une « chaîne de coopération ». À cette fin, chaque individu doit prendre en compte un « faisceau de tâches » particulier. Cette « chaîne de coopération » et ces « faisceaux de tâches » sont plus ou moins rendus explicites (on les voit apparaître par exemple dans les génériques de films).

Il résume ce principe en ces mots : « Toutes les œuvres d’art, en somme, hormis les œuvres absolument individualistes et donc inintelligibles d’un créateur autiste, mettent en jeu une certaine division du travail entre un grand nombre de personnes. » L’œuvre d’art revêt par conséquent une dimension collective, et ce, à toutes les échelles, de sa création à son exposition qui nécessite l’intervention d’un public.

Howard Becker estime que l’art peut être réalisé dans des conditions identiques et avec les mêmes outils sociologiques que toutes les autres activités sociales, en incluant la dimension essentielle de réseau nécessaire à toute forme de création artistique. L’idée essentielle à retenir est qu’une œuvre est forcément le résultat d’un travail collectif. En travaillant sur la collectivité, il s’attache à ne pas considérer l’œuvre de façon isolée ni l’artiste comme un agent en marge du reste de la société.

En clair, l’auteur affirme : « L’idée de monde de l’art est le pivot de toute mon analyse. […] J’en fais un usage plus technique, pour désigner le réseau de tous ceux dont les activités, coordonnées grâce à une connaissance commune des moyens conventionnels de travail, concourent à la production des œuvres qui font précisément la notoriété du monde de l’art. »

Classification des artistes par Becker

Becker opère une classification des artistes reposant sur leur capacité à s’intégrer dans le marché de l’art. Démontrant que le critère esthétique est sujet au changement et qu’une œuvre est issue d’interactions sociales, il réfute la théorie de la réputation selon laquelle un artiste serait apprécié pour son pur génie créateur. Il remet également en cause la vision romantique de la création artistique, qui reposerait sur les aptitudes et les dispositions naturelles d’un artiste et non sur son travail ou les stratégies, les choix qu’il opère.

Dans un article d’Aurélie Thépaut, que tu peux retrouver ici, celle-ci relève les quatre catégories d’artistes mises en avant par Becker : « Les professionnels intégrés, les francs-tireurs, les artistes populaires et les naïfs. » Elle souligne que « les professionnels intégrés ont à la fois le savoir-faire technique, les aptitudes sociales et le bagage intellectuel nécessaires pour faciliter la réalisation d’œuvres d’art. Mais souvent, ce type d’artistes s’en tiennent à ce que le public et l’État jugent convenable. Les francs-tireurs apportent de telles innovations au monde de l’art que leurs œuvres sont difficilement acceptées ».

L’interactionnisme symbolique au cœur de l’ouvrage

L’approche de Becker est centrée sur la dynamique des relations interindividuelles, selon les principes théoriques de l’interactionnisme symbolique. Les concepts de coordination et de coopération sont omniprésents dans son analyse.

Ce concept a été défini par Lionel Lacaze dans L’Interactionnisme symbolique de Blumer revisité (2013), disponible en libre accès sur Cairn de la manière suivante : « L’interactionnisme symbolique postule que l’être humain est un organisme qui possède un soi (self), c’est-à-dire qu’il peut se voir, s’adresser à lui-même et agir envers lui-même de la même façon qu’il peut le faire envers autrui et ceci grâce à la prise de rôle(role-taking). »

Pour aller plus loin

Parce que c’est toujours plaisant d’apprendre autrement, nous te recommandons le visionnage du documentaire réalisé par la Bibliothèque nationale de France (BnF) et l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) sur cet ouvrage, disponible ici.

Dans cette perspective, tu peux également aller voir ce lien de la vidéo d’un colloque dans lequel Howard Becker est intervenu en 2010, qui te permettra d’écouter directement l’auteur lui-même.

Un article de sept pages propose de mettre en perspective l’ouvrage de Howard Becker avec les écrits de Pierre Bourdieu et ceux de Raymonde Moulin, spécialiste des marchés de l’art, rédigé par Marie Buscatto dans 6. Quoi de neuf chez les artistes ? Les « mondes de l’art » à l’épreuve du travail artistique, Les Mondes pluriels de Howard S. Becker, Marc Perrenoud (dir.)

Pour finir, tu trouveras une bibliographie courte mais complète sur cet ouvrage, proposée par la sociologue Sylvia Girel, à la fin du résumé qu’elle propose de l’ouvrage de Howard Becker.

Nous espérons que cette fiche a pu t’aider dans ta préparation de cette épreuve importante pour l’admission à l’ENS de Lyon. Nous te souhaitons bon courage pour la période de révisions des oraux. N’hésite pas à consulter nos articles dédiés à la prépa littéraire pour compléter ta préparation !